L’actrice nigériane Genevieve Nnanji
La grande majorité des tableaux de bord existant en matière de prospective
macroéconomique indique qu’en 2050, le Nigeria sera la 1ère puissance
économique en Afrique. Mais le pétrole (et les cours du baril), le gaz (et ses
enjeux stratégiques) ou la démographie (avec l’importance du marché intérieur
qu’il implique) ne doivent pas voiler les yeux des analystes. La puissance
économique du Nigeria est complexe. Car, passée la porte des critères de Bretton
Woods, ce géant de 132 millions d’habitants établis sur 923368 Km² découvre une
force de frappe inouïe: l’économie souterraine. La saga de ce
microcosme puissant et sulfureux est désormais disponible en DVD, aux bons soins
de Nollywood et Kannywood. Le cinéma nigérian enseigne autant qu’il renseigne et
fascine autant qu’il façonne les esprits.
Pour bien comprendre, partons d’un postulat qui nous est cher dans le
reverse engineering des problématiques d’influence par le cinema : même
avec la plus fine manipulation, un film (bon ou mauvais) trahit toujours
l’univers de ceux qui l’ont conçu. Autant qu’un code génétique, il révèle les
lignes de force qui traversent un microcosme à un moment M. Pour contribuer à
cerner l’environnement d’une cible, il peut être intéressant d’interroger sa
matrice culturelle en décryptant soigneusement ses productions de référence. Une
analyse comparée du Nigeria de l’intérieur et de sa vitrine cinématographique
nous conforte dans ce postulat clé. Prenons deux productions au hasard pour
décoder les messages que recèle cette double face de Janus.
Le film intitulé Sharon stone par exemple met en scène une jeune femme
belle comme la reine de Saba. Avec des mensurations avantageuses et un visage de
rêve, l’actrice Geneviève Nnanji -qui l’incarne- est fiancée à trois hommes
qu’elle promet tous d’épouser ! S’engage une course à la ruse où se mêlent
argent, religion, baraka, sexe, duperie, villas luxueuses et Mercedes à n’en
plus finir. De quoi susciter des vocations au sein d’une jeunesse nigériane
enflammée par le désir de réussite à tout prix. Dans Italian deal, en
revanche, un jeune sanguin opportuniste nommé Franck consent à prêter
sa douce et charmante fiancée à un homme d’affaires italien contre US$500.000.
Elle accepte par amour. Lui rêve de s’enrichir en ouvrant une compagnie de
voitures d’occasion. Peu importe le sacrifice !
Contrairement à la plupart des films africains qui traitent généralement de
misère, de souffrance ou de sorcellerie, le cinéma nigérian projette des jeunes
loups aux dents longues. Très longues. Ils sont brillants. Innovants.
Rationnels. Agressifs. Des « entrepreneurs » selon la définition de Schumpeter.
Ce qui n’est pas étonnant lorsqu’on sait que derrière certains studios, plane
l’ombre d’une main invisible: la puissante mafia nigériane. Or « Le
pouvoir se gagne par les idées » écrivait Gramsci. Et ces néo-capitalistes
nigérians ont de qui tenir. On se souviendra volontiers que dès 1971, c’est
Cosa Nostra qui supervisa le célèbre Parrain de Francis Ford
Coppola ou encore que via Sun Yee On, ce sont en fait les redoutables
triades chinoises qui produisaient Bruce Lee… Et la liste est longue.
Version tropicale de la jet set russe composée de milliardaires
trentenaires, les maffiosi nigérians contrôlent l’essentiel de
l’économie souterraine de l’Etat fédéral grâce aux trafics (humains, drogues,
matières premières…), machines à sous, contrefaçons, enlèvements ciblés et
escroqueries sur internet. Ce sont des winners avides. Cupides. Sans
morale ni peur. En fins stratèges, ils portent à l’écran la « destruction
créatrice » dont parlait Schumpeter. Désormais, ceux qui s’aventurent en
Afrique centrale et de l’ouest doivent compter avec ces nouveaux Yakusa
noirs dont le code d’honneur se résume dans la devise de Lord Bering: «Money
first! »
Par Guy J. Gweth – [welcome@gwethmarshall.com]
Consultant en intelligence économique et stratégique
Dipômé de l’Ecole de Guerre économique de Paris
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