Les troubles sociaux qui ont bouleversé notre triangle national, il y a quelques semaines, ont révélé avec acuité l’ampleur des problèmes socio-économiques qui sévissent dans notre pays. Ces mouvements populaires ont, par ailleurs, remis à l’ordre du jour l’impérieuse nécessité pour tous les Camerounais, de quelques horizons qu’ils soient, de se pencher avec courage et lucidité sur les moyens d’actions à mettre en œuvre pour amorcer un changement profond dans notre pays : un changement politique, certainement, dans la conduite et l’exercice du pouvoir et un changement systémique dans les comportements citoyens et les mœurs populaires qui parfois frisent l’irraisonnable.
A cet égard, on a pu voir se dessiner, après d’âpres discussions de café, quelques communiques bouillants, des manifestations diverses et des initiatives citoyennes en tout genre, plusieurs tendances « idéologiques » au sein de la très grande diaspora Camerounaise. Ces tendances, particulièrement boostées par le développement des médias Internet (qui leur ont donné une certaine visibilité), constituent certainement l’essentiel de carte « politique » - dans le sens étymologique de « participation à la vie de la cité » - du Cameroun à l’extérieur. Elles ne sont certainement pas exhaustives.
Les activistes
Le premier groupe identifié, particulièrement révélé sur Internet, est bien évidemment celui des activistes politiques, que d’aucuns n’hésitent pas à appeler de manière péjorative « agitateurs » ; ou encore « tintamares » comme a pu le faire l’ambassadeur Mbella Mbella, ironisant par ailleurs, avec une bonne dose de malice, sur leurs manifestations place du Trocadéro à Paris. Ces activistes, qui officient habituellement dans l’ombre de leurs diverses organisations depuis fort longtemps, ont en effet « tiré profit » de la crise sociale de Février, pour réapparaître aux yeux de l’opinion publique et montrer qu’il existe, encore, une sorte d’opposition dite radicale au régime du Président Biya, type année 90, au sein de la diaspora.
Si on peut s’interroger quelques fois sur les relents guerriers de certaines déclarations, la cacophonie engendrée par les luttes inter-organisationnelles et l’absence totale, apparente ou avérée, de propositions (critique hystérique et systématique du système !), on ne peut nier l’impact sur la conscience collective des diverses manifestations organisées ça et là pour condamner les exactions commises pendant les émeutes et faire montre de la solidarité d’une partie de la diaspora envers les nombreuses familles qui ont perdu un fils, un neveu ou un cousin au cours de cette semaine tragique.

D’autre part, l’activisme politique au sein des diasporas n’a pas été inventé par les Tene Sop, Brice Nitcheu, Corentin Talla ou Robert Wanto. Et le procès en expatriation « dorée » qui leur est fait est quelque peu injustifié et malvenu. C’est d’ailleurs totalement méconnaître l’histoire des luttes estudiantines de notre pays car ces activistes échaudés (que beaucoup ont découvert à travers quelques communiqués enflammés) étaient déjà au cœur des contestations estudiantines des années 90 sur les campus universitaires Camerounais. Ils ont, comme les jeunes pendant les émeutes, essuyé les tirs de la police, connu les cellules infectes et puantes de la gendarmerie, échappé aux assassinats ciblés avant de prendre la route de l’exil par divers moyens. Aujourd’hui, leur engagement politique, tant qu’il n’appelle pas les jeunes Camerounais à la guerre civile, constitue bien évidemment une branche de la lutte pour le changement au Cameroun qui a un droit de cité indiscutable et qui peut permettre de déstabiliser positivement le régime, comme cela a été le cas sous d’autres cieux.
D’ailleurs, l’exemple des Tibétains, ces derniers jours, a mis en exergue les bienfaits des actions d’éclat et des mouvements d'ensemble. Avec une mobilisation conséquente, l’engagement de tous et par delà les conflits de leadership ou les querelles intestines stériles, il est parfois possible, même si cela ne suffit pas toujours à changer la donne, de frapper le cœur d'un système en étant à l'étranger et d’interpeller l’opinion mondiale sur les exactions de quelques régimes sans foi ni loi où les droits humains les plus fondamentaux sont bafoués au mépris des dispositions légales en vigueur.
C’est peut-être sous cette unique perspective de sensibilisation de la communauté internationale que le combat des activistes Camerounais devrait s’inscrire. Et non laisser penser que l’on pourra déloger le chef de l’Etat Paul Biya par la force, en envoyant éventuellement quelques Camerounais se faire tuer sur le goudron de Biyem Assi. Nous ne sommes heureusement plus à l’époque des « années de braise » et l’expérience a en effet montré que le Président de la république, même si ce n’est pas l’impression qu’il donne, est un véritable dur à cuire qui n’est pas né de la dernière pluie. Il a montré qu’il savait contrôler le jeu politique au plus fort des villes mortes : il n’a jamais cédé sur la conférence nationale que l’opposition exigeait tambours battants et a réussi, avec l’aide de quelques alliances stratégiques financées à coup de millions de francs CFA, à mettre la coordination de l’opposition sens dessus dessous.
Les activistes de la diaspora Camerounaise, pour que leur combat garde toute sa fécondité, devraient donc peut-être continuer de s’inspirer du père des villes mortes, Mboua Massock, que les appels à la désobéissance civile et les actions symboliques, suscitant parfois les moqueries de certains, n’ont jamais éloigné de l’attachement qu’il avait pour la paix dans son pays ; du moins, de manière officielle.
Les fatalistes
Le deuxième groupe est celui que nous avons identifié comme étant des fatalistes. On pourrait aussi les appeler les Camerouno-pessimistes ou encore les radicaux du pessimisme Camerouno-Camerounais. Ce sont des jeunes étudiants qui n’ont jamais rien entrepris pour le Cameroun ou des plus anciens qui ont cru à outrance en leur pays dans un lointain passé et qui ne le regardent maintenant qu’avec la condescendance des mauvais jours.
Ils ont la critique acerbe envers le régime en place et envers tous les Camerounais dans leur ensemble qu’ils jugent fourbes, menteurs et escrocs. Pour eux, il est presque illégitime de se plaindre et de s’interroger sur le bilan de Paul Biya puisque, à priori, tous les Camerounais auraient fait la même chose que lui à sa place et auraient eu le même bilan à la tête de notre pays. Leur exemple fétiche, qui est d’ailleurs intéressant sur un autre sujet (celui de la faillite de l’opposition Camerounaise) est celui de l’alternance à la tête des partis historiques tels que le SDF, l’UNDP ou l’UFDC, pour ne citer que ceux là ; formations dont les responsables n’ont pas véritablement changé depuis l’époque de leur création dans les années 90. Ce qui, doit-on reconnaître, a de quoi surprendre.
Pour les fatalistes, il est presque impossible qu’un projet quelconque réunissant un parterre de Camerounais marche, preuve en est de toutes les associations qui deviennent parfois le nid de conflits tribaux ou de leadership et de toutes sortes de projets humanitaires qui n’ont jamais abouti ou qui sont morts nés. En gros, on ne peut rien bâtir avec un Camerounais puisqu’il ne respecte rien, ni les horaires ni les modalités de travail et cherche toujours à avoir un titre ronflant accroché au badge de son veston, soit « Président », soit « Vice président », avant même de penser à rendre son action utile et féconde sur la durée.

Le positionnement des fatalistes est tout à fait compréhensible, surtout pour ceux d’entre eux qui ont beaucoup donné de leur temps pour leur pays et qui se sont fait arnaquer sur des projets où ils avaient toute confiance en leurs partenaires locaux ; ou encore ceux qui sont rentrés créer leur entreprise et se sont frottés aux lenteurs et aux misères d’une fonction publique sclérosée et corrompue où, sans contact haut placé, tout devient très complexe. D’ailleurs, le léger sentiment de pessimisme qui dicte la pensée fataliste semble désormais bien ancré chez une bonne partie des Camerounais : le pouvoir en place a en effet réussi, par un tour de passe passe qui ne dit pas son nom, à rendre les Camerounais responsables des turpitudes d’un système pour lequel, au fond, ils n'ont aucune prise.
Si la corruption a gangrené notre tissu social, si la propension à faire le faux, à mentir sur tout et sur rien, sur les diplômes, sur l’état civil, ou sur diverses autres choses est en effet devenu le lot de quelques de Camerounais, c’est bien évidemment parce que l’Etat, avec à sa tête quelques thuriféraires et les féaux du Président de la république, l’ont allègrement institutionnalisé comme le seul moyen pour s’en sortir dans un pays où élites et principaux dirigeants ne respectent, eux-mêmes, aucune règle claire. Entre les Ministres dont les cursus sont rafistolés au gré de quelque volonté de transparaître aux yeux du monde comme une sommité intellectuelle et les divers élus du peuple qui ont la double nationalité dans un pays où cela est strictement interdit par la loi, comment être surpris que le peuple emprunte cette brèche ouverte à la facilité et au contournement systématiques ?
La belle rengaine de Kennedy, invitant les Américains à se demander ce qu’ils pouvaient faire pour leur pays avant de se demander ce que leur pays pouvait faire pour eux est totalement galvaudée dans un environnement comme celui qui prévaut au Cameroun : il est trop facile de mettre les Camerounais dans la misère la plus insupportable et de leur demander après d’en porter toute la responsabilité. Dans ce cas, à quoi cela servirait-il d’avoir des ministres et un Président si tout le monde devait tenir le premier rôle dans la croissance ou la décadence de notre pays ?
Ceux qui passent leur temps à critiquer « les Camerounais » et à fustiger tout ce qui se passe dans notre pays avec dédain devraient revenir à de meilleurs sentiments. Car, même avec un demi siècle à son compteur civil passé à l’étranger, on reste et demeure toujours au fond de nous-mêmes des Camerounais. Et, quoi qu’il advienne, la réalité du terroir, à un moment donné, se rappelle toujours inéluctablement à nous.
Les progressistes
La troisième tendance regroupe les Camerounais qu'on peut qualifier d'optimistes, qui croient en l’avenir du Cameroun et qui n’ont d’yeux que pour ce qui se fait de mieux sur place. S’ils ne nient pas la médiocrité dont fait preuve le chef de l’Etat avec le bilan qu’on lui connaît, ils restent pragmatiques en pensant que continuer à focaliser l’attention sur des dirigeants qui ont montré leur volonté de s’éterniser dans les ors du pouvoir n’est que perte de temps, pure et simple. Les progressistes, dont la principale innovation est de penser les problèmes de notre pays sur la base de petites actions microscopiques de quartier, ou de village, en impliquant les populations et en générant de l’activité, se disent des hommes de terrain.
Ils sont parfois dans l’humanitaire ou investissent dans des projets à forte valeur ajoutée qui créent des emplois pour les Camerounais et stimulent l’activité intellectuelle. Pour les progressistes, la société civile, en se regroupant massivement en cercles de réflexion pour proposer des solutions (au lieu de passer le temps à jacter contre le système) ou dans des actions associatives locales pertinentes, peut venir faire un contrepoids conséquent à l’inertie politique et pousser les pouvoirs publics à suivre une dynamique ou à intégrer un cercle vertueux d’action et de mouvement.

Si on peut se féliciter de ce regain d’optimisme et de cette foi en l’avenir du Cameroun, on doit dire que là encore, l’expérience montre que la diaspora s’est massivement investie dans l’humanitaire au Cameroun depuis la nuit des temps et que cela ne s’est pas toujours fait avec le succès escompté. Certains envoyant ordinateurs, d'autres des livres, ou encore des préservatifs, du matériel médical et diverses autres choses dans leurs villages ont souvent été rebutés par les formalités à effectuer arrivés au port de Douala. Comme si l’administration de notre pays se battait bec et ongles pour que les choses ne bougent pas. Un autre exemple est celui de l’Université des Montagnes qui, malgré la pertinence de son projet (palier au déficit d’offres en formation de sciences de la santé au Cameroun), est victime des abus des pouvoirs publics qui semblent voir d’un mauvais œil le privé investir le champ de l’enseignement supérieur sur le créneau médical, et, comble de l’affront, en zone rurale.
L’idéologie progressiste, si elle se veut pragmatique, est aussi finalement très naïve si elle pense pouvoir s’exonérer du politique pour faire décoller un pays comme le Cameroun. L’inertie politique et l’incompétence des dirigeants est tellement criarde que même les actions d’intérêt général, qui ne demandent la contribution de personne, à part des mesures de facilitations ou bien des couloirs humanitaires, sont toujours bloquées sans qu’on ne sache pourquoi. Ceci au grand dam des Camerounais qui auraient été les premiers à en tirer les bienfaits.
Conclusion
Finalement, s’il semble que la démarche progressiste peut avoir l’assentiment d’une bonne part d’observateurs, car à priori plus constructive au premier regard, il est néanmoins inévitable, dans un environnement rompu à l’immobilisme depuis 20 ans déjà, d’avoir des organisations qui envoient des signaux forts au pouvoir en place en communiquant bruyamment à l’étranger sur les tares de ce système qui bafoue les droits fondamentaux de ses citoyens et viole les aspirations légitimes des Camerounais au mieux vivre.
Activistes et progressistes Camerounais de l’étranger, chaque groupe s’occupant de ce qu’il sait faire de mieux, seront certainement les principaux acteurs de la grande course au changement et au développement entamée dans notre pays. Une conjonction de ces deux forces, voire une fusion (puisqu'il n'est pas interdit d'être activiste et progressiste), sera le seul moyen pour la diaspora de peser politiquement sur la vie quotidienne de nos concitoyens sur place. Les fatalistes risquent malheureusement de ne pas avoir voix au chapitre dans cette dynamique collective même si, on peut le leur concéder, le combat pour le changement reste avant tout le combat de tous les Camerounais, même des plus sceptiques et des plus pessimistes.
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