Il est 8 heures du matin, au poste de gendarmerie de Midjivin. Dans la grande
salle, se trouve un major à la mine triste, assis avec une main à la joue ; une arme posée sur ses jambes. Le béret
rouge est également posé sur ses genoux. Il est tout seul dans ce bureau sombre.
C’est à peine s’il répond aux visiteurs et journalistes qui viennent pour un
complément d’information. “Bonjour
! Vraiment, il est très dur pour moi de vous relater cette scène. Comprenez que
c’est dur pour moi. Le capitaine a reçu trois balles sur l’épaule pendant qu’il
était en pleine opération. Et les balles sont venues en hauteur. Je ne sais pas
qui a tiré sur le capitaine. Il est mort sur le champ ”, répond-il avec des larmes aux yeux, avant de conclure : “
C’est dur. Excusez-moi. Le colonel est sur le terrain.
”. Il n’est pas seul à afficher cette mine triste.
Même dans la chefferie de Midjivin, c’est la consternation. A la compagnie de
gendarmerie de Kaélé, les gendarmes de garde émettent des réserves sur le sujet.
“Nous
ne pouvons pas vous dire avec exactitude ce qui c’est passé. C’est plutôt au
poste de Midjivin que vous pouvez avoir des informations”. Au moment de sortir de la compagnie, un
gendarme en provenance de Midjivin prend soin d’expliquer : “
Après que les assaillants aient pris huit enfants en otage la
semaine dernière, ils ont demandé des millions pour les libérer.
Ayant donc pris rendez vous avec eux pour la rançon de huit millions demandés,
les assaillants venant du pays voisin ont occupé le terrain les premiers. Et
quand le commandant de compagnie est arrivé, il est tombé sur l’embuscade
tendue. Il a reçu des balles au niveau du cou. C’est comme ça qu’il est mort sur
le champ
”.
Le capitaine Félix Leinyuy Tah, originaire du Sud Ouest commandant de compagnie du Mayo Kani, nouvellement affecté (4 mois) à ce poste, est tombé
hier les armes à la main sur le champ de bataille, où il allait libérer les
otages pris dans la zone de Midjivin.
En cours de route, les coupeurs de route leur ont tendu une embuscade.
L’opération qui ôte la vie à Félix Leinyuy Tah date de quelques jours seulement
où une nouvelle vague de prise d’otages a vu le jour à Midéo dans les
arrondissements de Mindif, Péténé et Kaélé, dans le même département, où
plusieurs autres attaques ont eu lieu il y a quatre mois seulement. Ayant donc
appris ce coup, souligne une source, il a informé les responsables de la Brigade
d’intervention rapide (Bir), d’autant plus qu’il disposait d’un faible effectif
dans ses services. Mais comme tout bon militaire, le commandant de compagnie
s’est rendu sur le terrain en attendant l’arrivée du renfort. Mal lui a pris.
Pour une élite ayant requis l’anonymat, la mort du capitaine était programmée
dans ce village. “C’est depuis qu’il a dévisagé le chef de Mizao qu’il est sous le collimateur des
assaillants. Le chef de Mizao qui a récemment écopé d’une peine d’emprisonnement
ferme de huit ans entretenait depuis longtemps des relations douteuses avec des
étrangers (coupeurs de route). Chaque fois qu’on essayait de les dénoncer, le
chef nous soumettait à certaines punitions. Plusieurs commandants ont travaillé
dans cette unité. Mais celui qui s’en va a été un exemple. Il n’avait peur de
rien ”. Des témoignages allant dans ce sens sont abondants.
Aoudou, le procureur, reconnaît que Félix Leinyuy Tah laisse un bilan positif en
4 mois de service passé à la tête de la compagnie de Kaélé. Jean Baptiste Bokam,
le secrétaire d’Etat à la Défense auprès de la gendarmerie, ne s’y est pas
trompé en lui rendant, hier, un hommage appuyé. “ C’était un homme
exceptionnel. Il n’y a pas eu une opération sans qu’on ne le voie sur le
terrain. Il a pris une permission pour aller rendre visite à sa famille et ce
n’est que mardi qu’il est revenu de Douala. Après vingt ans de service sans un
congé, la seule permission qu’il a pu prendre lui a permis d’aller dire un adieu
à sa famille. C’est dur pour nous ”, explique le procureur Aoudou en larmoyant. Avant d’ajouter :
“
J’avais toujours dénoncé cette zone de Mizao et le lamido du même
village. Personne n’a pris cela en compte. Mais, depuis qu’il est venu, il fait
des choses
”.
Pour les proches du chef de Midjivin, ces ravisseurs s’expriment beaucoup plus
en ouda et arabe choa. Une explication qui fait croire que tous ne viennent pas
du Tchad voisin. On retrouve certains Camerounais et même des originaires de ce
village dans le coup. “
Je pense qu’on doit recommencer à appliquer les méthodes du président Ahidjo.
Si, dans un village, le chef ne dit pas la vérité, il vaut mieux brûler tout ce
village. Et comme cela, les autres chefs traditionnels chefs de gangs, prendront
conscience
”, s’indigne Kuikui, natif de Midjivin.
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