Dans Cinq surveillances de base
pour une entreprise compétitive, nous avons vu que le monitoring de
l’information formelle et informelle, de la concurrence, des grandes tendances
du marché, des technologies et des ONG spécialisées peut être décisif pour une
entreprise en compétition. Nous sommes malgré tout arrivés à la conclusion que,
face au durcissement des affrontements économiques sur la scène internationale,
l’entreprise africaine est contrainte de passer à l’étape suivante, à savoir
l’intelligence économique, entendue comme un processus de collecte, de
traitement et de diffusion de l’information utile aux acteurs économiques. Or,
dans ce domaine, seules, les entreprises peuvent à la fois beaucoup et pas
grand-chose. Elles peuvent beaucoup parce qu’une entreprise, prise isolément,
est capable de mettre en place une unité d’intelligence économique ou de veille
stratégique performante, à l’instar de la BMCE Bank au Maroc ; pas grand-chose,
hélas, parce que la guerre économique, telle qu’elle frappe le continent, exige
que d’autres acteurs de poids se tiennent instamment aux côtés des entreprises
dans le cadre d’une stratégie continentale. Il s’agit des organisations de la
société civile, des Etats, des organisations sous-régionales et de la nouvelle
Autorité africaine.
Les entreprises
Les enjeux de l’intelligence économique pour les entreprises africaines sont
désormais clairement énoncés : pour survivre et rester compétitives, elles
doivent profiter des opportunités offertes par la société de l’information pour
s’interroger et s’informer sur les stratégies, les méthodes et les outils des
concurrents, de manière à pouvoir anticiper et même innover avec le maximum de
rapidité possible. Ici, le facteur temps est primordial, de même que le
caractère informel d’une bonne partie de l’information stratégique disponible en
Afrique. Par conséquent, les rôles doivent être bien définis au sein de
l’entreprise entre ceux qui observent, ceux qui analysent et ceux qui décident.
Tous doivent avoir à l’esprit que l’amélioration des résultats de l’entreprise
dépend en partie de leur capacité à interagir en interne, ainsi qu’en externe,
avec les ministères et organisations de la société civile compétents.
Les ministères et organisations de la société civile
Mis à part la révolution tant attendue au sein des services de renseignements
africains pour se déployer sur le terrain de la guerre économique, au même titre
que la CIA étatsunienne, le FSB russe, le MI 5 britannique, le Mossad israélien
ou le Guoanbu chinois, le modèle de référence pour ce qui concerne les
dispositifs étatiques d’intelligence économique reste le super Ministère
japonais de l’économie, du commerce extérieur et de l’industrie, plus connu sous
son abréviation d’origine, MITI. Crée en 1949 par des anciens des services
secrets, il s’est fixé pour mission de favoriser les technopôles dans
l’archipel, de surveiller les échanges du Japon avec l’extérieur, d’informer et
d’accompagner les entreprises nipponnes à l’international. Ce modèle est
d’autant plus adaptable aux pays africains, qu’il a été institué dans un Japon
complètement dévasté par la 2e Guerre mondiale et qu’il a réussi à fédérer les
secteurs publics et privés du pays avec les résultats qu’on connaît. Associées à
ce schéma, les organisations de la société civile (syndicats, ONG et
associations) ont une partition non négligeable à jouer aux côtés de l’état.
Les états
L’influence des états a toujours été un facteur clé des succès économiques des
entreprises à l’international. Aujourd’hui, mieux qu’hier, la diplomatie
économique africaine doit être plus ciblée et plus offensive. Ciblée vers les
instances de décisions et de fabrication des normes en renforçant les capacités
de renseignement et de négociation des représentants africains auprès
d’organisations telles que l’OMC ; offensive au point de quitter son nombrilisme
pour partir à la conquête de marchés extérieurs. Les résultats de la diplomatie
économique libyenne de ces trois dernières années dans des pays européens tels
que la Suisse ou l’Italie tracent le chemin. Au jour d’aujourd’hui, la Banque
centrale Libyenne, la Libyan Investment Authority et la Libyan Foreign Bank ont
notamment investi chez des géants tels qu’UniCredit Banca ou le pétrolier ENI,
des investissements ayant la particularité de cibler des sociétés italiennes,
leaders dans des secteurs dits stratégiques, comme l’a révélé Il Corriere della Serra, dans
une enquête publiée début septembre dernier.
Les communautés économiques régionales
Au-delà des Etats, la stratégie d’intelligence économique préconisée s’appuie
sur les cinq communautés économiques régionales, que sont : la CEEAN au nord, la
CEEAE à l’est, la CEEAO à l’ouest, la CEEAC au centre et la CEEAA au sud du
contient. Cet arrimage à l’existant vise à la fois la consolidation du processus
d’intégration économique et l’émergence de pôles de compétitivité où la
recherche et l’innovation sont au service de la croissance. Dans cette
perspective, le test engagé dans la région de l’Oriental, au Maroc, est (un
exemple certes local, mais…) à suivre, d’autant qu’elle est la première grande
initiative connue d’intelligence territoriale en Afrique et qu’elle intègre des
partenaires institutionnels (tels que le Centre régional d’investissement ou la
Fédération nationale des chambres de commerce, d’industrie et des services…) et
des acteurs de la société civile (tels que l’association marocaine
d’intelligence) comme le préconise l’Autorité africaine.

L’Autorité africaine
Au sommet de la pyramide, le souci d’une stratégie intégrée d’intelligence
économique pour l’Afrique est lisible en filigrane dans L’Union africaine en marche,
texte publié dans Le Monde
diplomatique nº 666 de septembre
2009. Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine, y écrit : « Je
reste, en effet, fondamentalement convaincu que (l’Afrique) ne pourra résister aux défis de la
globalisation qu’unie et solidaire. » Cette posture est appuyée par la
Banque africaine de développement (BAD), suivant la Résolution CM/Res.464 (XXVI)
de la 26e session ordinaire du Conseil des ministres de l’OUA, sur la nécessité
d’une « seule entité d’intégration qui sera le point d’ancrage et le creuset
où tous les Etats de la région élaboreront et mettront en œuvre leurs politiques
dans des domaines intégrateurs tels que les transports et communications,
l’industrie, l’agriculture, l’énergie, l’éducation, la science… » et
l’intelligence économique.
© GWETHMARSHALL CONSULTING
Source : François Jakobiak, L’intelligence
économique, Editions d’Organisation, 2004

Source : François Jakobiak, L’intelligence économique, Editions
d’Organisation, 2004
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