Mboua Massock
Que se passe-t-il au Cameroun ? Entre des manifestations, des marches dites pacifiques, auxquelles on oppose la répression violente des autorités camerounaises et des enlèvements en bonne et due forme, faisant penser aux états totalitaires où la liberté d’expression est aussi friable qu’un nuage de fumée. Quelle est la genèse de ces évènements ? Comment doit-on analyser ces faits qui englobent la dimension sociale et politique du peuple camerounais ?
La modification de la constitution ! Voilà la coupable, semblent arguer toutes celles et ceux qui ont pu suivre ces évènements depuis le tout début. Le président Paul Biya avait en effet laissé entendre dans son discours à la nation du 31 Décembre 2007, que, suite à l’appel du peuple, il pourrait modifier la constitution de 1996, du moins, son article 6 alinéa 2, afin de briguer un nouveau mandat !
L’on est en droit de se demander de quel appel du peuple il s’agit. L’État camerounais a-t-il sollicité des sondages pour arriver à une telle conclusion ? Y a-t-il eu un référendum, seul passe-droit légitime légal pour modifier la constitution de notre pays ? Il nous est permis d’en douter. D’autant plus que si on revient sur cette constitution, révisée par l’Assemblée nationale le 23 Décembre 1995 et promulguée le 18 Janvier 1996, on se rend compte qu’elle fut à chaque fois modifiée sans réelle consultation populaire. C’était déjà à l’époque, une atteinte à la souveraineté du peuple.
On peut d’ailleurs se permettre de faire un saut historique afin de mettre en perspective cette constitution du 18 Janvier 1996. Pierre ELA affirmait déjà dans un de ses ouvrages (1) que « la révision de l’ancienne-nouvelle constitution (celle de Janvier 1996) prévoit la création de nouvelles structures : une cour constitutionnelle, une cour des comptes, un Sénat, de nouvelles régions […] Aucun de ces organes n’a encore vu le jour. » pour expliquer à ses lecteurs que, malgré les apparences, c’est toujours la constitution du 2 Juin 1972 qui resterait en vigueur dans notre pays. Chaque citoyen camerounais a pu en faire l’amère expérience, notamment en 1992 : l’absence de Cour constitutionnelle pour arbitrer d’éventuels contentieux électoraux a provoqué la crise que l’on connaît, ainsi que la supposée mort du président Paul Biya en 2004, devant ainsi, selon notre constitution, être remplacé par le président de Sénat, bien que le Cameroun n’ait pas de Sénat. On pourrait conclure que le pouvoir n’appartient donc plus au peuple, mais bien au pouvoir exécutif.
Tout ceci nous amène donc au fameux discours prononcé en fin d’année par le président de la république, s’adressant à la nation, dans lequel il affirme : « De toutes nos provinces, de nombreux appels favorables à une révision me parviennent. Je n'y suis évidemment pas insensible. De fait, les arguments ne manquent pas qui militent en faveur d'une révision, notamment de l'article 6 ». Nonobstant les bonnes intentions affichées lors de l’intervention qu’il a accordée à la chaîne de télévision française France 24 lors de son passage à Paris le 30 Octobre dernier: « Ce que je peux déjà dire, c’est que les élections présidentielles camerounaises en 2011 sont certaines mais je les considère comme lointaines. J’ai un mandat de sept ans et j’ai fait la moitié de ce mandat. A l’heure actuelle nous avons d’autres priorités et la constitution telle qu’elle est aujourd’hui ne me permet pas de briguer un troisième mandat. Cela étant, nous avons d’autres urgences : lutte contre la corruption, contre le SIDA, contre la pauvreté. Il faut assurer la stabilité dans l’Afrique centrale et j’estime que ces problèmes d’élections sont posés prématurément. Il y a d’autres urgences en ce moment. La constitution à l’heure actuelle ne me permet pas d’envisager un autre mandat. »
Ce discours a bien évidemment soulevé un tollé général dans la presse au Cameroun, dans la société civile ainsi qu’au sein de nombreux partis de l’opposition. Le sultan des Bamouns, pourtant membre du bureau politique du RDPC, « s’insurge contre l’idée de la révision du seul article 6 et penche pour un toilettage de la loi fondamentale. »
Jean Michel Nintcheu, député et responsable SDF dans le Littoral, Anicet Ekané, président du Manidem, Achille Kotto, membre de la société civile basée à Douala ainsi que le très célèbre Ni John Fru Ndi se sont fermement opposés à la modification de la constitution dont le seul but est bien évidemment pour Paul Biya celui de se représenter en 2011 pour les élections présidentielles.
De nombreuses ambassades ont joint leur voix à celles de l’opposition, la plus remarquée étant l’ambassade américaine au travers de sa représentante Janet Elisabeth Garvey : « Nous reconnaissons le droit de chaque pays de réviser sa constitution, mais notre expérience, la limitation du nombre de mandats et le changement périodique de dirigeants- au moins chaque décade- sont salutaires pour la démocratie. Nous condamnons régulièrement la modification de la limitation du nombre de mandats présidentiels dans d’autres pays, tel le cas du Nigeria ». Cette sortie aura d’ailleurs soulevé l’indignation de certains membres du RDPC, lors d’un séminaire du parti au pouvoir, qui a crié à l’ingérence.
D’autres voix sont pourtant montées au créneau contre la modification de la constitution, celle en l’occurrence du ministre britannique en charge des Relations extérieures et du Commonwealth, Lord Malloch-Brown. Il a d’ailleurs, soutenu par d’autres ministres du gouvernement britannique, souhaité obtenir de son gouvernement « la permission de demander au secrétariat du Commonwealth d’exiger du gouvernement camerounais le respect des clauses de la coopération. », clauses qui nécessitent la consultation du peuple pour une éventuelle modification de la constitution.
La plus célèbre voix qui s’est élevée contre la modification de cette constitution, est selon nous, Mboua Massock. Cet homme n’a-t-il en effet pas défié les forces de l’ordre pour la liberté et la justice ? N’a-t-il pas fait fi de l’injonction du gouvernement dans un communiqué daté du 15 Janvier 2008 : « Interdiction de la tenue de réunions et manifestations publiques, et spécialement de marches sur la voie publique jusqu’à nouvel ordre sur l’ensemble de la province du Littoral » faisant penser aux vieux polards retraçant les inactions dans de vieux régimes communistes ? Cet homme mérite selon nous, un brillant hommage, de ce qu’il défend dans la paix, le calme, des valeurs qui pour lui, semblent essentielles, nous sont essentielles. Ce pourquoi il marche, est ce pourquoi marchaient nos illustres ancêtres, Douala Manga Bell, Um Nyobe, Charles Atangana, pour ne citer que ceux-là, bien que le contexte aujourd’hui, soit un tantinet différent.
Lors de sa marche du 12 Janvier 2008, il a été interpellé et remis en liberté, sans qu’on ne puisse lui justifier de quoi il était accusé. Il avait par ailleurs prévu une marche entre le 7 et le 15 Janvier, pour rétablir la mémoire sur des résistants tels que Moumié, Ouandié…, lâchement assassinés. Il souhaitait réclamer par la même occasion « des programmes scolaires beaucoup plus basés sur l’histoire du Cameroun et d’Afrique afin de permettre aux plus jeunes de découvrir l’importance des grandes figures de l’histoire du Cameroun. »
Sont-ce ces revendications qui justifient le fait qu’on l’ait arrêté Samedi 16 février à Bépanda en compagnie de son fils, puis abandonné dans la forêt de Mangoule ? Le chef d’équipe de la brigade ayant procédé à son arrestation se permettant de lui dire: « Massock comme tu as dis que tu veux marcher, alors tu vas marcher » tout en le délestant de son portable et de sa paire de chaussures. Ce sont bien là les agissements d’un état totalitaire aux mesures arbitraires et totalement anarchiques. Qu’est ce qui justifie qu’on abandonne un citoyen en pleine brousse sans qu’on ne puisse lui justifier son forfait ? Au-delà de la défense, à tout prix, du pouvoir de son excellence Paul Biya, nous nous devons de critiquer l’excès de zèle, dont font preuve des autorités supposées être au service du peuple, pour faire des droits du citoyen une chimère et abdiquer le respect des lois au profit de l’arbitraire et l’autoritarisme.
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