Norbert Braakhuis quitte le Cameroun pour apporter la paix au Soudan
Quelques heures avant son départ, Norbert Braakhuis a accepté de s’entretenir avec Le Messager sur diverses questions d’actualité au Cameroun. Dans un franc parler peu ordinaire pour un diplomate, il donne son point de vue sur des dossiers brûlants tels que l’opération Epervier et sur son rôle dans ce cadre. L’immobilisme dans l’administration camerounaise, la corruption et la mal gouvernance sont passés au peigne fin. Il y aborde aussi la succession du président Paul Biya à la tête de l’Etat. Avec une verve particulière, il porte un regard sur la classe politique camerounaise, y compris l’opposition, revient sur les émeutes de février dernier et les leçons à en tirer. Les relations bilatérales et multilatérales entre son pays et le Cameroun ne sont pas en reste, de même que la problématique des droits de l’Homme et de démocratie, le point d’achèvement de l’Initiative Ppte, l’évolution dans le conflit frontalier de Bakassi ainsi que l’avenir de cette région. En toute vérité, il parle sans détour. On parle de ses efforts pour faire bouger les affaires dans un pays aux mœurs réputées difficiles, comme le Cameroun, ce qui permet de passer quelques messages au sommet de l’Etat. Marié depuis 31 ans à une Française de Bordeaux, et père de deux enfants, ce politologue, la cinquantaine dépassée, a servi dans pas mal de pays dont plusieurs en Afrique, notamment au Sénégal, au Kenya, etc. Il a aussi été en Amérique latine, en Bolivie, en France, pour diverses fonctions. Il a écrit sur l’observation des élections en Afrique, sur le secteur informel et travaille sur la différence des générations. A cœur ouvert, il nous a parlé. Lisez plutôt !
(1ère partie)
Au moment où s’achève votre séjour entamé il y a trois ans au Cameroun, quel est le sentiment qui vous anime ? Joie ? Regrets ?
Je pense que le sentiment qui prédomine c’est des regrets. Je pars avant la fin de ma mission. Normalement mon séjour devait encore s’étendre jusqu’au milieu de l’année 2009. J’ai essayé de contribuer à la mise en marche de beaucoup de choses. En premier lieu l’ouverture de l’ambassade et ensuite la réfaction du bâtiment. On entend les perceuses depuis presque un an ici. Et dans un mois, quand je serai juste parti, cela touchera à sa fin. J’aurais aimé être dedans, bien sûr. Je regrette aussi le fait que beaucoup de choses qui ont été mises en marche dans le pays avec notre assistance n’ont pas pu aboutir durant mon séjour. D’un côté la présence Néerlandaise parmi les entreprises, des missions de reconnaissance des investisseurs, des appuis à gauche à droite, beaucoup d’activités dans les domaines portuaires et forestiers. Donc ma mission n’est pas terminée. J’avais vraiment prévu que beaucoup de ces programmes arriveraient à maturité entre maintenant et mon départ l’année prochaine. En revanche, si l’opportunité qui m’est offerte, comme occuper le poste de Khartoum (qui est notre plus grosse ambassade et notre plus gros programme en Afrique, très orienté vers le retour à la paix et l’établissement des institutions de l’Etat, préalables à tout développement) se présente, il est impossible de dire non, surtout que mon intérêt pour ce poste est connu depuis longtemps..
On vous a entendu déclarer que votre affectation à Khartoum est une promotion. J’aimerai bien comprendre en quoi partir du Cameroun pour le Soudan peut être considéré comme une ascension dans votre carrière.
Je suis africaniste et politologue. En tant que directeur adjoint de l’Afrique avant de venir ici, j’ai pu contribuer fortement à réformer notre politique africaine qui est très orientée vers la résolution des conflits et l’appui au fonctionnement des structures étatiques. Quand deux pays qui sont au cœur des plus grands conflits en Afrique, le Congo et le Soudan, deviennent tous les deux prioritaires, il est évident qu’on a envie d’y être physiquement. Donc pour moi, c’est une continuité dans ce que j’ai mis en marche avant et c’est un poste qui est politiquement très important. L’attention politique pour ce qui se passe au Soudan est très élevée.
Quel est le fait le plus marquant que vous avez vécu depuis que vous êtes au Cameroun ? Qu'avez-vous aimé le plus ? Que gardez-vous comme souvenir de ce pays ?
Un souvenir qui me tient particulièrement à cœur, c’est la joie de jouer dans une équipe de volley mixte avec des Camerounais et quelques amis étrangers. Et surtout de faire des tournois à Kribi et ailleurs. C’est la joie d’être en dehors du contexte diplomatique, et faire des choses que tout le monde fait. D’autres faits marquants, c’est les balades dans les marchés locaux. Bref, c’est quand je suis avec des amis, en dehors du travail officiel. Parce que le Cameroun, tel qu’il est pour les camerounais eux-mêmes, c’est une véritable découverte, en ville comme à la campagne. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué. Autre chose marquante, ce sont les petites visites sur le terrain comme à Rey Bouba, ou bien des visites dans les forêts, dans le cadre de mes fonctions de représentant Néerlandais dans le partenariat pour les forêts du bassin congolais. C’est à la fois du travail et du plaisir. Autre chose qui m’a marqué, d’une manière plus problématique, c’est que 27 ans après mon retour au Cameroun, où j’ai mis mes premiers pas en 1978, je trouve un pays qui est en stagnation. Dans le monde actuel qui évolue vite, stagnation veut dire régression. Vu les richesses du pays, vu l’importance du Cameroun pour la stabilité régionale et aussi pour la croissance régionale, c’est quelque chose que personne ne devrait pouvoir accepter, ni les autorités, ni les camerounais ordinaires, ni les amis du Cameroun. C’est très frappant et même consternant. Presque 30 ans après mon premier séjour ici, on s’attend à retrouver un pays en plein essor, et on le découvre trop immobile pour pouvoir accélérer son développement. Avec un taux de croissance démographique de l’ordre de 3 à 3,5%, la croissance économique doit se situer au minimum à 7, 8, voire 10 ou 12%.
Quel Cameroun avez-vous trouvé en arrivant il y a 3 ans, et lequel laissez-vous en partant ?
A mon arrivée, j’ai trouvé un pays où pas mal de monde ne prenait pas ses responsabilités ; que ce soit dans le privé ou dans le public. J’ai souvent constaté que les réseaux de proximité sont plus importants que l’Etat ou le Cameroun en général. Ce que j’ai défini, face à des amis au gouvernement, comme une absence de patriotisme. Quand on a de très hautes responsabilités, c’est quelque chose qui ne peut être accepté. Cela explique pourquoi beaucoup de fonds débloqués par l’Etat, que ce soit dans le secteur public ou parapublic n’arrivent pas à destination. De surcroît, beaucoup de ces fonds ne s’investissaient pas au Cameroun, mais partaient à l’étranger. C’est un appauvrissement par ceux qui sont responsables de l’enrichissement du pays.
Quelle est votre plus grosse frustration depuis votre arrivée au Cameroun ?
Pour ceux qui me connaissent, je suis plutôt fonceur. Ce qui frustre, c’est la lenteur des décisions, les retours en arrière, la recherche des équilibres politiques avant le développement. Ce sont des choses qui constituent une frustration pour quelqu’un qui veut que ça avance vite. De l’autre côté, et c’est un grand plaisir au moment où je pars, c’est que beaucoup de gens, y compris en haut de l’Etat, comprennent qu’on est à un tournant. Je pense même que ce tournant est entrain d’être pris. On est en phase d’accélération au Cameroun, même si cela n’est pas encore perceptible pour tous et à tous les niveaux. Pour que cela gagne en efficacité dans la durée, il y a besoin d’un grand changement de comportement. J’ai dit il y a peu de temps sur une chaîne de télévision que chaque Camerounais doit faire son propre examen de conscience. Je pense que le changement que tout le monde souhaite et dont tout le monde a besoin, ne peut se faire sans que tout le monde s’y mette. Ca devrait amener rapidement, vu le potentiel, à la création d’emplois, et à un taux de croissance plus important. Pour cela, il y a pas mal d’obstacles qui doivent être levés. Il y a un effort commun à faire. Je répète d’ailleurs régulièrement qu’on ne devrait pas critiquer ce qui ne va pas, sans mettre la main à la pâte et faire en sorte que ça marche. Sinon, il faut se taire.
Quel Bilan faites-vous de votre séjour au Cameroun ? Qu’est-ce que votre pays a pu apporter de fondamental aux populations camerounaises à travers votre personnalité ?
Ce serait trop de prétention. Un ambassadeur c’est quelqu’un de passager, par définition. Nous venons, nous regardons, nous partons. Je sais cependant que pas mal de personnes regrettent mon départ. Vu le profil relativement prononcé que j’ai dans la lutte contre la mal gouvernance, certains ne verront pas d’un mauvais œil que je parte. D’autres trouvent espoir dans ce que je fais. Et dans ce sens, j’ai peut-être pu apporter quelque chose avec mon ancien collègue et ami Niels Marquart (ancien ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun, Ndlr). Si on a pu déclencher un début de mouvement, ce serait quelque chose de positif, à condition que cela continue. J’ai confiance en cela.
On sait que des missions diplomatiques dont la vôtre ont poussé le président Paul Biya à lancer cette opération baptisée Epervier. Quelle a réellement été votre participation dans la mise en place et la conduite de cette opération ?
Il y a plutôt eu une convergence. Il y a eu l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Ppte qui aurait dû déclencher une véritable croissance, avec le rééchelonnement de la dette du Cameroun. Ça a été un moment de très grande concertation. D’un côté, au niveau des chefs de mission diplomatiques les autorités et de l’autre côté la communauté internationale, en particulier les Européens, les Américains, les Japonais, les Canadiens et les grandes institutions financières internationales dont la Banque mondiale, le Fmi et le Pnud. Nous voulions être clairs concernant nos attentes et donner les signaux politiques appropriés. Certains d’entre nous, comme Niels Marquart et moi-même, avons été à l’origine de la mise en place de ce ‘groupe des 8+6’. Nous avons annoncé clairement que le rééchelonnement de la dette devrait impérativement déclencher un développement accéléré. Si c’était juste pour que le pays puisse à nouveau s’endetter, ça ne servait à rien. Si le pays ne s’attaque pas à la mal gouvernance et à la corruption, aux réformes institutionnelles, sa chance passerait. Donc il y a eu des contacts intensifs entre les autorités et nous, et peu d’ambiguïté dans nos propos.
Quel était concrètement le message que vous leur portiez ?
Je crois que, dans l’ensemble, le message était : “ Si vous n’appliquez pas les changements nécessaires, vous courrez un grand risque de glisser lentement vers une situation visible ailleurs en Afrique, ce qui est pour vous comme pour nous quelque chose à éviter à tout prix. ” L’opération épervier est intervenue, qui à ses débuts aurait pu n’être qu’un coup sans suite. La continuité, avec ces efforts de concertation permanente de la part du groupe des 8+6, mais aussi à travers l’assistance de beaucoup parmi nous pour retrouver les fonds cachés à l’étranger est fondamental. Il est primordial de donner un appui au chercheur principal qui fait un excellent travail. Je pense qu’il a besoin de plus de moyens encore. Tout cela a permis aussi de voir l’étendue du problème de la mal gouvernance au Cameroun.
Peut-on avoir une idée précise du volume de ces fonds retrouvés à l’étranger ?
La seule chose que je peux dire, c’est que c’est très volumineux, beaucoup plus gros que ce que beaucoup de gens pensent.
Les camerounais peuvent-ils compter sur ce groupe des 8+6 pour rentrer un jour en possession de leur agent volé ?
Nous apportons notre assistance pour retrouver ces fonds-là. J’ai personnellement été à La Haye avec le chercheur principal, pour discuter avec nos ministères impliqués dans ces enquêtes, pour que soit mis en place une assistance. Cette assistance ne se limite nullement aux Pays-Bas, d’autres font leur part de travail et je suis certain de la volonté des plus hautes autorités d’aller de l’avant, et en dernier lieu, le Président Paul Biya lui-même. On voit qu’il n’y a quasiment pas un jour sans que des actions ne soient entreprises. Il y a eu des arrestations et j’espère que ce sera le cas bientôt pour d’autres personnes Je crois que l’impunité qui existait touche à sa fin. Mais la grande question est de savoir si cela va se traduire à des échelons plus bas aussi. Le policier dans la rue, le fonctionnaire qui doit délivrer un document, mais qui ne le donne que si vous payez à moins de vouloir patienter deux mois. Un changement de mentalité s’impose.
Le Cameroun a plusieurs fois été classé parmi les pays les plus corrompus du monde. Quel commentaire son rang vous a-t-il souvent inspiré ?
Ce classement se base souvent sur peu d’enquêtes. Mais il est évident, comme le montrent d’abondants exemples, que le problème est omniprésent. Ce qui est un indicateur intéressant, c’est qu’autour de moi, depuis un certain moment, on explique que les Nigérians trouvent que les Camerounais les ont dépassés en matière de corruption.
Etes-vous satisfait du déroulement de l’opération Epervier ? Beaucoup pensent que c’est à tête chercheuse.
Il n’y a pas une équipe pléthorique qui travaille là-dessus. Donc forcément, on commence là où c’est le plus évident. Il faut souligner que je ne suis pas dans le fin secret des investigations et je ne souhaite pas y être. Ce n’est pas ma tâche. C’est à d’autres de le faire. Et c’est un travail de longue haleine. Rien de plus difficile que de retrouver des fonds qui se sont évaporés dans le système bancaire international. En définitive, je n’ai pas l’impression que c’est à tête chercheuse. Et même si ce fut le cas, il faut bien se dire qu’il faut commencer quelque part, pour briser ce cercle vicieux.
Vous pensez donc que le président Biya qui mène cette lutte tient le bon bout ?
Mon impression est que oui !
Et si on disait, comme certains observateurs de la scène qu’il crache en l’air et que cela risque de retomber sur son visage ?
Ce qui est essentiel, c’est le constat qu’il montre de manière claire que des changements doivent intervenir. Et qu’il fait ce qui doit être fait pour y arriver. En tant que président, il détient le pouvoir pour donner les impulsions nécessaires, et il le fait. C’est très positif.
Quel commentaire vous inspire la non application de l'article 66 de la Constitution camerounaise qui impose à chaque fonctionnaire camerounais nommé à un poste de responsabilité, dans la gestion des affaires publiques, de déclarer ses biens au début et à la fin de l'exercice de cette fonction ?
La non application de cet article est injuste envers l’ensemble des Camerounais. Le gouvernement a promis à maintes reprises son application, en nous faisant même comprendre que les textes étaient prêts. Alors s’ils sont prêts, qu’on les publie. Et si une commission doit voir le jour, qu’on la nomme rapidement. Après 10-12 ans, il n’y a plus d’excuse pour cette lenteur. Sinon, le soupçon l’emporte que des gens veulent frustrent l’application de cet article pour se mettre à l’abri. Notre groupe de 8+6 a été on ne saurait plus clair là-dessus et sa position n’a pas bougé d’un pouce.
Considérez-vous donc comme un échec le fait de n’avoir pas réussi à faire appliquer cet article avant votre départ du Cameroun ?
Non, ce sont des processus. Il y a plein de choses qui doivent se faire. On parle d’un échec si rien ne bouge. Je pense que cet article doit être presque en application. Parce qu’il est impensable que ça dure encore longtemps. Je ne crois par exemple pas que ceux qui sont en train de lutter contre la corruption trouvent intérêt à faire traîner cela. Cet article doit être parmi leurs plus grandes priorités. Je ne parlerais donc pas d’un échec, mais d’un retard.
Vous avez une idée précise de la liste des présumés voleurs de deniers publics encore en circulation ?
C’est à ceux qui détiennent des preuves d’en juger.
Est-ce que vous avez aperçu une liste en passant ?
Tout comme vous, j’ai pris connaissance de la liste qui a été publiée. Elle n’est pas tombée du ciel ou fabriquée de toutes pièces par un journaliste. Il faut donc la prendre au sérieux. Mais ce n’est pas la même chose qu’une preuve. Il faut des investigations. Ceux dont les noms figurent sur cette liste ne sont pas des gens à traduire automatiquement en justice. C’est vrai qu’on investigue beaucoup, c’est normal, ça fait partie du changement. Ce qui nous intéresse c’est qu’on se comporte, à tous les niveaux, de telle manière qu’on ne figure pas sur cette liste.
Comment appréciez-vous l’attitude de l’armée face à l’enrichissement illicite des dirigeants au Cameroun ?
Quand on parle de la gouvernance, on ne peut pas en exclure tout un secteur. Les forces de sécurité devraient être ceux qui montrent par l’exemple la voie à suivre en termes de moralité. Il faut donc regarder de près s’il n’y a pas des brebis galeuses. C’est un sujet qui a été longtemps tabou. Quand je vois que de hauts militaires sont pris dans des actions plus que douteuses en matière de coupe de forêts ou de chasse, si on voit les palais qui se construisent ci et là, alors il faudra assainir. Les forces de sécurité défendent les intérêts de l’Etat et doivent être impeccables. Il va de l’intérêt de l’Etat que les hommes de troupe aient une totale confiance dans la droiture de leurs chefs, en tirent une grande fierté. Si des réformes dans ce sens sont nécessaires, alors il ne faut pas trop tergiverser. Sans pour autant perturber des équilibres.
Permettez Excellence, que j’évoque quelques dossiers brûlants à tout hasard et vous me dites ce que vous en pensez :
- dossier Camair ?
Je ne pense pas qu’il revient à un ambassadeur de se mettre à la place des autorités judiciaires du Cameroun. Je peux juste observer, pour ce que j’en sais, que le dossier Camair est arrivé à maturité et que dans peu de temps, on devrait avoir des nouvelles de la part des autorités compétentes.
- l’affaire Albatros ?
Pareil au même. Je pense qu’à l’heure qu’il est, les faits essentiels sont connus des autorités. Et tel que je vois comment on agit avec l’opération Epervier, ça m’étonnerais que cela n’aboutisse pas à des actions.
Comment avez-vous appréciez les émeutes de février 2008 qui ont conduit à l’arrestation de plusieurs jeunes camerounais ?
Au début, on a insinué que l’opposition était à l’origine de tout cela. Par la suite, on s’est rendu compte que c’était très peu probable. Je pense que c’est aux autorités de faire la lumière là-dessus. En revanche, ce qui est inquiétant, c’est la rapidité avec laquelle le feu a pris. Donc, ça a libéré un véritable mécontentement populaire. Quand l’économie informelle prend le dessus sur le secteur formel, quand il n’y a pas croissance, quand le revenu moyen est au niveau du Burkina qui n’a pas trop de ressources, il est logique que des gens qui ont étudié, qui ont des diplômes, ne veulent pas devenir des gardiens de nuit pour 40 000f par mois ou moins. Un avenir bouché, de la frustration jointe à l’amertume, c’est inflammatoire. Sans agir, le pays s’engagerait dans une impasse dangereuse. Ces émeutes soulèvent deux questions. La première c’est de savoir qui est à l’origine de cela et quelles en sont les conséquences. La deuxième question c’est de savoir ce qu’on fait pour que les gens voient des issues à leurs problèmes.
L'atteinte du point d'achèvement de l'initiative Ppte a suscité beaucoup d’espoir. Mais aujourd’hui, on se demande si cela a été finalement bénéfique pour les Camerounais, vu la pauvreté qui continue de miner !
Au mois de mai 2006, quand on est allé voir le Premier ministre, lorsque tout le monde se réjouissait du fait que la croissance est déjà là, on a émis des réserves. Beaucoup de mesures qui doivent accompagner le Point d’achèvement sont encore en gestation. La reprise de la croissance en dépend. Et pour cela, il faut entre autres des privatisations, le retrait de l’Etat de secteurs où il a montré ne pas être assez performant, l’assainissement des mœurs, la mise en place d’un système de contrôle qui permette l’évasion de capitaux. Deux ans après le point d’achèvement, beaucoup de choses sont encore en attente. Le constat que le mouvement de février ne doit plus se reproduire devrait être un catalyseur pour renforcer les réformes.
Les consommateurs camerounais font face à des hausses incessantes des prix des denrées de première nécessité sans que leurs revenus connaissent une augmentation significative. Comment peuvent-ils s'organiser pour se tirer d'affaire ?
C’est un phénomène qui ne touche pas que le Cameroun. Mais la reprise de la croissance devrait permettre de supporter plus facilement ce choc. En plus, il faut augmenter la production agricole. C’est possible. Il faut encourager les investisseurs qui doivent se sentir protégés, qu’il s’agisse de petits ou de gros entrepreneurs. Si avant même la mise en place d’une entreprise, le fisc réclame déjà de l’argent, forcément celle-ci ne verra pas le jour. Si la justice n’est pas juste, et que vous faites des investissements pour qu’ensuite quelqu’un s’en empare impunément, vous n’investirez pas, que vous soyez camerounais ou étranger. Si on crée de plus en plus de règles au lieu d’en diminuer drastiquement le nombre, et que chaque nouvelle règle augmente le risque de corruption, alors on a un vrai problème. Vous êtes dans une forêt de règles tandis que d’autres pays allègent les leurs. Où va un investisseur ? Là où on lui permet de faire fructifier son capital. L’Etat doit donc jouer son vrai rôle : contrôler, normer et sanctionner. C’est là que réside sa force. Il est urgent de prendre enfin en main l’assainissement du fichier des fonctionnaires. Des chiffres qui datent de quelques années seulement signalent que l’existence de 2/3 des fonctionnaires est douteuse. Vous imaginez, la masse salariale que cela représente au niveau du budget de l’Etat ? Les économies à en tirer pourraient par exemple permettre l’extension du réseau routier.
Source: Le Messager
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