60% de l’argent acccordé aux pays pauvres disparaîtrait dans les magouilles et les bureaucraties propres des pays riches.
L’Ong britannique ActionAid vient en effet de publier un rapport à grand bruit : selon elle, pas moins de 60% de l’aide publique au développement consacrée aux pays pauvres sont absorbés par la bureaucratie et les salaires mirobolants des consultants venus des pays qui décaissent les financements en question. Histoire d’un scandale qui avait déjà été dénoncé par le passé par de nombreux experts et journalistes, même si personne ne s’était jamais vraiment douté de ce que les choses en soient à ce niveau.
L’Ong affirme ainsi que l’essentiel de ces fonds est gaspillé, mal acheminé ou recyclé par divers moyens dans les pays riches ; elle parle à ce propos de l’aide "fantôme", d’une série de magouilles qui, dans le cas des pays comme la France ou les Etats-Unis, atteindrait même 90%. Romilly Greenhill et Patrick Watt, auteurs du rapport, affirment ainsi leur révolte : "l’incapacité à concentrer l’aide sur les pays pauvres ; l’augmentation continue des dépenses pour une assistance technique excessivement chère fournie pas les consultants internationaux ; l’obligation pour les bénéficiaires de se fournir auprès des entreprises des pays donateurs ; la lourdeur et la mauvaise coordination des planifications, de la mise en œuvre du contrôle et du suivi ; les coûts administratifs trop élevés ; les versements partiels et en retard ; la double comptabilisation et l’allègement de la dette ; l’affectation de l’argent aux services d’immigration: tout cela contribue à diminuer la valeur de l’aide".
Ainsi, alors que l’Onu fixait en 1967 le montant de l’aide publique au développement à quelque 0,7% du Pib des pays riches, tous les ans, peu d’entre eux ont eu la persévérance d’atteindre ce niveau de générosité. La plupart étant ainsi cantonnés à 0,25%, les pays scandinaves étant de loin les plus généreux. Mais, lorsqu’on déduit le montant de l’aide fantôme, les pays pauvres ne se retrouvent en train de recevoir qu’à peine 0,1% d’aide réelle et même, à 0,07% pour les pays du G7 (Royaume-Uni, Etats-Unis, Allemagne, Italie, France, Canada et Japon).
Ainsi, de manière assez surprenante, alors que le Royaume-Uni n’est pas, sur le montant de l’Apd le pays le plus généreux, il se retrouve tout de même à avoir l’aide la plus efficace, selon ActionAid. Il n’est d’ailleurs pas jusqu’à l’Onu qui ne donne du crédit à ces chiffres, puisque l’organisation estime que la part payée aux consultants et à l’assistance technique au cours de ces dernières années a progressé de plus de 2 milliards de dollars il y a quelques années, pour atteindre 40 milliards de dollars l’année dernière. Même la Banque mondiale affirme que c’est vrai.
L’aide internationale, qui débouche pour une grande part sur l’endettement des pays pauvres, apparaît donc, comme on la soupçonnait déjà, dénuée d’efficacité pour ce qui est de la manière dont elle est structurellement planifiée dans les pays riches. Et, lorsqu’on y ajoute les carences institutionnelles des pays récipiendaires en eux-mêmes, on se retrouve avec une roue du sous-développement qui tourne aussi bien qu’elle a toujours tourné, donnant à terme raison à Ragnar Nurkse, qui affirmait en 1953 que les pays pauvres sont pauvres parce qu’ils sont pauvres : épargne insuffisante, investissements insuffisants, infrastructures insuffisantes, qualité de ressources humaines insuffisantes, imperfections du marché, défauts de gouvernance publique et privée, fuite de capitaux, baisse de la productivité, absence de stimulants au juste fonctionnement de l’économie.
ActionAid affirme alors que, pour tenter de réformer tout cela, il faut réduire les frais de tous ces consultants mais surtout, faire monter l’Onu davantage dans le régime de gestion de cette aide, définir des critères précis de validation de cette aide et prévoir des engagements mutuels au lieu des accords unilatéraux qui ont jusqu’ici cours dans une asymétrie complète entre pays riches et pays pauvres.
source : Mutations
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