Samedi 23 février 2008. Les populations riveraines du lieu dit rond point Madagascar commencent à supputer sur les raisons de la non tenue d’une marche annoncée par le Social Democratic Front (Sdf). Sur la chaussée, libérée depuis quelques minutes par les badauds accourus sur le lieu présumé de la manifestation, la vie reprend à peine son cours normal. C’est alors qu’une colonne de véhicules de la gendarmerie, un char lance eau en tête, s’immobilise. La grille de protection du char se baisse, et une manœuvre suspecte commence.
Les populations de passage, ainsi que des personnes assisses devant des bars qui jouxtent le carrefour, sont copieusement arrosées. Des bombes lacrymogènes sorties des caisses neuves sont projetées dans toutes les directions. Des fusils à pompes dégainent aussi et propulsent les tubes de gaz. Pris dans la nasse, les journalistes ne sont pas épargnés. Peu avant le début des opérations, l’adjoint au commandant de compagnie de Douala 1 leur avait déjà retiré leurs pièces d’identité.
La manœuvre solitaire des hommes en tenue va se poursuivre pendant plus d’une heure. La manette tournante du char lance eau commence à montrer quelques signes de faiblesse. La nuit tombe sur Douala, et la zone chaude de Madagascar-Brazzaville-Axe-lourd va alors vivre les pires émeutes jamais connues de ce coin de la capitale économique. De leurs retranchements, les jeunes de ces quartiers organisent la riposte contre " ceux qui ont jeté les gaz ". En plus des projectiles de toutes sortes, plusieurs centaines de vieux pneus sortent de toutes parts. Sur les chaussées, où l’arsenal ainsi constitué est entassé, les flammes s’élèvent. Sur l’axe principal qui mène à Yaoundé, les barricades sont érigées et protégées par le feu. Partout, les kiosques du Pari mutuel urbain camerounais sont saccagés.
Au cours du face à face où tous les coups sont permis, les populations s’en prennent à tout ce qui est associé aux hommes en tenue. Le commissariat du 8ème arrondissement est assailli par une bande en furie. Là, les cocktails molotov sont jetés en direction des éléments en faction qui ne savent plus où mettre de la tête. Le commissaire Désiré Kenfack qui commande cette unité appelle des renforts qui ne tardent pas à arriver.
Dans la foulée, les manifestants vont réussir à toucher " mamy water ", le char lance eau de la police venu au secours, à un point sensible. L’une de ses roues est atteinte par le feu qui immobilise le redoutable engin. Plus loin, à deux kilomètres du commissariat du 8ème, un autre édifice est saccagé. Le poste de police situé au carrefour Elf Axe-lourd est mis en feu. Du kiosque flambant neuf qui abritait quelques policiers commis à la régulation de la circulation, il ne restera que des cendres.
La Tuerie
En contrebas du poste de police détruit, un bus de la Société camerounaise des transports urbains (Socatur) a été incendié. Ses occupants, qui ont échappé juste, ont pris la poudre d’escampette, sous la menace des flammes et des jeunes " assaillants ", gonflés à bloc. Plus haut, d’autres jeunes solidaires du mouvement ont attaqué la station d’essence appartenant à la société Tradex. La station Mobil a subi le même sort. Sa boutique est pillée. C’est d’ailleurs avec empressement que la bière et les jus de fruits sont consommés par les mécontents.
Quelques instants après, ils quittent les locaux de la station Mobil pour se déverser sur la route où des dizaines de pneus sont mis à feu. Les gendarmes et les policiers débordés, répliquent par des tirs nourris de gaz lacrymogènes. Certaines bonbonnes sont retournées en direction des forces de l’ordre par les cibles présumées. Au loin, les habitants cloîtrés dans leurs maisons sont pris de panique.
Deux personnes au moins sont tombées sous les balles des forces. Le jeune Alex Raoul Pelo, un mécanicien de 18 ans atteint sur le flanc gauche est mort sur le champ au rond point Madagascar. Là également, Loveth Tingia Ndima, un vendeur de viande de porc à la braise originaire de la province du Nord-Ouest a été mortellement atteint au cou. De sources proches de leurs familles, les corps ont été transportés vers des destinations inconnues. La police et la gendarmerie se sont rejetées la responsabilité de la tuerie.
Une source policière, relayée par la Cameroon radio and television (Crtv) a soutenu que l’un des morts, le seul d’ailleurs recensé par notre confrère, avait rendu l’âme après avoir été percuté par un véhicule. Ce que démentent les témoins oculaires et les familles des victimes.
La mort des deux jeunes gens à Madagascar, a en effet radicalisé les populations riveraines. Ces bavures seraient donc à l’origine de la violence qui a secoué une bonne partie de la ville de Douala samedi dans la nuit. A Madagascar et Brazzaville, les habitants affirment avoir passé une nuit blanche. " On nous a intoxiqué à l’aide du gaz lacrymogène. Les tirs de balle nous ont fait peur. On s’est cru en situation de guerre ", a expliqué la tenancière d’un débit de boisson à la gare routière de Brazzaville. Tout près d’elle, d’autres habitants du coin qui commentaient les événements de la veille ont raconté comment " des jeunes gens qui n’avaient rien à voir avec la manifestation ont été bastonné par les gendarmes et les policiers ".
C’est hier dimanche que les policiers et les gendarmes ont évacué la zone de Madagascar au petit matin. Un responsable de la police a confié qu’il y avait eu " beaucoup de blessés parmi les policiers et les gendarmes ". Autour de 6h30, deux camions pleins de gendarmes ont été aperçus à Mboko. Ces derniers font partie des troupes mobilisées pour réduire au silence les jeunes ayant pris part aux affrontements. Ils ont passé la nuit non loin de Yassa, d’où ils entraient en ville par petits groupes pour prendre en tenaille les manifestants.
Peu avant la levée du jour, des nuages de fumée, témoins des casses de la nuit, étaient encore visibles sur les principaux axes routiers de la zone des émeutes. Le rond point Madagascar, lieu du drame et des affrontements, était envahi par des amas de cailloux et de tous genres de projectiles. Ici et là, des groupes de personnes cherchaient encore à comprendre ce qui s’était passé la veille. En attendant, l’ambiance reste chaude et la tension couve. Les populations portent le deuil.
Source: Le Quotidien Mutations
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