La modification de la constitution, encore en débat
Cette révision avait pour innovations essentielles la levée du verrou de la limitation des mandats du président de la République et l'irresponsabilité du même chef de l'Etat pour tous les actes qu'il aura posés dans l'exercice de ses fonctions.
Un universitaire camerounais bien connu, Alain Didier Olinga, vient de commettre un opuscule intitulé "La révision constitutionnelle du 14 avril 2008 au Cameroun". Dans ce document l'auteur revient aussi bien sur la procédure ayant fini par consacrer cette modification constitutionnelle que sur les éléments essentiels et les enjeux des articles modifiés.
S'il indique sommairement dans son introduction que le nom de baptême utilisé par le législateur, "Loi modifiant et complétant certaines dispositions de la loi N°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972", n'est pas heureux puisque le débat doctrinal autour de l'adoption de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 n'a jamais été tranché, il s'appesantit davantage sur sept points présentés en autant de parties de son ouvrage, dont nous vous faisons une synthèse en cinq questions.
1- La procédure a-t-elle été respectée ?
L'analyste politique est formel: "La compétence de l'instance saisie du projet de révision est discutable, au regard de la loi fondamentale en vigueur". En effet, précise-t-il, l'article 63 alinéa 3 de la constitution énonce: "Le parlement se réunit en congrès, lorsqu'il est appelé à se prononcer sur un projet ou une proposition de révision de la constitution". Il se trouve que dans l'exposé des motifs du projet de révision de la constitution, il était indiqué: "Telle est l'économie du présent projet de loi soumis à l'examen de l'Assemblée nationale".
Pour l'auteur, “il s'agit là d'une méconnaissance de la lettre de la loi fondamentale (…) Car, depuis la révision de janvier 1996, le pouvoir constituant dérivé qu'est le pouvoir de révision est organiquement et formellement distinct de la législature, avec l'avènement de la figure organique du congrès, lequel est, à côté du peuple saisi par voie référendaire, l'instance compétente en matière de révision de la constitution."
Donc, "la formule de l'article 63 au présent de l'indicatif ("se réunit"), doublée du fait qu'elle se situe dans le chapitre traitant spécialement de la révision de la constitution, doit l'emporter sur celle de l'article 14 alinéa 4 suivant laquelle "les deux chambres du parlement peuvent se réunir en congrès, à la demande du président de la République (…) pour se prononcer sur un projet ou une proposition de révision constitutionnelle".
Autrement dit, selon Ado, "l'Assemblée nationale, convoquée régulièrement en session ordinaire à partir du 12 mars 2008, ne pouvait brusquement sans convocation spécifique aux fins d'examen du projet de révision, siéger tacitement comme congrès à partir du 04 avril, par le seul fait de la transmission du projet de révision pour examen et adoption par la chambre. La constitution est non équivoque: le parlement siège en congrès lorsqu'il est appelé à se prononcer sur un projet ou une proposition de révision de la constitution.
En conséquence, "d'un point de vue du strict formalisme juridique, le président de la République n'aurait pas du transmettre le projet de révision à l'Assemblée nationale, et la conférence des présidents de l'Assemblée nationale n'aurait pas dû se prononcer favorablement sur la recevabilité du texte déposé par le président de la République." L'auteur conclut sur ce point en ces termes: "En théorie pure, on pourrait dire que les institutions qui méconnaissent si ouvertement la constitution en vigueur ne peuvent prétendre faire œuvre constitutionnelle légitime".
"L'intervention d'une instance incompétente pour accomplir une tâche clairement normée devrait, en principe, être frappée de nullité. Mais le droit constitutionnel est un droit marqué profondément de considérations politiques qu'il est difficile de soumettre au test judiciaire, notamment dans un contexte où la saisine de la juridiction constitutionnelle demeure limitativement attribuée. Une fois que la loi constitutionnelle est promulguée, il n'y a plus de recours possible au plan interne, le texte est réputé régulièrement entré dans l'ordonnancement normatif de l'Etat".
2- Le mandat du président est-il rétroactif ?
L'article 6 alinéa 2 avait clairement été identifié par le président de la République comme étant celui qu'il fallait modifier pour coller à la volonté du peuple souverain. La proposition adoptée est désormais: "Le président de la République est élu pour un mandat de 7 ans. Il est rééligible". Alain Didier Olinga fait sur la question deux types de commentaires. Le premier est en rapport avec l'explication de "tradition de la continuité constitutionnelle de notre pays".
Or, soutient l'auteur, "si ce souci était réel, il aurait dû conduire à revenir au quinquennat. En 1995, lors du débat constitutionnel, si l'on a allongé la durée du mandat présidentiel, ainsi que cela ressort clairement du rapport de la Commission des lois constitutionnelles alors rédigé par l'honorable Hilariong Etong, c'est parce que la discussion parlementaire a abouti à la limitation du nombre de mandats à deux. Cette limitation figurait au demeurant dans l'avant-projet de constitution Owona, et dans le projet rendu public en 1990 par le Pr. Maurice Kamto. La limitation n'a pas été acquise, fondamentalement, pour régler une crise; c'était le résultat d'une transaction constitutionnelle entre acteurs politiques, au regard de l'état des forces politiques de l'époque et des équilibres numériques au sein de la Chambre, instante constituante."
Donc, si "l'exposé des motifs du projet de révision soulignait à juste titre que la limitation des mandats ne fait pas partie de l'histoire constitutionnelle du Cameroun", on peut s'étonner que ce même exposé des motifs "ne souligne pas le fait que le septennat ne fait pas partie de ladite histoire constitutionnelle". Conséquence partielle: "La tradition constitutionnelle n'est pas bonne à invoquer que lorsqu'elle est favorable au renforcement du pouvoir présidentiel, elle doit l'être également lorsqu'il faut l'encadrer, le limiter dans la durée". L'autre aspect du problème évoqué par Alain Didier Olinga concerne la portée théorique de la nouvelle version de l'article, en particulier son bénéfice éventuel au président de la République actuellement en fonction.
Pour l'auteur, "le président actuellement en fonction a été élu en 1997, puis réélu en 2004 par le peuple camerounais sur la base d'éléments normatifs précis, parmi lesquels la limitation à deux du nombre de mandats (…) Le mandat qui court de 2004 à 2011 est un mandat qui se situe dans le cadre de la limitation constitutionnelle à deux mandats. Peut-on en transformer la nature en cours d'exécution? Le mandat électif de 7 ans obtenu en 2004 pour ne pas être renouvelable en 2011 peut-il devenir, à partir de 2008, par la grâce d'une révision constitutionnelle, et sans précision explicité dans la nouvelle mouture de la constitution, un mandat de 7 ans renouvelable en 2011 et indéfiniment?
Alain Didier Olinga ne se fait cependant aucune illusion. Certes, la discussion du projet de révision ne semble pas avoir clarifié cet aspect de la question, mais "une telle démarche ne serait pas nouvelle, les suppressions de la limitation du nombre de mandats ayant généralement bénéficié immédiatement à leurs initiateurs".
3- Comment gérer la vacance de pouvoir ?
Le fait majeur de la révision de cet article 6 alinéa 4 réside dans l'intervalle de temps pendant lequel l'élection du nouveau président doit intervenir. Si la borne minimale, celle de 20 jours, n'a pas subi de modification, c'est la borne maximale qui a été allongée de 40 à 120 jours, c'est-à-dire quatre mois. L'argument avancé jusque-là étant que 40 jours pouvaient s'avérer insuffisants pour assurer l'organisation matérielle d'une élection présidentielle. Or, selon Alain Didier Olinga, cet argument est au moins discutable parce que, "si Elecam est mis en place et fonctionne conformément à son mandat, en principe l'on doit pouvoir organiser une élection crédible à tout moment, Elecam étant une administration permanente, investie de la responsabilité exclusive et unique d'organiser les élections".
Le problème de fond est ailleurs selon l'auteur: "Il faut bien comprendre que la durée de l'intérim doit rester courte pour que le seul programme d'action du président par intérim soit de conduire l'élection du nouveau président, et non de gérer le pays, de prendre goût à l'exercice du pouvoir et de prendre éventuellement, insidieusement, des dispositions pour y demeurer". Or, "quatre mois d'intérim, cela est une durée importante, pendant laquelle l'on peut se retrouver, par la force des choses, dans une logique de gestion de l'Etat, de gestion des urgences, peut-être même des situations d'exception".
Une crainte qui trouve ses fondements dans ce même fameux article 6, alinéa 4(c) qui stipule: "Toutefois, en cas de nécessité liée à l'organisation de l'élection présidentielle, le président de la République par intérim peut, après consultation du conseil constitutionnel, modifier la composition du gouvernement". Pour l'auteur, "si l'on n'y prend garde, cette clause candide et anodine risque d'être, entre des mains ambitieuses et mal intentionnées, le moyen d'une prise du pouvoir d'Etat, à l'ombre du parapluie constitutionnel".
Il y a donc lieu d'avoir "une vigilance particulière par rapport aux prérogatives de l'intérimaire. Car tout l'enjeu de la présente révision constitutionnelle peut, en définitive, se retrouver sur cette question de l'intérim, la discussion autour de l'article 6.2 n'ayant été, en réalité, qu'une discussion suscitée par les hypothèses de gestion de la transition au sommet de l'Etat". Alain Didier Olinga invoque la prudence qui devrait "conduire à abandonner une approche centrée sur l'auteur, pour retenir celle des blocs de compétence pendant la période de l'intérim".
Ainsi au lieu de dire que le président intérimaire peut modifier la constitution, on pourrait plutôt dire: "pendant la durée de l'intérim, il ne peut être procédé à la modification de la constitution…" De même s'agissant de la composition du gouvernement, on aurait pu préciser: "Toutefois, en cas de décès, de démission ou de candidature à l'élection présidentielle du Premier ministre ou d'un membre du gouvernement, le président par intérim pourvoit, après consultation du conseil constitutionnel, à son remplacement". Une formule qui, conclut l'auteur, "aurait l'avantage de bien encadrer la marge de manœuvre de l'intérimaire à la présidence de la République".
4- Quid du mandat des députés et des membres du conseil constitutionnel?
Les questions relatives au mandat des députés à l'Assemblée nationale et au mandat des membres du conseil constitutionnel n'étaient pas spécialement attendues au cours de cette procédure de révision de la constitution où l'attention des observateurs était focalisée sur les articles à enjeux directs autour du mandat du président de la République ou de son intérimaire en cas de vacance de pouvoir. A y voir de près pourtant, ces questions revêtent des enjeux stratégiques qui ont semblé passer inaperçus et que relève fort pertinemment Alain Didier Olinga.
D'abord la question du mandat des députés à l'assemblée nationale. La nouvelle disposition apporte deux éléments nouveaux: La création d'une circonstance pouvant justifier la démarche présidentielle pour raccourcir ou rallonger le mandat des députés ("lorsque les circonstances l'exigent"), et les délais d'organisation des nouvelles élections qui passent à 40 jours au moins et 120 jours au plus (en lieu et place des 40 jours au moins et 60 jours au plus).
Pas de nouveau débat sur les délais, déjà évoqués plus haut, mais de réels soucis autour de la locution "quand les circonstances l'exigent".
En comparaison, la loi de 1996 prévoyait déjà une telle démarche, mais uniquement "en cas de crise grave. Une notion un peu plus précise, le fait d'une crise grave n'étant pas banal et pouvant être observable, au contraire de la locution actuelle qui, selon l'auteur, élargit la marge d'appréciation du président de la République en la ramenant pratiquement à la situation de l'article 12 de la version originelle de la constitution de 1972". En d'autres termes, "la crise n'étant pas un phénomène de tous les jours, l'on a voulu introduire dans la constitution une base juridique pour prendre, selon les besoins des ingénieurs politiques, des décisions purement opportunistes vis-à-vis de l'Assemblée nationale dans une logique instrumentale".
C'est la même logique qui a inspiré les concepteurs de la modification de la constitution sur son aspect relatif au mandat des membres du conseil constitutionnel. Ce mandat passe de 9 ans non renouvelables à "six ans éventuellement renouvelables". Pour Alain Didier Olinga, c'est un procédé étrange qui ne manque pas de malice, en particulier pour "une structure qui n'est pas une institution politique, qui est en dehors du commerce institutionnel classique et ne joue que le rôle de régulateur du fonctionnement des institutions".
Si on peine à voir dans les faits les arguments évoqués par l'exposé des motifs de cette révision, l'auteur perçoit une gêne réelle de cette modification "qui politise la perception d'une institution qui devrait précisément être à l'abri de considérations politiciennes. La formulation du nouveau mandat des membres est pire que celle qui était contenue dans le projet de révision". Un mandat de six ans non renouvelable met les membres du conseil dans une situation d'indépendance psychologique, par rapport à un mandat de six ans éventuellement renouvelable, lequel incite le conseiller désireux d'être éventuellement renouvelé à une certaine "sagesse"…
5- Quelles responsabilités pour le président?
Alai Didier Olinga indique d'entrée que "l'alinéa 1 de l'article 53 relatif à la responsabilité du président de la République réintègre la notion de haute trahison, pour signifier que le président de la République ne peut être poursuivi dans l'exercice de ses fonctions que pour des actes qui revêtent un tel caractère". L'alinéa 2 de l'article 53 de la nouvelle constitution, qui touche à la responsabilité du président de la République est clair: "Le président de la République ne peut être mis en accusation que par l'Assemblée nationale et le Sénat, statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité des quatre cinquièmes des membres la composant".
Pour Alain Didier Olinga, les auteurs de cet article "voulaient consolider la base juridique de la mise en accusation éventuelle d'un président de la République, en la sortant du cadre législatif, beaucoup moins compliqué a priori à modifier. Les modalités de la mise en accusation sont volontairement lourdes et compliquées à mettre en mouvement, avec du reste un scrutin public, ce qui traduit certes le souci de ne pas engager un tel processus à la légère, mais aussi le souci de mettre le président de la République à l'abri d'une action en responsabilité, la majorité des 4/5e du parlement étant difficile à réunir".
L'autre chose relevée par l'auteur concerne le nouvel alinéa 3 "Les actes accomplis par le président de la République en application des articles 5, 8, 9 et 10 ci-dessus, sont couverts par l'immunité et ne sauraient engager sa responsabilité à l'issue de son mandat". Selon lui, "il faudra bien définir ce que l'on doit considérer comme "les actes de la fonction présidentielle". Cette disposition devant être examinée par rapport aux engagements internationaux de la République et par rapport aux obligations qui découlent pour elle et ses dirigeants du droit international coutumier ainsi que, de manière plus générale, des tendances actuelles de l'ordre juridique international”.
Elle doit l'être, par ailleurs, quant à son applicabilité ratione temporis: "Est-elle applicable aux actes posés par le président de la République avant son adoption? Ces actes seraient-ils couverts par les nouvelles immunités et irresponsabilités?" Pour l'auteur donc, ce qu'il faut comprendre, c'est que la nouvelle constitution a conceptualisé un verrou sophistiqué: "Il ne s'agit pas de dire que l'ancien chef d'Etat est plus à l'abri des poursuites du fait des fonctions qu'il n'exerce plus et qui ne devraient plus, en principe, le protéger, que le chef d'Etat en fonction; il s'agit apparemment de dire que si le chef d'Etat n'a pas été poursuivi pendant qu'il exerçait ses fonctions de président de la République, il faut présumer qu'il n'a rien commis de grave qui puisse être assimilé à la haute trahison, et qui pourrait être poursuivi après ses fonctions. S'il n'y a pas de haute trahison pendant ses fonctions, il n'y a pas de haute trahison possible à découvrir comme par enchantement après la cessation des fonctions et qui aurait pu être dissimulée durant toute la période des fonctions".
Source: Quotidien Mutations
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