Les exciseurs déposent leurs lames
Suzanne Bomback
Il faut certainement remonter à près d’une décennie pour voir un ministre en
charge de la condition féminine parcourir autant de localités d’affilée dans le
grand Nord. Sous le prétexte de la journée mondiale de la femme rurale, Suzanne
Mbomback a décidé de donner un coup de pied dans la fourmilière des maux qui
relèguent la femme au rang de bête de somme dans cette région qui concentre plus
de 40% de la population camerounaise. A Kousseri, Mora, Maltam, Maroua, Garoua,
Goulfey, Guider, Poli, Tchabbal, Ngaoundéré, etc., le Minproff a remis en
lumière pour les déplorer l’excision, les mariages précoces, le dépérissement de
la femme rurale…
S’agissant des mutilations génitales, d’aucuns avaient cru que
le gouvernement avait abandonné le combat, malgré l’existence de poches de
résistance du phénomène dans certains coins de la province de l’Extrême Nord.
Dans la volée de bois vert qu’elle inflige aux exciseurs et exciseuses, Suzanne
Mbomback n’épargne pas les chefs traditionnels, qui du haut de leurs majestés
soutiennent très souvent tacitement l’odieuse pratique. "L’excision constitue
une violation des droits humains. On ne doit en aucun cas et pour aucune raison
exciser les filles. J’en appelle aux chefs traditionnels, dépositaires des us et
coutumes. Le chef du gouvernement sait que je suis à Mora pour parler de
l’excision. Je voudrais donc rentrer d’ici avec la réponse des majestés qui
voudraient bien me donner leurs avis sur l’excision", assène Mbomback dans le
chef-lieu du département du Mayo-Sava.
Comme des guérilleros qui acceptent de voir leurs armes précipitées dans un
bûcher, "les chirurgiens du clitoris" ont déposé leurs couteaux devant les
objectifs des cameras et autres appareils photos. Suzanne Mbomback demande à ces
"travailleurs" de se reconvertir dans d’autres activités génératrices de
revenus. A eux de monter des micro-projets porteurs qui pourront être
financièrement soutenus par les pouvoirs publics et les partenaires au
développement. S’agissant de la scolarisation de la jeune fille par exemple,
Suzanne Mbomback déclare à Tchabbal : "il faut que les hommes et les femmes
s’entendent pour envoyer leurs filles et garçons à l’école. Lorsque votre fille
ou votre fils deviendra ministre, c’est vous qui allez en profiter". Dans la
foulée, elle condamne fermement les mariages forcés qui foisonnent encore
malheureusement dans cette région.
Les mamelles nourricières boivent du petit lait
Il n'y en avait que pour la femme rurale le 15 octobre 2008 à Tchabbal-Mounguel.
La célébration de la journée mondiale qui lui est dédiée dans cette localité
située à quelques 30 km de Ngaoundéré y a drainé le ministre de la Promotion de
la femme et de la famille et le gratin politico administratif de l’Adamaoua.
L’atmosphère un tantinet féerique a sorti ce bled de sa torpeur habituelle. Le
thème de cette 13e édition, "Changement climatique : les femmes rurales
apportent des solutions". Sous une pluie insolite, Suzanne Bomback révèle qu’en
matière de climat, l’on note ces derniers temps à l’échelle mondiale et
particulièrement au Cameroun, les saisons (sèche et pluvieuse) se caractérisent
par leur instabilité dans la durée et la périodicité. Pour ce qui est du cas
spécifique des activités de la femme rurale néfastes à l’environnement, Suzanne
Bomback énumère : l’abattage, le défrichage, la recherche et la
commercialisation du bois de chauffage, la fabrication du charbon de bois,
l’agriculture itinérante sur brûlis, la pollution de l’environnement et bien
d’autres techniques traditionnelles destinées à produire des denrées
alimentaires à la famille ainsi qu’à la commercialisation.
Le ministre invite la
femme de l’Adamaoua et de la région à changer de comportement. A l’en croire,
les femmes rurales, qui sont en interaction quotidienne avec l’environnement
sont concernées au premier chef par la protection de celui-ci et par la
protection écologique durable. Outre ce vibrant appel, Suzanne Bomback promet
des appuis à la femme rurale s’agissant des problèmes tels que l’accès au
micro-crédit, l’acquisition d’intrants agricoles et du matériel agricole, la
construction des magasins de stockage. Amplifiant une annonce faite par le
responsable du Programme national de développement des racines et tubercules
(Pndrt), présent sur les lieux, le Minproff demande aux femmes de se rapprocher
des maisons de promotion de la femme et de la famille (elle en a inauguré une
douzaine au cours de sa tournée septentrionale) pour bénéficier gratuitement des
variétés de patates, pommes de terre, ignames, macabos, etc. Elle affirme
également que des crédits remboursables seront octroyés aux reines de la terre
dans ces structures. Pour l’exercice 2009, une provision de plus de 13 millions
Fcfa est prévue à cet effet pour la seule province de l’Adamaoua. Le Pndrt pour
sa part met à la disposition de "Miss femme rurale" une somme de 500.000 Fcfa
pour booster sa production agricole et/ou pastorale.
Retour précipité de Bomback
L’autre grand axe du séjour de Suzanne Mbomback dans la partie septentrionale du
pays a été la célébration des mariages collectifs. A diverses étapes, des
couples ayant longtemps vécu en concubinage ou en unions libres se sont unis
pour le meilleur et pour le pire. Cependant, dans une région où les mariages se
nouent et se dénouent à une fréquence défiant tout entendement, nul ne peut
jurer que les mariages célébrés avec grand faste tiendront la route. "Certaines
personnes se sont empressées de se passer les bagues aux doigts parce qu’elles
voulaient bénéficier de 50.000 Fcfa et d’un pagne offerts par le Minproff.
D’autres couples ont été forcé à se présenter devant le maire pour donner un
sens à cette cérémonie", révèle un agent de la délégation de la promotion de la
femme et de la famille de l’Adamaoua. N’empêche. Suzanne Bomback n’a pas boudé
le plaisir de "sécuriser la famille". "La famille a pour rôle de soutenir et non
de détruire le mariage. Chaque conjoint doit faire le choix de son régime,
polygamie ou monogamie. Nous ne souhaitons pas que cette expérience s’achève au
tribunal. N’hésitez pas à revenir dans nos services pour régler un problème ou
solliciter une conciliation", explique t-elle.
Ironie de l’histoire, le ministre
de la promotion de la femme et de la famille n’a pas pu rester jusqu’au terme de
la cérémonie de célébration des mariages collectifs (sa marque de fabrique
depuis son avènement au Minproff) à Ngaoundéré. C’est en catastrophe qu’elle
quitte le Centre de promotion de la femme et de la famille pour honorer "l’appel
de sa hiérarchie" vers 18h30, le 15 octobre 2008. Elle n’assistera pas à
l’élection de "Miss femme rurale" le lendemain. Le lendemain 16 octobre 2008, au
journal parlé de 13h sur les ondes de la Crtv, un vaste redéploiement du
personnel au Minproff est lu. Des têtes tombent. Des carrières décollent. L’on
comprend dès lors pourquoi mme le ministre a pris ses jambes à son cou.
Source :
Le Messager
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