On l'avait découvert dans des documentaires occidentaux louant les mérites et la bravoure de ces hommes d'exception. Les avis les plus autorisés disaient du bien de lui à travers l'Asie, l'Europe et l'Amérique, continents où la recherche aéronautique et la conquête spatiale ont atteint des sommets. Aux Etats-unis, à la National Aeronautics and Space Administration (NASA) précisément, véritable Mecque de l'exploration interplanétaire, il a mis le monde scientifique à ses pieds, guidant plusieurs missions d'exploration vers Venus, Jupiter, le Soleil et Mars, raflant plusieurs distinctions au passage. Cet homme de 53 ans né à Nioro du Sahel au Mali est arrivé dans notre pays mardi dernier grâce à une invitation du groupe CFAO Technologies et aux bons soins du Gicam, groupement interpatronnal du Cameroun.
Ambassadeur de bonne volonté de l'Unesco depuis 1998, il est directeur du programme " Mars Exploration Program Education and Public Outreach " de la NASA. Sa philosophie souligne que " l'unique chemin vers le développement durable et respectable en Afrique, consiste à investir dans les hommes en les éduquant ". C'est dans cette logique qu'il crée en 2000 la " Fondation Pathfinder ", qui veut propager l'éducation scientifique, comme une base solide du développement durable en Afrique. Ou encore en 2002, l'université virtuelle africaine basée au Kenya, et dirigée aujourd'hui par le Camerounais Jacques Bonjawo. Elle offre aux étudiants et professionnels africains des programmes de formation de haut niveau. Avant d'être président du comité mondial de l'éthique des sciences de l'espace. Cheick Modibo Diarra a commencé son périple camerounais dans la capitale économique par des rencontres avec élèves et étudiants, en vue de partager ses rêves avec ces derniers.
Il a ensuite rencontré des opérateurs économiques, et c'est dans le domaine de la gestion et du management moderne qu'il a appuyé son échange dans la salle de conférence du Gicam. Hier à l'hôtel Hilton de Yaoundé, il a parlé des techniques managériales liées aux méthodes de travail de la Nasa. Aujourd'hui, il donne une conférence à la télévision nationale. L'homme est optimiste sur le devenir de l'Afrique, car pour lui, seul le travail et la créativité pourraient la sortir de son retard. Il a consigné ses secrets d'astrophysicien dans son ouvrage autobiographique, " Navigateur interplanétaire ", dans lequel on découvre le parcours singulier de cet enfant d'Afrique, fier de ses racines.
Interview
Quelles sont les motivations de votre visite au Cameroun ?
Elles sont multiples. D’abord, j’ai choisi de venir grâce à l’entité qui m’a invité, CFAO Technologies, qui est allé au-delà des discours. Son implication dans la communauté est réelle. Grâce à la personnalité qui représente cette institution, Richard Nouni, avec qui j’ai tissé de bonnes relations. Deuxièmement, c’est une tâche que je me suis donné de prendre le bâton de pèlerin, et essayer de demander à la jeunesse africaine de continuer de rêver et de croire au rêve. Il ne s’agit pas de rêver pour rêver, mais y croire. Je me pose comme un exemple de quelqu’un qui n’a rien de particulier par rapport à eux, qui est juste comme eux, qui a grandi dans les mêmes conditions qu’eux et qui, à force de travail, et de discipline, à force de travailler sur sa personnalité et de prendre la main, a fini par transformer une partie de son rêve en réalité.
On vous a vu donner plusieurs conférences à Douala et à Yaoundé sur le management. Croyez-vous que les causes du retard de l’Afrique se situent dans la gestion ?
Je crois que le problème de l’Afrique se situe au niveau de l’attitude de l’Africain. Nous avons une ressource humaine qui est plus jeune que celle de tous les autres continents. Nous avons plus de ressources naturelles que tous les autres continents, une diversité extraordinaire en terme de culture et de géographie, etc. Avec tout cela, nous semblons ne pas pouvoir sortir d’un certain marasme économique et social. J’attribue cela à notre attitude mentale. Les Africains n’ont pas une attitude " I can ", je peux, en anglais. J’ai eu la chance d’être formé dans une agence où justement c’est la devise. Tout ce qui peut être imaginé peut être fait. Avec cette attitude, les Africains pourraient changer en vue de pouvoir faire quelque chose. Le changement de comportement doit se généraliser. Dans la plupart des pays africains, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle race de gestionnaires d’entreprises qui sont beaucoup plus rigoureux que leurs aînés. Donc, le moment est propice pour permettre aux gens de gérer rigoureusement pour que nous puissions ensemble convenir d’une vision et essayer de faire rêver nos jeunes de cette vision. Jusqu’à leur inculquer cette attitude. Et c’est ainsi que nous pourrons nous en sortir. Pour cette génération qui est en train de monter, tant qu’on ne lui inculque pas l’idée selon laquelle elle doit faire tout par elle même elle ne s’en sortira pas. Une quelconque aide doit venir en appoint. Cela doit nous permettre de voir plus grand et plus vite.
Que proposez vous concrètement ?
D’abord, je propose la mise en place systématique dans tous les pays d’un réseau. Un réseau de gens qui partagent la même vision. Deuxièmement, que ces personnes mettent ensemble leurs ressources personnelles au besoin pour concevoir un canevas sur lequel nous allons définir et modeler cette jeunesse. Que chacun de nous s’implique. Je suis un scientifique qui a travaillé à la Nasa, dans des programmes d’exploration de l’espace qui de toute façon fait rêver tout le monde. Mais tous les gens de ma génération formés dans les domaines de l’informatique, de la gestion des entreprises…, ont un rôle à jouer. Si on mettait en place un réseau qui, dans un premier temps seulement, ferait voyager tous ces hommes de pays en pays pour refaire encore rêver la jeunesse africaine dans son ensemble, pendant ce temps, les gens de ce réseau, pourraient de façon consensuelle mettre ensemble une vision que nous avons pour l’Afrique. Il faut aussi faire du lobbying auprès de nos décideurs pour que cette vision soit mise sur papier. Je pense qu’on aura mis en place tous les éléments qui vont nous permettre de voir tout de suite un grand mouvement pour l’Afrique. D’autant plus que sur la scène internationale aujourd’hui, l’Afrique bénéficie de beaucoup de bonnes volontés. Certains pays viennent de bénéficier d’une remise de dette et d’autres probablement vont suivre. Parce que la communauté internationale nous supporte. Pendant que ce mouvement a lieu, il faut que nous soyons bien préparés avec un plan qui nous permettra de réorienter cette nouvelle ressource et d’en faire quelque chose de très visible.
Qu’est-ce que le style managérial appliqué à la Nasa pourrait apporter aux chefs d’entreprise camerounais et africains?
Ce style peut apporter d’une part le fait que lorsqu’on a un projet bien défini, un budget (temps et argent) en place pour ce projet, on a une organisation autour de l’équipe qui permet de s’assurer que le projet va être exécuté rigoureusement dans les temps et sommes impartis. Mais en même temps, c’est une façon de gérer qui est basée sur la notion d’équipe. Qui dit notion d’équipe dit inclusion de tout le monde. D’une part, elle est basée sur la responsabilisation des individus qui font partie de l’équipe. Elle est aussi basée sur le fait qu’on enlève la hiérarchie d’une certaine façon. Parce que les structures qui sont hiérarchisées de façon très rigide ont tendance à ne pas pouvoir tirer avantage des choses qui sont de valeur sûre. Et ces deux choses qui sont de valeur sûre sont l’innovation et la création. Une structure trop rigide tue la créativité. Une structure trop rigide, qui n’est pas aplatie au maximum, ne peut pas permettre d’innover parce que la communication n’est pas transversale, elle devient verticale. Une communication verticale ne permet pas d’innover. Tout cela est permis à travers ce nouveau système de management. Il y a des outils qui ont été créés. L’outil fondamental de base s’appelle le WBS (Work Breakdown Structure). Comme on prend un travail global et le casse en petits morceaux selon ses articulations. Ce qui vous permet en même temps d’identifier les profils exacts des gens qui doivent travailler dans chacun des secteurs. Mais les gens qui sont spécialistes de ces secteurs doivent exactement vous dire de quelles ressources ils ont besoin. Ce qui requiert une chose que l’on n’a pas souvent en Afrique : la rigueur du choix des personnes. Lorsqu’on veut faire des projets rigoureusement, on ne peut pas être complaisant. Il faut regarder les profils, les besoins et les marier.
Croyez-vous que les managers africains aujourd’hui commencent à intégrer les principes que vous décrivez ?
Je pense que les managers ont commencé. Là où ça coince, c’est au niveau des administrations et des gouvernements. Mais cela n’est pas tellement capital. Tant que le gouvernement crée un environnement dans lequel les entreprises peuvent s’épanouir, il suivra après.
L’Afrique est encore à des années lumières de la conquête spatiale. Croyez-vous que le continent noir gagnerait à s’y intéresser, au même titre que les Occidentaux ?
Bien sûr que l’Afrique gagnerait. Et il faut le dire, l’Afrique n’est pas à des années lumières de cette réalité. Il y a une jeune Sénégalaise qui est sortie récemment major de sa promotion en France, qui est astrophysicienne et travaille actuellement à Londres. On a beaucoup de gens qui, petit à petit, ont de l’expertise dans ce domaine, que ce soit dans l’aéronautique ou dans l’aérospatiale. Il s’agit maintenant, en terme de réflexion prospective et de plan stratégique de regarder le cas des pays qui ont envoyé des gens dans l’espace. Et on arrivera à la conclusion selon laquelle l’accès à l’espace n’est pas un luxe, mais un investissement. Dans notre agence à la Nasa, pour chaque dollar que le contribuable américain investit dans les programmes spatiaux, ces derniers ont retourné sept dollars au contribuable. Simplement parce que, pour faire ces choses difficiles mais pas impossibles, choses qui sont aussi enthousiasmantes, il faut développer des technologies. Et au fur et à mesure que l’on les développe, elles trouvent leur chemin dans la création de nouvelles entreprises qui vont contribuer à la solution des problèmes que nous rencontrons, tels que l’autosuffisance alimentaire. Si on avait des satellites aujourd’hui qui pouvaient prévoir la pluviométrie et prédire les phénomènes naturels, cela nous permettrait de planifier l’agriculture. Sans compter les industries. Toutes les technologies (micro-ordinateurs, téléphonie mobile…) dont nous bénéficions aujourd’hui, sont nées du programme spatial. Au début, lorsqu’on devait lancer des astronautes pour faire des essais, et que, en même temps qu’on les lançait, il fallait faire un monitoring de leurs organes essentiels comme le battement du cœur. On a été forcé de développer le sans-fil. Et aujourd’hui avec le sans-fil, c’est extraordinaire. 99% de ces choses qui nous servent aujourd’hui utilement découlent de la recherche spatiale. Et ça, c’est son but principal. Ce n’est pas un luxe. Plutôt un investissement. L’Afrique, qui a des compétences pour y parvenir, n’est pas à des années lumières. Nous avons tout l’équateur pour faire des lancements. On a tout. Il s’agit simplement que les gens, les pays, décident de façon consensuelle par exemple, de mettre demain une agence spatiale africaine. On peut démarrer, et en moins de dix ans, faire des pas de géant.
Mais, cela peut paraître utopique, il faut bien que les décideurs s’y impliquent franchement…
C’est de l’utopie en apparence seulement. Simplement parce que quand on parle de choses qui concernent l’espace en général, les gens sont d’une part fascinés et d’autre part intimidés. Cela fait que souvent, même les décideurs qui peuvent percevoir les intérêts dans ce domaine, ont peur d’en parler parce qu’on a l’impression que c’est un domaine tellement compliqué, qui a besoin de beaucoup de savoirs supernaturels… Pourtant c’est la science de base, c’est-à-dire que, aller dans l’espace, faire de la navigation interplanétaire etc., découle tout simplement de la loi de Newton. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Ce sont les mêmes lois qui s’appliquent partout. Donc, c’est très simple. Les décideurs doivent comprendre que nous avons des compétences qui sont capables de maîtriser ce domaine et le décortiquer pour leur bénéfice et les aider à y réfléchir. Et à voir comment ce domaine peut être exploité. Nous, on est des soldats, on se tient à leur disposition.
Votre expérience est tout à fait singulière pour un Africain. Comment parvient-on, après une enfance banale au Mali à guider des missions sur la planète rouge ?
On le fait en rêvant et en y croyant. En fait, si vous pensez que mon enfance est banale, si un jour vous allez en Californie, essayez de retrouver un certain Jim Oldman, qui a écrit la bible de la navigation interplanétaire, il m’a formé. Lui, il a eu une enfance encore plus banale que la mienne. Il vient d’un village aux Etats-Unis où on ne plante que des pommes de terre et élève des cochons. Mais quand on a une éducation solide, quand on a la chance d’être informé par les médias, et quand on a la capacité de rêver et surtout de croire en son rêve, on y parvient. C’est pour cela que j’ai beaucoup parlé de la maman qui m’a élevé dans mon livre (" Navigateur interplanétaire ", 2000, Albin Michel, NDLR). C’est elle qui m’a donné la confiance qui est importante. Si vous allez à la Nasa, 80% des personnes qui y travaillent viennent de milieux très modestes. Ce qui veut dire que la vertu du travail, l’intelligence, la discipline ne dépendent pas du milieu d’où on vient. Cela dépend de la capacité de rêver de tout un chacun.
Quel regard portent sur vous vos confrères de la Nasa. Un Africain ou un scientifique ?
En réalité, c’est seulement quand je sors et que les médias parlent de moi comme l’Africain de la Nasa que cela me vient en tête. Parce que, dans l’environnement scientifique dans lequel on travaille en toute honnêteté, on ne pense ni à son genre, ni à sa nationalité, ni à sa race, ni à sa religion, ni à son âge. Je ne veux pas dire que quand le travail est fini, cela ne ressort pas. Lorsqu’on a des objectifs en commun dans la même équipe, avec des méthodes de travail, tout le monde est passionné par le travail. Les gens qui ont mis sur pied cette structure ont un souci primordial, c’est d’utiliser l’argent du contribuable pour atteindre leur objectif. Et de ce fait, ce sont des gens qui ne peuvent pas se permettre ni du népotisme, ni quelque forme de bigoterie que ce soit. Ils cherchent des gens capables de les aider à atteindre leurs objectifs.
Note : Cet article est une compilation de deux articles distincts réalisés par Alain Tchakounte, pour le compte de Cameroon Tribune.
Source : Cameroon Tribune
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