Le marché du bois suit la morosité de la santé économique mondiale au Cameroun
Pour les professionnels camerounais du bois, les effets dévastateurs de la crise financière internationale ne datent pas d`hier. Ils ont commencé à se faire sentir dès le premier semestre 2008 par des annulations de commandes. En quelques mois, ils ont gangrené toute la filière bois.
Début décembre, dans la vaste enceinte du parc à bois du port autonome de Douala, règne le calme d`un jour férié. Fini les vrombissements de moteurs de camions qui, en début d`année, déchiraient l`air de jour comme de nuit. Seuls deux engins déchargent du bois débité de huit wagons. " Quand il y a véritablement activité, ce sont plusieurs convois s’étirant sur plus de 500 mètres qui occupent les deux voies ferrées du parc ", fait remarquer un vigile. Plus loin, dans la cour de la Société d’exploitation des parcs à bois du Cameroun (Sepbc), chargée du stockage du bois d`exportation, dix engins de manutention et quatre camions semi-remorques sont à l`arrêt.
" En temps normal, tu ne les trouverais pas garés là, mais en plein boulot ", commente un agent. Cette baisse résulte de la chute des ventes de bois à la suite de la crise financière et immobilière qui frappe l`Europe, où le Cameroun exportait 66 % de ses grumes et environ 88 % de ses sciages. Sur le Vieux continent, les chantiers de constructions neuves sont en panne (chute de 28 % des ventes de logements neufs en France au premier trimestre, puis de 44 % entre août et octobre derniers). Les appels d`offres ont été suspendus et les demandes de bois d`œuvre se font rares. Les revendeurs, qui s`attendent à ce que les prix du bois baissent à cause de la crise, ne stockent plus. Ils annulent plutôt les commandes déjà passées.
Le Syndicat des exploitants forestiers du Cameroun estime à 30 % la proportion des commandes résiliées entre fin juin et octobre. " Cette évaluation me paraît conforme à la réalité, analyse Babissakana, expert financier du cabinet d`études Prescriptor à Yaoundé. Si la crise financière s’est révélée au public le 9 août 2007, ses origines remontent au deuxième trimestre 2006 lorsque la chute des prix de l’immobilier s’est déclenchée aux Etats-Unis ". Pour Pascal Fourcaut, chef des services économiques à l`ambassade de France à Yaoundé, " la crise de l’immobilier, qui sévissait déjà aux Etats-unis depuis quelque temps et commençait à pointer son nez en Europe, avait déjà touché le secteur du bois dès le printemps 2008 ".
Tout est parti des subprimes, ces crédits immobiliers à haut risque, accordés à tout va à des millions d`Américains insolvables au début des années 2000. Les choses ont commencé à mal tourner quand de nombreux clients ne pouvant rembourser, les banques ont saisi leurs maisons, qui servaient de garantie, pour les revendre. D`où un engrenage fatal :
effondrement des prix de l`immobilier - les logements finissant par valoir moins que les crédits qu`ils étaient censés garantir -, faillites en cascade des établissements prêteurs. Les banques ont commencé à manquer d`argent pour faire face aux demandes des clients, ce qui a suscité la panique chez les épargnants, la perte de confiance, la chute des actions en bourse suivie de la faillite de nombreuses banques, y compris les plus prestigieuses. L`argent que les grandes banques européennes y avaient placé est ainsi parti en fumée, propageant en Europe la crise de liquidité, et donc la rareté des crédits. Faute de crédit aux ménages pour financer l`achat des logements, le marché immobilier européen est également entré en crise, et les professionnels de la construction ont gelé les commandes des matériaux de construction comme le bois.
Face aux annulations des commandes occidentales : La détresse dans les pays exportateurs
En Afrique, la baisse des exportations de bois a été amplifiée par la fin des grands travaux à l`occasion des Jeux olympiques en Chine (ce marché représentait 23 % à 30 % des exportations du bois d`Afrique centrale), la faiblesse du dollar (qui renchérissait le bois africain) et la hausse des cours du pétrole brut qui, avant la baisse entamée depuis quelques mois, a alourdi les coûts de fabrication et de transport et partant, les prix de revient. La conjugaison de tous ces facteurs a sinistré le secteur bois. L`heure est aux économies. A la Cameroon United Forest (Cuf), une société forestière de Douala, on éteint les lumières et les climatiseurs dès 12 h 30. " Il faut économiser le courant, crise financière oblige ", lâche un employé en appuyant sur l`interrupteur sous le regard étonné d`un visiteur.
La crise a frappé ici à la fin du mois de septembre dernier : " 30 % de commandes annulées au début, 50 à 60 % aujourd`hui ", précise Antoine Darazi, le directeur général. Le chiffre d`affaires d`octobre a chuté de 40 % par rapport à celui d`octobre 2007. Ici, comme chez tous les professionnels de la filière, les investissements sont gelés et les coupes de bois arrêtées. ‘Plus question d`heures supplémentaires, de travail le week-end, de primes de production, etc., explique Antoine Darazi. " Si cela continue jusqu`en décembre, nous allons mettre en chômage technique plus de 50 % du personnel ", ajoute-t-il, l`air abattu.
Pour Jean-Marie Assene Nkou, représentant des exploitants du secteur forestier à la Chambre de commerce, la plupart des travailleurs de la filière sont déjà au chômage technique. Si la crise persiste et que rien n`est fait, 10 mille emplois pourraient être supprimés. Comme au Cameroun, les mêmes cris de détresse s`élèvent dans tous les pays africains exportateurs de bois : Centrafrique, Congo, République démocratique du Congo, etc.
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