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Racisme : un Camerounais et son ami tabassés à Montauban
(02/11/2009)
Dieudonné Kaffack et son ami Stéphane ont été victimes d'une agression dans un bar de Montauban. L'enquête menée par la police "suit son cours" depuis un mois.
Par Le Monde
Ils les ont drôlement arrangés. Dieudonné et Stéphane se tiennent la main sur la photo avec un pauvre sourire, les yeux pochés, le teint violacé, le visage couvert de plaies et de croûtes. Et encore, c'était une semaine après l'agression, les deux hommes ont eu le temps de se remettre. Ils se sont fait lyncher, un soir de septembre à Montauban, pour rien, et sans avoir eu le temps d'ouvrir la bouche. Dieudonné parce qu'il est noir, Stéphane parce qu'il était avec un Noir.

Il n'était pas bien loin de 1 heure du matin, ce 20 septembre, au café des Lansquenets, dans le nord de Montauban. Les deux copains venaient de regarder le match OL-PSG sur l'un des grands écrans du café, qui est plutôt porté sur le rugby, mais il faut bien faire tourner le commerce. Dieudonné Kaffack, un grand gaillard de 38 ans, est Français, né au Cameroun et arrivé à Paris à 18 ans. Il a rencontré en Charente une jolie militaire, réparatrice de parachutes, qui a fini par atterrir à Montauban. Il l'a suivie en 2001, l'a épousée, ils ont trois enfants.

Dieudonné est dessinateur industriel, souvent en intérim, et solide joueur de foot. Il a été coach et capitaine d'une équipe de village près de Montauban, un club en deuxième série mais tellement sympa qu'on vient y jouer depuis Toulouse. C'est là qu'il a rencontré il y a quatre ans Stéphane Denys, dit Tintin, 38 ans, agent de comptoir dans une boîte de location de voitures, doux comme un agneau et membre du club depuis 1995.

Les deux amis, après le match, regardent les buts des championnats européens en finissant leur demi - ils n'ont pas bu plus de trois bières de toute la soirée. Sophie, une copine, qui passe par là, vient leur faire une bise puis rentre se coucher. Les deux hommes sortent sur la terrasse fumer une cigarette, autour d'un des tonneaux qui servent de tables sous la pergola. Il fait doux, la nuit est calme, des groupes de rugbymen terminent la soirée en rigolant.

Deux filles demandent une cigarette à Stéphane, qui s'exécute gentiment, puis un costaud vient lui en prendre une et s'assoit à côté d'eux sans un mot. Deux autres hommes viennent à leur tour en réclamer ; Stéphane s'excuse, inquiet du débit de tabac : celles qui lui restent, c'est pour la route. "[I L'un des deux types vient alors à ma hauteur, raconte Dieudonné, et commence à m'insulter : "Sale Noir, qu'est-ce que tu fais là, t'as qu'à rentrer dans ton sale pays de merde, tu te permets n'importe quoi, nous en Afrique, on peut pas lever le petit doigt"..." ]Les deux copains, ébahis, ne répondent trop rien ; celui qui s'est assis à côté d'eux ne bouge pas.

Dieudonné se ressaisit le premier, répond, un peu inquiet : "Voilà, je me présente, je m'appelle Dieudonné, lui c'est Tintin..." L'homme qui a insulté Dieudonné dit s'appeler Cédric ; celui qui est assis répond que lui "n'a pas de prénom". Le patron du café sent venir le grabuge, envoie un habitué retenir l'excité. Dieudonné et Stéphane se disent qu'il est peut-être temps de partir. Ils font trois pas sur le trottoir, mais les deux gars sont sur leurs talons. Celui qui dit s'appeler Cédric bouscule Stéphane : "Est-ce que t'as quelque chose entre les jambes, est-ce que t'as fait l'armée ?" Stéphane marmonne : "Oui, oui, t'as raison", et prend un grand coup de tête sur la base du nez. Il titube et s'évanouit sur le trottoir.

L'homme sans prénom s'est levé et frappe à son tour Dieudonné, "une rafale de droites-gauches". Dieudonné, sonné, fait le tour de la terrasse, mais les deux hommes sont derrière lui. Il court sur une centaine de mètres, prend la première rue à gauche, mais ils sont toujours là, il trébuche, ils le frappent à coups de coude, de poing, de pied.

Heureusement, un rugbyman de Castelsarrasin qui venait d'arroser sa troisième mi-temps arrive au pas de course. "Je leur ai dit : "De quel droit vous vous permettez ça, bim bam boum, je leur ai distribué trois claques, j'ai fait un peu de nettoyage, quoi. Ils se sont barrés." L'homme, qui est aussi pompier volontaire, traîne Dieudonné, à demi inconscient, jusqu'au café. "C'est lui qui a arrêté le lynchage, dit Dieudonné. Sans lui, j'aurais sûrement perdu un oeil." Et peut-être pire. Ils retrouvent Stéphane, assis sur une chaise sur le trottoir. Le patron des Lansquenets lui lave le visage avec de l'eau de Vittel. Les pompiers et la police sont arrivés très vite, on embarque les deux blessés à l'hôpital.

Les dégâts sont sérieux. Dieudonné a une fracture du plancher orbital, qu'il a fallu reconstruire, on lui a refait le nez en silicone, il a des troubles de la vision. Stéphane a le nez cassé, une fracture de l'orbite gauche, des bulles d'air entrées dans le crâne, l'arcade sourcilière éclatée et des contusions de toutes sortes. Huit jours d'"incapacité temporaire totale" (ITT) pour chacun, et un mois d'arrêt de travail.


"On récupère doucement", sourit Stéphane, mais il s'en remet mal. Il prend des antidépresseurs, dort debout toute la journée, mais se réveille chaque nuit. Dieudonné ne va pas plus fort. Il a l'oeil encore plein de sang, ne comprend toujours pas bien ce qui a pu arriver cette nuit-là, si loin de sa vie tranquille dans son petit pavillon propret, à la sortie de Montauban. "J'ai des migraines et des vertiges, explique Dieudonné, je vois flou dans les angles et je fatigue très vite." Lui aussi se réveille tous les jours avant l'aube et "se refait le film".

Liliane, l'épouse de Dieudonné, est passée quelques heures après l'agression au commissariat. "Ils m'ont dit qu'ils porteraient plainte quand ils seront sortis de l'hôpital et qu'ils avaient un an pour le faire." Une de ses amies lui dit que ce n'est pas normal et elle y retourne le surlendemain, insiste pour déposer une main courante. Les deux blessés sortent de l'hôpital le week-end suivant, portent plainte le mardi 29 septembre. Depuis l'enquête va doucement son rythme. Personne n'a été interpellé. Le parquet explique que les victimes "ont porté plainte bien tard", la police signale qu'elle recherche les témoins.

L'enquête ne semble pourtant pas très difficile. Sophie, la copine passée au café vers minuit, connaissait l'un des deux agresseurs, celui qui disait s'appeler Cédric, un copain de son ex-compagnon. Elle a même trouvé une photo de lui, dans une équipe de rugby locale. Dieudonné et Stéphane l'ont formellement reconnu, le patron du café confirme l'identité du client, que la police avait à l'oeil. Il a déjà eu des ennuis et "n'a pas le QI d'un premier de la classe", assure un policier.

Reste le deuxième homme, mais le bar était plein et il ne devrait pas être trop difficile de l'identifier. "Ça fait un mois, maintenant", soupire Stéphane. Les deux hommes ne sont pas rassurés de savoir leurs agresseurs dans la nature. Jusqu'ici, Dieudonné n'avait pas eu de problèmes de racisme à Montauban. Il a bien fallu expliquer à son aînée, qui va sur ses 8 ans, pourquoi son père avait la tête au carré. "Papa, moi qui suis marron, a dit la petite fille, est-ce qu'on va me chasser aussi ?"


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