Jean-Marie Ogandaga Ndinga est un homme prudent. Délégué du gouverneur au Bureau
extérieur de Paris de la Banque des états de l'Afrique centrale, le BEP, depuis
juillet 2008, ce haut cadre gabonais avait, en avril dernier, volontairement
omis de remettre à la mission du contrôle général de la Beac chargée d'enquêter
sur les détournements de fonds en son sein une dizaine de copies de chèques
douteux en sa possession. Motif : l'identité « sensible » de leurs
bénéficiaires. Mais une fois le scandale révélé par Jeune
Afrique et le tsunami déclenché, il a bien fallu qu'il s'exécute.
Dans le rapport d'enquête qu'elle vient de rédiger, la direction du contrôle
précise donc que lors de son dernier séjour à Paris, fin septembre, sa mission
s'est finalement fait remettre lesdites copies des chèques qualifiés de
frauduleux. Et l'on comprend mieux, à la lecture des noms des quatre
bénéficiaires, que le délégué du gouverneur ait (sur ordre ?) longuement
tergiversé avant de livrer aux enquêteurs les photocopies qu'il avait lui-même
reçues de la Société générale.
Si l'on en croit le rapport, ont bénéficié de « chèques supposés frauduleux, qui
n'ont pas été retracés régulièrement dans la comptabilité ou dont la prestation
ne semble pas avoir été réalisée au bénéfice de la banque » : Mme Annie Mebiame,
épouse de Léon Mebiame, ancien Premier ministre du Gabon ; le général André
Oyini, ancien commandant de la garde républicaine d'Omar Bongo Ondimba, neveu de
ce dernier et donc cousin de l'actuel président Ali Bongo Ondimba ; Mathias
Dzon, ex-ministre congolais de l'économie et des Finances, ancien directeur
national de la Beac à Brazzaville et candidat à la présidentielle de
juillet 2009. Enfin : Jean-Pierre Oyiba, ex-directeur de l'Office des ports et
rades du Gabon, l'Oprag, et actuel directeur de cabinet d'Ali Bongo Ondimba,
dont il est l'un des très proches.
Les montants en cause varient entre l'équivalent de 14 millions de F CFA (André
Oyini) et 136 millions (Mme Mebiame), en passant par 58 millions (Mathias Dzon)
et 65,6 millions (Jean-Pierre Oyiba). Ces chèques, qui remontent pour la plupart
à la période 2005-2007, émanent tous du compte ouvert par le BEP à l'agence
Champs-élysées de la Société générale. Le rapport d'enquête de la Beac est
formel : que leurs bénéficiaires en aient ou non été informés, il s'agit là du
produit de détournements réalisés au moyen de chèques frauduleux (imitation de
signatures, doubles paiements…) établis par le comptable Armand Brice Ndzamba et
ses complices « pour approvisionner leurs comptes personnels ou ceux de leurs
relations ».
Un nouveau rebondissement, donc, qui touche au cœur du nouveau pouvoir
gabonais – selon nos informations, le président Ali Bongo Ondimba, très engagé
dans son opération de « nettoyage », aurait signifié à son ami Oyiba qu'il ne le
couvrirait pas s'il s'avérait qu'il avait fauté –, mais sans doute pas le
dernier, puisqu'une revue des comptes de la Beac depuis le début des années
1990, préconisée par les partenaires occidentaux de la banque, risque de révéler
de grosses surprises.
Contraint par le FMI, qui a gelé ses programmes et décaissements en faveur des
pays membres en attendant que toute la lumière soit faite sur ce scandale, le
conseil d'administration de la Beac, institution jusque-là réputée pour son
opacité, se livre depuis la mi-octobre à un bel exercice de transparence. à la
publication sur le site Internet de la banque des principales pièces du dossier
succèdent les auditions en chaîne des coupables et des responsables. L'ancien
vice-gouverneur et ex-ministre congolais des Finances, Pacifique Issoibeka, et
l'actuel directeur général de l'exploitation de la Beac, l'équato-Guinéen Lucas
Abaga Nchama, sont ainsi venus s'ajouter à la liste des dirigeants passés ou
présents dont la responsabilité est – à des degrés divers – engagée : Jean-Félix
Mamalepot, Philibert Andzembé, Gata Ngoulou, Rigobert Roger Andely. Quant aux
coupables, à la fois auteurs et bénéficiaires des malversations, ils sont pour
certains en prison (Armand Brice Ndzamba et son épouse), inculpés ou en voie de
l'être (Maurice Moutsinga), et, pour d'autres, recherchés par Interpol en France
et au Maroc (l'ex-secrétaire du BEP Marie-France Robert).
Reste une troisième liste : celle des « simples » bénéficiaires présumés de
détournements, selon les rapports d'enquête. Ils sont plusieurs dizaines, dont,
on l'a vu, certaines personnalités « sensibles ». Si les faits étaient
confirmés, la moindre des exigences à leur égard serait qu'ils remboursent à la
Beac cet argent mal acquis.
Source : Jeune Afrique
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