Fernand Taninche, le plaignant contre le coach des lions indomptables
Un jour, au cours d’une conversation portant sur le conflit qui l’oppose au nouveau sélectionneur des Lions indomptables, Fernand Taninche, nous montrant l’absence de dents sur sa gencive supérieure, nous a affirmé: "Elles ne sont pas tombées toutes ; je suis un fonceur, un bagarreur: je sais encaisser des coups mais je sais aussi en donner". Avant de poursuivre, très remonté: "je ne me laisserai pas faire". Effectivement, ce Camerounais de 32 ans, marié et père deux enfants, sait se montrer tenace.
Après avoir donné sommation à M. Pfister de lui verser, au plus tard le samedi 1er mars 2008, 24 millions de Fcfa représentant les 20% de sa commission sur la somme perçue par le technicien allemand au moment de son recrutement au Cameroun en octobre dernier, Taninche est passé à la vitesse supérieure cette semaine, comme il l’avait promis après la Can 2008, en portant plainte contre Otto Pfister. Résultat des courses, l’entraîneur des Lions indomptables a dû être obligé par deux fois, mardi et mercredi, de sécher les séances d’entraînement du stade Ahmadou Ahidjo pour répondre aux convocations de la Police judiciaire de Yaoundé, sur les chefs d’accusation d’escroquerie et d’abus de confiance envers le sieur Taninche.
Le plaignant ne brandit pas la copie du contrat qui le lie à Otto Pfister et insiste plutôt sur la bonne foi: "Otto a l’âge de mon père. Je n’ai jamais signé un papier avec mon père. Mais malchance pour Otto Pfister, j’ai beaucoup d’éléments de preuve". L’ancien footballeur, qui n’a pas connu une carrière spécialement glorieuse dans les rangs de ses clubs successifs, dont Union d’Abong-Mbang, Léopard de Douala, Pwd de Bamenda et Stade de Bandjoun, s’est reconverti dans le management sportif. A ce titre, il participe notamment au transfert des joueurs camerounais à l’étranger (dont Bebbey Mbangue actuellement en stage avec les Lions indomptables) et est le représentant au Cameroun du célèbre club hollandais Ajax d’Amsterdam.
C’est à travers Max Dillon, un Américain directeur de l’Ajax à Orlando en Afrique du sud, qu’il se retrouve dans le recrutement d’Otto Pfister comme entraîneur sélectionneur de l’équipe du Cameroun de football. M. Dillon a élaboré un projet dénommé Syfod (système de football durable) qu’il veut implanter au Cameroun. A côté de la construction de 11 stades de football au Cameroun, le Syfod prévoyait la mise à disposition d’un entraîneur dont la mission serait de conduire le Cameroun jusqu’en demi-finale de la Coupe du monde 2010 prévue en Afrique du sud. Fernand Taninche présente au ministre des Sports Augustin Edjoa le projet Syfod qui séduit aussitôt le gouvernement, puisque l’intermédiaire fait partie de la délégation comprenant le Minsep, l’ambassadeur des Etats-Unis Niels Marquardt et Mark Dillon, qui est reçue par le Premier ministre Ephraïm Inoni en mai 2007.
Foot et mafia
M. Taninche explique aujourd’hui que la candidature d’Otto Pfister, qui n’était nullement mal classée par la commission paritaire Minsep-Fécafoot, est passée, devant 80 autres postulants, simplement parce qu’elle était arrimée au projet Syfod, un projet qui envisageait alors de résoudre à grande échelle la cruciale question du déficit des infrastructures sportives au Cameroun. Pendant la période des négociations, Fernand Taninche était en relation avec Mike Pfister, le fils de l’autre qui gère également sa carrière. Mais il n’a plus reçu des nouvelles de ses interlocuteurs une fois le contrat de sélectionneur signé le 7 novembre 2007 avec six mois d’avance de solde à l’appui.
L’intermédiaire camerounais envoie une première menace via Internet au clan Pfister le 20 janvier 2008, le jour même de l’ouverture de la Coupe d’Afrique des nations au Ghana. Ne voyant toujours aucune réaction à propos de sa commission qu’il revendique, il déverse alors toute sa bile dans la presse au retour de la Can 2008 d’où les Lions indomptables rentrent avec une inattendue 2e place. Voilà comment l’affaire Otto Pfister et des commissions occultes sur son recrutement se retrouve sur la place publique. En bien des points, cette affaire nous rapproche de certaines affaires qui ont secoué le football européen il y a quelques années, comme la dénonciation par les joueurs français Glassman et Eydelie de la corruption de l’Olympique de Marseille lors d’un match de championnat contre Valenciennes; et surtout l’arrêt Bosman.
Jean Marc Bosman, alors anonyme footballeur belge, avait porté plainte contre son club le Fc Liège auprès de la Cour européenne de Justice. Son club refusait de le transférer vers le club français Dunkerque si ce dernier ne lui verse pas une indemnité de transfert. Bosman était en fin de contrat, et a attaqué la prétention de son club à réclamer une quelconque indemnité, ainsi que la limitation à trois du nombre de joueurs étrangers par club. Par un arrête rendu le 15 décembre 1995, la Cour européenne a donné raison au joueur belge, considérant que les règles de l’Uefa qu’il avait attaquées étaient contraires à l’article 39 du Traité de Rome sur la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de pays membres de l’Union européenne.
C’est depuis cet arrêt historique que les joueurs issus des pays de l’Union européenne ne sont plus considérés comme étrangers dans les clubs professionnels de football sur le Vieux continent, mais présentés comme "joueurs communautaires". Fernand Taninche, va-t-il aboutir au même résultat spectaculaire? La différence de contextes sociopolitiques entre l’Europe et l’Afrique appelle à la réserve. Mais au moins, le téméraire intermédiaire aura eu le mérite de briser la loi de l’Omerta qui gouverne habituellement les affaires mafieuses du football. On peut présager que, dans le microcosme alambiqué du football camerounais, rien ne se passera plus comme avant. Grâce peut-être à Taninche!
Source: Quotidien Mutations
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