La carte d'identité camerounaise
porte le numéro 103635808. Elle est jointe au mandat d'arrêt lancé par le Cameroun
contre l'une de ses ressortissantes dans une affaire d'escroquerie. Léonie
Batin, ancienne dirigeante de l'antenne du Crédit foncier du Cameroun (CFC)
à Paris, a été arrêtée le 13 janvier à Sèvres (Hauts-de-Seine) alors qu'elle
venait de récupérer son enfant de 3 ans à la sortie de l'école.
Mercredi, la
chambre d'instruction de la cour d'appel de Versailles dira si elle donne
ou non son feu vert à l'extradition de Léonie Batin. "Si ma cliente est
renvoyée au Cameroun, elle mourra là-bas, embastillée, et l'état français sera
complice d'un coup monté", s'insurge son avocate, Me Caroline Wassermann,
qui dénonce une "entorse grave aux droits de l'homme".
Accord bilatéral
Ironie du sort, Léonie a épousé il y a six ans un ancien policier français spécialiste
du terrorisme, qui fut le premier à inscrire le nom de Ben Laden dans une note de
renseignement. C'est en vertu d'un accord bilatéral de 1974 que le Cameroun
réclame l'extradition de Léonie Batin. Un accord qui ne peut s'appliquer
que si les faits reprochés se sont déroulés dans le pays demandeur. Or l'antenne
du Crédit mutuel du Cameroun est une société de droit français dont le siège se
trouve à Paris. Et aucune plainte n'a jamais été déposée en France contre Léonie
Batin... Une enquête préliminaire a, certes, été ouverte en 2007 afin d'examiner
le fonctionnement du CFC, mais elle n'a jamais abouti.
"Fantaisiste"
Et puis, il y a cette carte d'identité produite par le Cameroun pour appuyer
sa demande d'extradition, un document émis le 13 avril 2002. Problème : Léonie
Batin n'a jamais mis les pieds au Cameroun cette année-là. Un faux ? C'est
ce que pense son avocate. Entre 2002 et 2005, période durant laquelle sa cliente
est censée avoir détourné des fonds, son passeport, que Le
Point a pu consulter, ne révèle qu'un seul déplacement au Cameroun -
une semaine - en 2004. "Léonie est une victime collatérale de la purge que mène
le président Biya contre l'opposition. Ce qu'on lui reproche est totalement
fantaisiste", s'emporte Me Wassermann. Contactée par Le Point
, l'ambassade du Cameroun n'a pas souhaité faire de commentaire.
Opération mains propres
Début 2006, le gouvernement camerounais a lancé, pour satisfaire les exigences de
ses bailleurs de fonds américains, une opération mains propres, baptisée épervier.
Celle-ci a débouché sur l'arrestation de plusieurs dirigeants du CFC à Yaoundé,
et notamment celle de Joseph Edou, oncle de Léonie Batin et directeur général de
la banque nationale. Il a été condamné en 2008 à 40 ans de prison pour "détournements
de fonds publics". "Sous prétexte de lutter contre la corruption, on se
débarrasse de tous les gêneurs, et de leurs proches, affirme Me Wassermann. Pour
sauver des contrats juteux au Cameroun, la France est-elle prête à exécuter une
lettre de cachet ?"
Source :
Le Point
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