Car les putschistes ont voulu attenter à la vie du chef de l’Etat, Paul Biya, nouvellement promu à la tête du pays, au risque de plonger la nation dans un bain de sang. De nombreuses familles ont été endeuillées. Plusieurs opérateurs économiques et citoyens ordinaires ont perdu la plupart de leurs biens. Pendant des années, la population est restée traumatisée par cette odieuse initiative.
Mais au-delà de sa condamnation, l’acte, répréhensible, du 6 avril 1984 a été à l’époque justifié par ses auteurs par un message radiodiffusé des putschistes (Cf. texte ci-contre) qui reste d’actualité, vingt quatre ans après au regard du contexte actuel.
“ L’armée nationale vient de libérer le peuple camerounais de la bande à Biya, de leur tyrannie, de leur escroquerie, et de leur rapine incalculable. (…) Le gouvernement et ses agents propulsés à la tête des rouages de l’Etat, agissaient avec comme pour seule devise non de servir la nation, mais de se servir. Oui, tout se passait comme s’il fallait se remplir les poches le plus rapidement possible, avant qu’il ne soit trop tard ”, avaient prévenu les jeunes officiers et sous officiers de l’armée camerounaise regroupés au sein du mouvement “ J’OSE ”.
Oiseaux de mauvaise augure ?
A l’aune des arrestations et d’auditions actuelles d’anciens ministres et hauts responsables du régime, l’histoire leur donne raison. A l’exception de quelques personnalités, tous ceux qui sont ou seront bientôt dans les serres de l’oiseau rapace qui plane sur le Cameroun, sont des cadres du biyaiïsme. La plupart ont eu accès à des postes élévés dans la hiérarchie administrative à partir de novembre 1982. Quinze mois après, leur gestion de la fortune et du patrimoine publics était déjà décriée et dénoncée. A la vérité, le message des putschistes, bien que diffusé dans un rayon limité, a ouvert les yeux au peuple camerounais. Entre 1986 et 1987, le Cameroun a embrassé comme par hasard la crise économique. Ce crash intervient deux à trois ans après la démission de Ahmadou Babatoura Ahidjo qui, selon des analystes, aurait plutôt laissé des finances saines et un pays prospère.
Malgré un environnement économique international morose, certains analystes estiment que la gabegie, les détournements massifs de deniers publics et la course à l’enrichissement illicite et rapide de certains gestionnaires de la fortune publique ont précipité le Cameroun dans la crise économique. Face aux multiples cris de détresse du peuple, le chef de l’Etat avait à l’époque demandé des preuves. Le train de vie ostentatoire des fonctionnaires et autres personnels administratifs était pourtant criard.
Il se manifestait par des voitures de luxe roulant sur des routes en état de délabrement très avancé. Cerise sur le gâteau, un texte du président de la République autorise même les fonctionnaires et personnels administratifs de faire des “ affaires ”. Le monde des affaires prend un sérieux coup. Les “ professionnels ” sont maltraités par des “ apprentis sorciers ” qui prospèrent dans la surfacturation et les marchés fictifs. Une porte grandement ouverte à la distraction des fonds publics…
Le temps du Prince
La pêche aux baleines engagée en 1997, après un coup de froid, a repris du service depuis janvier 2006. Elle se fait certes à dose homéopathique. Mais elle vient confirmer le mal. Jusqu’ici, le bilan des anciens gestionnaires de la fortune et du patrimoine publics est quantitativement négligeable. Mais, la qualité des hommes et femmes pris dans le cadre de l’assainissement des mœurs publiques, baptisée “ Opération Epervier ” est un indicateur non négligeable de l’ampleur de la gangrène. La question que l’on se pose, c’est de savoir pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
A en croire certaines sources, le ministère de la Fonction publique et du contrôle de l’Etat à l’époque avaient bouclé des dossiers noirs qui ont toujours dormi dans des tiroirs à la présidence de la République. Garga Haman Adji qui, du 7 décembre 1990 au 25 novembre 1992, a piloté ce département ministériel, a été obligé de jeter l’éponge pour protester contre le laxisme et l’impunité des baleines qu’il avait annoncées dans ses filets.
Comme si cela ne suffisait pas, le contrôle supérieur de l’Etat a été arraché au ministère de la Fonction publique pour le noyer à la présidence de la République. Comme le volet concernant la déclaration des biens et avoirs exigée à l’article 66 de la Constitution à tout gestionnaire de crédits et des biens publics, les dossiers ficelés par le contrôle de l’Etat relèvent de la seule discrétion du chef de l’Etat. Conséquence, Il fait arrêter qui il veut, quand il veut et pour des raisons qui lui sont propres. Malgré la liberté de la justice criée sur les toits, le Cameroun est soumis à une justice du Prince.
Source: Le Messager
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