Jean Alain Boumsong
Aussitôt la trêve hivernale annoncée, que vous avez pris un vol pour le
Cameroun. Que prévoit votre agenda sur place ?
Je viens de plus en plus au Cameroun ces derniers temps, comme vous avez dû le
constater. Parce que, d'abord, ça reste mon pays. J'ai de la famille ici. J'ai
également engagé plusieurs actions dans le domaine de l'humanitaire. Et c'est
dans le cadre de cet engagement que je viens de faire don d'un forage dans un
village situé non loin de la ville de Pouma. Un don que les populations ont
accueilli avec beaucoup de joie car, comme eux-mêmes l'ont dit, l'eau c'est la
vie.
Vous êtes de plus en plus présent sur le terrain humanitaire dans votre pays
natal. Qu'est-ce qui justifie cet élan de cœur ?
Si le destin a voulu que certaines personnes soient matériellement et
financièrement mieux pourvues que d'autres, je pense que la moindre des choses
c'est de partager. Beaucoup l'ont fait avant moi. Et c'est ce que j'essaye de
faire, moi aussi, depuis quelques temps. Et c'est un réel plaisir de savoir
qu'on peut apporter un petit baume au cœur de ceux qui sont dans un certain
besoin.
Comment se sent-on lorsqu'on est dans une situation comme la vôtre,
c'est-à-dire défendre les couleurs d'un pays d'adoption et avoir, malgré tout,
le cœur qui continue de battre pour son pays d'origine ?
Ce qui se passe pour moi est tout à fait normal. Et c'est très fréquent dans les
milieux du sport de haut niveau. Le fait que je défende les couleurs françaises
n'enlève rien à ce que je continue de ressentir pour le Cameroun. Je vous ai dit
qu'une partie de moi est ici ; ma famille, mes amis d'enfance, etc., tous sont
ici. Je suis partagé entre ces deux pays, c'est vrai ; mais je ne reste pas
moins entier dans tout ce que j'entreprends ici comme là-bas, en Hexagone.
Dans le domaine précis du football, qu'est-ce qui vous aura décidé à choisir
la France plutôt que le Cameroun ?
Il se trouve que je me suis retrouvé en France à un moment donné de mon
adolescence, et j'ai décidé de pratiquer le football. Lorsque je débutais, mon
premier rêve était, bien entendu, de défendre un jour les couleurs du Cameroun.
Mais, je n'ai jamais eu l'occasion de le faire, car le Cameroun ne m'a jamais
sélectionné. Par contre, la France m'a ouvert la porte de la sélection dans les
catégories plus jeunes, avant d'accéder dans la grande famille des Bleus.
Lorsque cette opportunité s'est donc présentée, je n'ai pas hésité à la saisir.
Et ma famille m'a encouragé dans cette option, ce d'autant plus que le Cameroun
ne me proposait pas une alternative. Il faut donc que les gens le comprennent
une fois pour toute : mes services n'ont donc jamais été sollicités dans mon
pays d'origine…
Quelle attitude adoptez-vous lorsque vous suivez un match des Lions
indomptables du Cameroun?
Je suis un vrai fan des Lions. C'est une équipe qui est composée de nombreux
joueurs de talents et pour qui j'ai de l'admiration. Lorsque l'occasion se
présente, je ne manque pas de suivre les matchs du Cameroun. Je les suis même
très assidûment, avec un cœur qui bat aussi fort que ceux des Camerounais basés
à Douala ou à Yaoundé.
Quels types de rapports entretenez-vous avec les footballeurs internationaux
camerounais ?
Certains d'entre eux sont des amis, de vrais amis. A l'instar de Jean II Makoun
avec qui j'évolue à l'Olympique Lyonnais, Salomon Olembe est quelqu'un que j'ai
côtoyé à l'époque au quartier Messa à Yaoundé. "Rigo" (Song) est également un
ami. Dans l'ensemble, c'est des personnes très aimables et nous nous respectons
beaucoup, même s'ils ont l'habitude de me chambrer lorsque nous nous retrouvons
ensemble.
Vous est-il déjà arrivé de penser que vous auriez bien pu vous retrouver au
sein d'un effectif composé de Rigobert Song, Geremi Njitap, Samuel Eto'o, Jean
II Makoun, etc. ?
Bien sûr que j'y ai souvent pensé. Il est toujours intéressant d'évoluer aux
côtés de joueurs aussi talentueux, et c'aurait probablement été quelque chose de
fantastique. Mais, il faut dire que je ne regrette pas mon choix. Avec l'équipe
de France, je vis également d'intenses émotions chaque fois que je suis
sélectionné. Nous y formons une famille, et l'ambiance y est bonne.
Quelle appréciation faites-vous des performances de l'équipe nationale du
Cameroun ces dernières années ?
Le potentiel des Lions est énorme. La sélection camerounaise a toujours été
l'une des plus grande en Afrique. Et aujourd'hui, partout dans le monde, les
joueurs camerounais évoluent dans les meilleurs clubs. Maintenant, il faudrait
réussir à conjuguer tous ces talents pour essayer de donner quelque chose de
formidable. Je suis en effet convaincu que le Cameroun fait désormais partie des
nations capables de gagner une Coupe du monde de football. Et pourquoi pas la
prochaine, celle de 2010, qui se dispute en Afrique du Sud ? Partout en Europe,
les sélectionneurs savent bien qu'il faut affiner la préparation de leurs
équipes lorsqu'on doit rencontrer le Cameroun, qui est une grande nation de
football au même titre que celle d'Europe ou d'Amérique latine.
Selon vous, une équipe comme le Cameroun peut remporter la coupe du monde de
2010 qui se disputera sur le continent ? Mais il y a certains préalables à
mettre en place…
Une très bonne organisation déjà. Je n'ai pas envie de porter des critiques sur
des gens en particulier, mais je sais que la sélection camerounaise a souvent
souffert des problèmes d'organisation. Des solutions adéquates devraient
également être apportées aux problèmes logistiques. Pour le reste, si chaque
joueur donne le meilleur de lui-même sur le terrain, comme ils l'ont souvent
fait dans leurs clubs respectifs, il y a de forte chance que le Cameroun
obtienne davantage de résultats. Et sur ce point précis, ce n'est pas le talent
qui manque ! J'ai eu la chance de faire partie de l'effectif de la France durant
la Coupe du monde de 2006, où nous sommes parvenus jusqu'en finale. Je sais par
conséquent que l'organisation est quelque chose de primordial dans les
résultats, surtout au plus haut niveau.
Personnellement, accepteriez-vous de livrer un match avec l'équipe de France
contre le Cameroun ?
Si j'accepterais ? (Eclats de rire) Je crois savoir qu'au mois de juin, la
fédération française envisageait de programmer un match amical contre le
Cameroun, qui n'a plus été confirmé pour des raisons que j'ignore. Mais si ce
match avait eu lieu, j'avoue que c'aurait été assez bizarre pour moi. J'avais
déjà eu l'occasion de vivre ça en 2003, lors de la Coupe des Confédérations.
Malheureusement, je n'avais pas joué ce match, qui avait en plus été terni par
le décès de "Marco" (Vivien Foé). Toutefois, si l'occasion se représentait, ce
serait la même sensation bizarre pour moi. Puisque j'aurai le maillot de
l'équipe de France sur moi, mais quelque part, j'aurai l'impression de jouer
contre moi-même. Et du coup, je ne souhaite pas que ça arrive, parce que ce
serait un moment vraiment difficile pour moi.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confronté pour votre
intégration en France?
Mon intégration chez les Bleus a été assez cool. J'ai eu la chance de tomber sur
des aînés tels que Thuram, Dessailly, Lizarazu, etc., qui m'ont plutôt bien
encadré comme il le font pour tous les jeunes. Et aujourd'hui encore, tout se
passe toujours bien entre les joueurs les plus anciens et les nouveaux venus en
sélection, même s'ils sont d'origine étrangère. Nous formons une vraie famille,
comme je vous ai dit.
Lorsque vous revenez dans votre pays d'origine, le Cameroun, qu'est-ce vous
avez le plus envie de faire : rencontrer vos amis d'enfance, consommer des mets
locaux ou faire simplement du tourisme ?
Déjà quand j'arrive au Cameroun, je ne mange que camerounais. Les spaghettis
bolognaises, ça peut attendre un moment. Je me contente du poulet braisé, du
porc-épic, du "koakoko" (macabo râpé), de la sauce de gombo et d'arachide, etc.
Ces dernières années, mes actions caritatives ont également meublé mon agenda
dans mon pays natal. Une fois que c'est fait, j'en profite aussi pour voir ma
famille, rencontrer mes amis et faire un peu le tour de la ville de Douala que
je connais bien. Bref, j'essaye de profiter des vacances comme quelqu'un qui
rentre chez lui et qui s'y sent bien.
Entrevoyez-vous un jour de retourner vivre au Cameroun après votre carrière ?
Si oui, ce serait pour vous occuper à quoi?
Bien sûr. En tout cas, je l'espère bien. C'est chez moi ici. C'est ici que je
suis né. Lorsque je mourrai, c'est au Cameroun que j'aimerai être enterré, parce
que c'est la terre de mes ancêtres. Tôt au tard, je sais donc que je reviendrai
vivre définitivement au Cameroun. Surtout que je compte investir ici pour
apporter, si cela s'avère utile, ma modeste contribution au développement de ce
pays.
Après plus d'une décennie passée dans le sport de haut niveau en Europe, et
après avoir participé à des compétitions majeures comme la Coupe du monde, la
Coupe d'Europe, etc. Jean Alain Boumsong peut-il être considéré aujourd'hui
comme un footballeur riche ?
Pas du tout ! C'est vrai que je gagne bien ma vie, mais j'ai une très grande
famille. A la différence de certains Africains, j'ai mes frères et mes parents
qui vivent en France. Mes enfants aussi. Et il est plus onéreux d'entretenir la
famille lorsqu'elle est en Europe. J'ai également mon association caritative où
une partie de mes revenus est reversée. En tout, ça fait donc que celui qui
gagne 100 francs comme moi, par exemple, est forcément plus riche que moi, parce
qu'il n'a pas les mêmes charges. Malgré tout, je pars du principe que, quand on
a, il faut savoir donner. Et pour moi, j'éprouve un immense plaisir à offrir le
bonheur, petit soit-il.
On dit généralement des sportifs qu'ils nourrissent des "ambitions folles",
des objectifs qu'ils aimeraient bien atteindre pour redonner au sport une partie
de ce qu'ils ont reçu. C'est quoi votre projet pour le sport ?
Je suis actuellement en train de mûrir un projet avec l'appui de la Fondation de
l'Olympique Lyonnais. Il s'agit de mettre sur pied un centre de formation pour
développer l'éducation à travers le sport, comme cela se passe déjà avec succès
en France. Personnellement, je crois beaucoup en la jeunesse, parce que c'est
l'avenir. Ce centre serait, à mon avis, un complément de ce que font déjà les
parents et l'Etat pour les enfants.
Vous reprenez avec le championnat de France dans quelques jours, après avoir
été sacré champion d'automne avec Lyon. Un 8e titre consécutif en Ligue 1, vous
y croyez malgré la concurrence féroce ?
Bien sûr que j'y crois. Je peux même prendre le risque de dire que Lyon sera
champion. Mais ce qui est bien cette année, c'est justement cette concurrence.
Rien n'est facile pour l'équipe, et c'est tant mieux pour l'enjeu et le
spectacle. Bordeaux, Marseille et Paris répondent en effet présents depuis le
début de la saison. Avec Lyon, ces équipes forme le carré de tête. Mais nous
comptons bien tenir notre rang jusqu'au bout. C'est notre objectif, en dépit des
nombreuses petites campagnes de déstabilisation de notre équipe à travers les
médias.
Au niveau européen, il y a une chaude empoignade qui vous attend avec Samuel
Eto'o et le FC Barcelone en 8e de finale de Champions League…
(Eclat de rire) Oui. Une grande confrontation. Je crois que tout le Cameroun va
regarder ce match. Depuis mon arrivée au Cameroun, tout le monde ne parle
d'ailleurs que de ça. Mais, j'ai l'honnêteté de reconnaître que Barcelone est un
cran au-dessus de Lyon cette saison. Ils sont plus forts que nous sur le papier.
Mais, comme ont dit au Cameroun, le ballon est rond. Tout peut donc arriver,
même face à la meilleure équipe du monde. Souvenez-vous du match Argentine -
Cameroun en Coupe du monde 1990. Personne ne pouvait parier sur le Cameroun…
Lyon rencontre Barcelone dans deux mois. Nous allons nous transcender, parce que
nous n'avons rien à perdre, mais tout à gagner ; en étant quand même conscient
du danger offensif que représente Barcelone. Toutefois, il faut se méfier des
équipes qui jouent libérées, surtout si nos attaquants tels que Benzema et
Junhino sont en forme. Pour l'équation Samuel Eto'o, je vous assure que je ne
lui ferai aucun cadeau…
Source : Mutations
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