Des étudiants se sont réunis, pour protester dans le silence et la non-violence, contre l'assassinat de leurs amis.
La vingtaine d'adhérents de l'Association pour la défense des droits des étudiants du Cameroun (Addec) était à mi-chemin du trajet de la marche organisée sur le campus principal de l'université de Yaoundé I à Ngoa-Ekelle quand la musique diffusée d'un stand d'animation du site des jeux universitaires s'est arrêtée. C'était l'un des signes de sympathie qui a jalonné vendredi la marche silencieuse en la mémoire des étudiants tombés sur les campus du Cameroun, sous les balles des policiers et des gendarmes, ces dernières années. Un calicot que portaient les protestataires condamnait ces " assassinats " et appelait au respect des " droits de l'homme " à l'université.
" Les étudiants régulièrement fauchés par les balles des forces de l'ordre, dans les universités camerounaises, ont payé de leur vie le prix du progrès de l'université. Il nous appartient dès lors de participer à la ritualisation positive du souvenir pour que plus jamais cela ne se reproduise. Une telle initiative contribue aussi à désamorcer les effets malsains des colères refoulées, des frustrations et du ressentiment qui couvent sous le musellement des victimes ", expliquait le vice-président de l'Addec, André Benang, peu avant la marche.
Pourtant, les étudiants qui regardaient l'air étonné ce défilé de jeunes hommes et d'une seule étudiante, vêtus de tee-shirts noirs, semblaient distants. Il y a certes eu, à l'orée des espaces où se déroulaient les compétitions des jeux universitaires, un trompettiste qui a levé la main en signe d'encouragement. Plus loin, des étudiants de l'université de Maroua qui s'échauffaient avant de descendre sur le terrain de la compétition ont arrêté leurs étirements. Et cette jeune chinoise qui s'occupait à présenter l'International youth fellowship aux étudiants qui passaient par là…
" What happens ? " Sa question a fusé au passage et un de ses camarades a choisi de lui expliquer qu' " un étudiant a été assassiné. Mais qui est-ce qu'on a tué ? " se demande un autre étudiant visiblement hors du coup. S'arrêtant une minute, il regarde passer les marcheurs qui ne pressent pas le pas par cette matinée encore fraîche. Tout juste, disloquent-ils la masse qu'ils ont composée pour laisser passer la jolie et luxueuse berline de Lisette Elomo Ntonga, secrétaire général de l'université de Yaoundé II. En rejoignant sa Peugeot 407 d'un bleu foncé où l'attendait son chauffeur, ce professeur de droit a jeté un regard furtif aux étudiants qui manifestaient. Puis, elle a baissé les yeux. Un de ses collègues, Bienvenu Nola, habitué à se frotter aux revendications estudiantines, a arrêté sa voiture sur le bas côté de la route qui parcourt les verts vallons de Yaoundé I. M. Nola, qui est le directeur du Centre des œuvres universitaires, savait peut-être par expérience qu'il n'y avait là rien de bien dangereux pour le bon déroulement des jeux universitaires qui donnent au campus les allures d'une kermesse géante.
Impatience
Les automobilistes qui vont d'un amphithéâtre à un autre, d'un terrain de jeu à une salle de restauration, sont d'ailleurs peu enclins à actionner le klaxon pour demander le passage. Mais alors que les marcheurs vont atteindre l'allée qui mène au rectorat, une voiture publicitaire manifeste son impatience. " J'ai des objectifs à atteindre. On a du travail à faire ici. Qu'est-ce que c'est que ça ? Il faut nous permettre de passer… ", lance le chauffeur. Il ne réussit qu'à énerver la dizaine d'agents de sécurité de " Police campus " qui ont bloqué les manifestants entre un bâtiment et une barrière grillagée. Pour le punir, marcheurs et vigiles ne lui permettront de poursuivre son chemin qu'après le passage de la demi-douzaine de voitures qui commençaient à s'aligner des deux côtés du blocus. " Pourquoi nous empêcher vous de marcher " demande un étudiant. Ses camarades réitèrent sa question et protestent de leur intention pacifique. Le ton monte quelque peu. Mais l'on trouve vite dans chaque colère, le ferment du dialogue.
" On nous a demandé d'empêcher votre entrée sur le campus ", explique un agent de sécurité. Pourtant, répondent les marcheurs, " Nous y sommes déjà. " Trente minutes passent et le blocage s'achève. Cinquante mètres plus loin, nouvel arrêt obligatoire. Au téléphone, le " chef de la sécurité " parle avec un inconnu. Des agents du ministère de l'Enseignement supérieur donnent également des informations au moyen de portables dont les sonneries ont fort opportunément été placés sur le mode vibreur : " Ils sont vingt-trois… Le ministre a déjà donné sa position. Il a dit de laisser la marche se dérouler. "
Quelquefois des émissaires des deux camps se rapprochent. Apparemment, on négocie pour que la marche se poursuive mais qu'elle n'observe pas une halte devant le cabinet du recteur Oumarou Bouba. Le " deal " est respecté. Les marcheurs vont se rendre jusqu'à l'entrée principale du campus avant de revenir sur leurs pas qui mènent au siège de l'Addec dans le voisinage. " C'est bien ", conclut un marcheur satisfait par une heure et demie de manifestation. Le ciel, couvert au début de la marche, lui aussi, semble approuver. Le soleil est au zénith.
Source: Quotidien Mutations
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