Compte rendu de lecture par l'auteur (Jacques Fulbert Owono) :
L’œuvre se veut être un récit autobiographique, où l'auteur raconte un bout de
son histoire personnelle. Une aventure qui dès l'âge de 11 ans, l’obligea à
tout quitter, à renoncer à tout, pour répondre à l'appel du Christ. Le récit
devient donc déchirement de l’être, entre le renoncement à la sécurité et
l’affection familiales, socle jadis de l’existence et l’acceptation de se lancer
dans les vagues troubles d’un futur incertain, fait de lois et de dogmes
nouveaux, d'apprentissage des manies et comportements de serviteur du Christ.
Le récit devient aussi tragédie, trame, lorsque l’auteur essaie de partager avec
le lecteur, cet instant x fatidique de son renvoi du grand-séminaire, à quelques
mois de son ordination diaconal et après 16 années de formation. Une exclusion
sans jugement. Une exécution sommaire, sans témoin, ni juge, ni avocat.
Dès lors, débute la descente progressive aux enfers de l’auteur, sa mise
au banc de la société, parce qu'il ne peut plus être prêtre. Et n'eut été
l'intervention d' une bonne samaritaine, sous le voile d'une musulmane, l'auteur
ne s' en serait jamais remis.
Partant donc de son expérience malheureuse, et surtout, afin de tirer toujours
le positif de tout ce qui nous arrive de négatif, l'auteur veut donner un sens à
son échec. Il en fait le centre d'un nouveau débat: celui de la place de l'homme
africain au sein de l'Eglise. Sommes nous vraiment acceptés dans cette Eglise
qu'on nous présente comme voulu par Dieu? De quel Dieu est-il au fond question :
Le Dieu blond aux yeux bleus qui, prétent-on, aime tous les hommes sans
exception et a envoyé son fils Jésus-Christ les sauver, mais qui paradoxalement
a maudit la race noire, la condamnant à être l'esclave de ses frères? Où alors
devrons-nous aller à la recherche de notre Dieu, resté caché jusqu’ici ? Le Dieu
Zamba des missionnaires est loin d’être le Dieu Ntontobe des Fang-béti. Avis ?
Le roman améne donc à s'interroger sur l'in-interrogeable. Au risque de passer
pour un dissident, l'auteur préconise aux Africains de réagir au sein de
l'Eglise afin de prendre la place, toute la place qui leur est dûe. Il
recommande à l'Eglise de libérer, une fois pour toutes, la femme de toutes ses
chaînes, au sein de cette institution. Il invite l'Eglise à prendre en compte
les réalités quotidiennes des peuples évangélisés, au lieu de prôner une
doctrine universelle qui sied à tous. Dans notre contexte africain, et étant
fang-béti, l'auteur entend attirer l'attention sur les effets dévastateurs de l'evuau sein de nos sociétés.
En un mot comme en mille, l'oeuvre est un appel à la conversion de l'Eglise
elle-même, car c'est au pied de nos ghettos, au chevêt du pauvre qui gît sans
soins dans les quartiers, qui croule de famine dans les rues qu'elle sera jugée.
sa crédibilité future en dépend. Et déjà, on peut s'interroger sur la
prolifération de tous ces nouveaux mouvements religieux qui attirent tant
d'adeptes chrétiens, et même, de la revitalité de nos traditions ancestrales.
Compte-rendu de lecture par Charles Nouledo, étudiant togolais en cycle doctoral
in Media Studies, Bayreuth (Allemagne) :
L’histoire est très bien « racontée »,
dans un style dépouillé de toutes fioritures inutiles, sans pourtant manquer,
par endroit, d’humour ou d’originalité (exemple, je cite de mémoire : « … la
directrice avec son derrière lourd et large comme un bagage … » ; « On dirait qu’il nous attendait
pour vieillir ensemble. » etc.). Le narrateur fait une promesse au début (« Tiens, voici un cliché que je
m’empresse de développer : »), et tout le récit se place presque systématiquement sous le signe et l’atmosphère de cet
effet de camera obscura.
Presqu’à aucun moment le narrateur ne
relâche son contrôle sur le récit; le lecteur devient auditeur, interlocuteur
dans un entretien, un tête-à-tête passionnant : il y a très peu de scènes
indépendantes, librement placées, au premier degré de l’événement ; le direct
est le direct du narrateur et non des événements, du direct
rapporté, du direct de « causerie » (causerie sérieuse, s’entend). Peut-on voir
là le souci du sérieux, de la prise au sérieux recherchée par le narrateur pour son témoignage ? Car, en fait, nous
sommes en plein dans le témoignage.
La question qui se pose ici
fondamentalement est celui de l’enjeu du livre : je situe personnellement
cet enjeu au niveau de la critique
du rôle de l’Eglise en Afrique sur un arrière-plan postcolonial. Ce qu’on
pourrait appeler les « aberrations » découlant d’une certaine compréhension ou
interprétation du phénomène chrétien nous est servi en « entrée » dés le début
du récit (hystérie de fin du
monde), au grand plaisir de ceux qui n’ont jamais aimé ou jamais véritablement
compris la raison d’être d’une Eglise ou d’une religion de ce genre.
Quant au
« plat principal », le narrateur prend le lecteur par la main et le conduit d’un
ingrédient à l’autre : à la fin de la visite de cette cuisine secrète, il semble
évident que le narrateur, qui, certes, a été formé à cette cuisine, n’ait pas pu
(et n’ait pas été autorisé à) en consommer ; le lecteur non plus ne peut
concevoir que cela puisse être passé pour mangeable et servi à des millions de
personnes en Afrique (et dans le monde ?) tout simplement parce qu’ils ont
faim : faim de tout, faim d’un autre monde (un au-delà inconnu fait aussi bien
l’affaire), faim de liberté, de dignité, faim de vie.
Voilà pourquoi le dernier
(à commencer par l’avant-dernier) chapitre est une sorte de liqueur bue à chaud,
le verre (pour ainsi dire) menaçant d’exploser au visage du narrateur pendant
qu’il s’envole vers d’autres horizons – loin, au bout de la distance et du recul
nécessaires pour faire ce témoignage de ce qu’il a véritablementn
vu,n
vécu,n
entendu,n
touché du doigt,n
avalén
et vomin
(« ingurgité »n
et « dégurgité »,
les deux termes, même pris ici hors contexte, reviennent souvent dans cet ordre
d’apparition dans le récit). En refermant la couverture sur le récit, la
dernière scène du film de Raoul Peck sur le génocide rwandais, Sometimes in April, (mais nous
avons ici, vraisemblablement, encore pire qu’un génocide à la machette), a surgi
dans mon esprit : l’institutrice, qui à survécu à l’épouvantable massacre à
l’internat des filles Sainte-Marie, se tient devant la foule muette et impuissante du tribunal traditionnel Gacaca et parle pendant que les mots lui
manquent : «… Je m’appelle Martine
Kamanze. J’y étais. Je suis une rescapée. » Est-ce une association fortuite et
gratuite que fait là mon esprit ? – je préfère en douter.
Extrait 1 :
J’avais fini de parler, c’était thérapeutique pour moi. A présent, j’étais seul
à marcher dans la rue. J’avais vu mon rêve s’écrouler aussi facilement qu’un
château de sable. C’était pourtant pour moi 16 années de sacrifices, 16 années
de renoncement à soi, 16 années de poursuite acharnée et constante d’un même
objectif. Et toujours, même au plus fort de la souffrance, du doute, de la
maladie et du désespoir, il m’avait fallu puiser des forces nouvelles pour
continuer le combat, trouver de nouvelles raisons de croire pour avancer. Mais
alors que de petites fleurs à peines écloses semblaient tenir la promesse des
fruits, tout avait volé en éclats. J’étais donc là à marcher, ne sachant
exactement où mes pas me guidaient. Où devais-je d’ailleurs aller ?
En intégrant le séminaire, on m’avait appris au fil des années à devenir
étranger à ma famille. On m’avait taillé, modelé aux volontés de l’Eglise,
celle-là qui devait suppléer ma famille d’origine. C’était le vœu absolu du
« tout quitter » pour marcher dans les pas du Christ.
Mais c’était quoi au juste l’Eglise-famille ? Celle-là qui, m’ayant arraché en
toute innocence au sein maternel, se chargeait à présent de me jeter à la rue,
sans explication aucune, sans jugement ? Celle-là qui me livrait au monde, sans
secours ni assistance, consciente des dangers et des difficultés impitoyables
qui m’attendaient ? Celle-là qui ne tenait à rendre de comptes à personne de son
acte, pas même à ma famille après m’avoir utilisé pendant tant d’années ? On
était loin des grands sermons sur la justice sociale, la défense des faibles,
des opprimés et le martyre des innocents. Le recteur ne voulut s’expliquer
devant personne de sa décision. Mais au fond, que pouvait bien valoir la vie
d’un pauvre séminariste africain ?
J’étais appelé à reprendre ma place au sein de ma famille, comme si rien ne
s’était passé. Mais voilà, que pensais-je retrouver chez moi après 16 années
d’absence ? Quelle part d’héritage me restait-il d’ailleurs ? Quel combat devait
mener à présent ma famille pour m’assurer un quelconque avenir ? Et d’ailleurs,
qui était à présent responsable de moi ? Par où devait-on commencer pour
m’orienter de nouveau dans la vie ? Je n’avais pas encore discuté avec mon
propre évêque, il n’y avait donc pas de raison d’être pessimiste. Il fallait
pallier d’abord le plus difficile, à savoir informer ma famille.
Extrait 2 :
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« Comment convaincre aujourd’hui les
Africains de tailler dans le droit coutumier traditionnel la part d’héritage
légitime qui revient à la fille au même titre qu’au fils, sans qu’elle n’ait à
subir les sarcasmes de ses oncles paternels ? Comme dans l’Eglise, on pense ici
à bon droit que les affaires du père ne concernent pas la fille, c’est unn
no woman’s land, une affaire
d’hommes et d’hommes seulement. En continuant à maintenir la femme hors du
service central de Yahvé, la doctrine de l’Eglise n’encourage en rien
l’émancipation totale et vraie de la femme africaine, de même que de la femme
dans le monde. L’Eglise devra donc en toute logique un jour demander pardon aux
femmes : pardon de leur avoir attribué injustement la responsabilité du péché
originel, pardon de les avoir jalousement gardées dans la servitude de l’homme,
et aujourd’hui encore, sous son bon vouloir. Non pas un simple aveu, comme celui
adressé aux Noirs pour l’esclavage, mais un pardon-action, un
pardon-reconnaissance, un pardon-liberté, un pardon-programme en fin de compte.
« Comme Marie Madeleine qui autrefois fut appelée maîtren
« mara », au même titre que
Saint-Pierre et les autres, mais qui, la seule du groupe des disciples, ne fut
curieusement jamais reconnue comme apôtre, malgré l’évangile qui porte son nom,
la femme aujourd’hui devrait jouir des mêmes droits et titres que les hommes au
sein de l’Eglise. Il est temps de cesser toutes ces formes d’exclusion, de
violence permanente et multiforme exercées par ceux qui commandent contre ceux
qui obéissent.
« En tenant les Noirs et les femmes en laisse au sein de l’Eglise, cette
dernière s’est sciemment reconstruit un ghetto chrétien de « peuple
juif », peuple désormais élu de ceux-là, et ceux-là seulement, qui doivent
diriger, sanctifier et s’occuper des affaires de leur Dieu, car seule la paume
de leur main est si douce, l’élan de leur cœur si pur, et leurs intentions si
saines que Dieu s’en trouve à chaque fois triplement loué.
« Personne ne niera que le pape Jean Paul II a été le porte-parole d’un peuple
qui voulait en finir avec l’oppression du communisme. Il était l’ambassadeur de
tous ces hommes et ces femmes meurtris et opprimés par le système communiste. Il
était la conscience de toute cette nouvelle génération qui aspirait à vivre
libre et heureuse. Et pour avoir vécu lui-même les affres de ce système, il en a
fait son cheval de bataille et pesé de tout son poids papal pour la ruine totale
de ce système. Pour l’éternité, il incarnera aux yeux de ce peuple libéré la
figure même du Messie, de l’envoyé de Dieu. On n’est donc pas surpris que
certains pensent maintenant à sa béatification.
« Mais pour le peuple noir qui souffre depuis des millénaires, il est assez
curieux de constater qu’aucun pape ne puisse encore ressentir dans ses
entrailles la vraie souffrance de ce peuple. Il est curieux de noter qu’aucun
Souverain Pontife ne veuille peser de tout son poids pour que ce peuple soit
aussi enfin libre. Comment le feraient-ils d’ailleurs, puisqu’ils n’ont jamais
connu la condition noire, qu’ils ne l’ont véritablement jamais vécue ; peut-être
tolérée mais pas acceptée ; peut-être acceptée mais pas épousée. En attendant
que les choses évoluent positivement un jour pour ce peuple meurtri dans sa
chair et son âme, de jeunes Africains continueront à payer lourdement le
tribut. »
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