Cannabis, cocaïne, héroïne et autres stupéfiants de synthèse circulent dans la ville, alimentant de nombreux circuits.
Les acteurs de la filière n'ont pas fait de réclame hier. Bien que ce fût la Journée internationale de lutte contre l'abus et le trafic illicite de drogue. Ce n'est pas le genre de business pour lequel on organise la pub. Ainsi, vous ne trouverez aucun comptoir surmonté de la plaque " Chanvre à vendre, bon prix ". Et pourtant elle tourne, cette activité. Elle tourne surtout autour du cannabis, le fameux chanvre indien à l'odeur si caractéristique. Dans certains marchés de Yaoundé, à Essos par exemple, des commerçants d'un autre genre proposent leur marchandise à la nuit tombée. Mais même en plein jour, l'accro peut s'en procurer dans certains coins de Nsam, Elig-Edzoa, Mokolo élobi, sur l'Avenue Germaine, etc. A 100, voire 50 francs, le dealer fournit. Il faut cependant montrer patte blanche. Etre accompagné par un habitué, ou se conformer à un certain code.
Pour ce qui est de la filière " lépreux " par exemple, dont des fils du réseau s'étendent de Mballa II au centre ville, le code est simple : le client dépose une somme précise dans la sébile du malade , qui joue aussi les mendiants ; et poursuit sa route ; le dealer sort alors la quantité de chanvre correspondante et la dépose quelque part dans son barda. Le client revient, se baisse à nouveau sur la soucoupe du mendiant, et récupère son " colis ". Les autres passants n'y voient que du feu.
D'autres narcotiques sont vendus sans toutes ces précautions : les médicaments qui sont détournés de leur objectif et que placent les vendeurs ambulants de médicaments. Des comprimés et autres gélules que rien, à première vue, ne distingue des autres produits proposés par les pharmacies de la rue. " Des amphétamines sont vendues dans la rue sous d'autres noms : le D-10, le D-5 ", explique un responsable du Comité national de lutte contre la drogue. La distribution de tels produits psychotropes s’étend à toute la ville. Du moins, elle va jusqu'où les pieds des " pharmaciens " ambulants les portent.
Plus discrète, la distribution des drogues qu'on pourrait dire de luxe se fait loin des regards. Différentes sources, dont les plus officielles, attestent que cocaïne et héroïne circulent dans notre pays. Yaoundé n'est pas épargné. Les boîtes de nuit sont l'une des plaques tournantes du commerce de tels poisons. Selon une habituée de ces milieux, le personnel des boîtes constitue l'interface entre dealers et consommateurs potentiels. Des contacts directs ne sont pas à exclure, Une fois en possession de sa " coke " ou de son " héro ", il arrive qu'un consommateur fonce vers les toilettes de la discothèque pour se shooter. Plus tard, en voyant les yeux révulsés de ce danseur infatigable sur la piste, le simple fêtard pensera à un effet des jeux de lumière " Celui qui se respecte attend d'être rentré chez lui ", précise notre source.
Recettes
La drogue est-elle donc, en définitive, présente partout dans la ville ? Devant l'ampleur du phénomène, les pouvoirs publics ont en tout cas créé une sous-direction des Stupéfiants à la Police judiciaire il y a deux ans. Le commissaire Michel Deffo, chef de service des Opérations à ladite sous-direction, présente une carte du trafic de la drogue, pour ce qui concerne la capitale : " Yaoundé est quadrillé par les dealers. Chaque quartier, pour ne pas dire chaque rue, en a. Et quand l'un d'eux est arrêté par les forces de l'ordre, un autre le remplace. Ils ont divisé la ville en territoires ". Malgré les risques, les arrestations et les saisies, l'activité se poursuit. C'est que ça rapporte. Toujours selon le commissaire Deffo, la marchandise achetée chez le grossiste à 3000 francs peut, vendue au détail, rapporter 10 à 12 000 au dealer. " Il y en a qui font des recettes de 20 000 francs par jour ".
Du coup, ils ne s'embarrassent pas de scrupules, et ne perdent pas le sommeil malgré les nombreux organismes qu'ils contribuent à détruire. D'ailleurs, ajoute notre source, la sensibilisation doit davantage être orientée vers les consommateurs pour être vraiment efficace. Les gros fournisseurs et les revendeurs sont, quant à eux, unis dans une logique du profit à tout crin, qui entraîne même une certaine solidarité. En tout cas, de source policière, les dealers pris dénoncent rarement leur grossiste : " C'est quelqu'un qui était de passage. Il m'a livré et il est allé je ne sais où ".
On sait cependant d'où vient le gros de la drogue vendue à Yaoundé essentiellement du chanvre indien. " La drogue vient de l'Ouest, du Nord-Ouest et de pratiquement tous les villages environnant Yaoundé ", affirme le commissaire Deffo. Une fois sur place, elle va " alimenter " diverses catégories de clients : " Des gens qui font des travaux durs, pousseurs, maçons, taximen ", mais aussi ceux qui subissent un gros stress dans le cadre de leur boulot. Selon un ancien vendeur surnommé " Juana " (de " Marijuana "), de hauts responsables roulent un joint de temps en temps. Même chose pour certains sportifs et artistes. Les braqueurs ne sont pas en reste. Quelques petits malins jouent les admirateurs de Bob Marley pour s'adonner au cannabis. Enfin, CT a appris que des femmes en quête de succès auprès des hommes mélangent le chanvre indien à leurs crèmes de beauté, comptant sur des vertus attractives prêtées au produit.
Impossible de clore la question sans parler des drogues tellement visibles qu'elles en deviennent banales : la cigarette et l'alcool. Avec le matraquage publicitaire, on en vient à oublier leurs dégâts sur la santé, qui sont pourtant bien réels. Le plus pernicieux dans l'affaire, c'est qu'il s'en trouve pour les appeler " drogues douces ". Ce qui ne saurait exister.
source Cameroun Tribune
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