Henri Eyebe Ayissi
La situation que vit l'ambassade du Cameroun à Dakar depuis mardi dernier est
inédite dans les annales de la diplomatie camerounaise. Jean Koe Ntonga, nommé
ambassadeur du Cameroun au Sénégal par décret présidentiel du 22 février 2008
est arrivé à Dakar mardi le 02 décembre. Il a le lendemain présenté au ministre
sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, les copies figurées
des lettres de créance. Mais il a retrouvé dans la capitale sénégalaise
l'ambassadeur sortant, Emmanuel Mbonjo Ejangue, qui occupe toujours la résidence
officielle et qui n'a consenti à la libérer, qui en début de semaine, le bureau
et la chancellerie.
Une situation inédite que le ministre camerounais des relations extérieures
Henri Eyebe Ayissi a longtemps redoutée, et même tenté d'éviter,
embarrasse au plus haut point le gouvernement camerounais, en même temps qu'elle
met en lumière le manque de rigueur et de cohérence dans la gestion des dossiers
gouvernementaux. L'alerte avait déjà été donnée le 23 octobre dernier lorsque
des observateurs, étonnés, ont aperçu Jean Koe Ntonga à une cérémonie de remise
de médailles aux diplômés de l'Institut africain d'informatique (Iai) à Yaoundé.
Le fait d'avoir été longtemps ambassadeur du Cameroun à Libreville et son amitié
avec le ministre gabonais du Budget, par ailleurs Pca de Iai, pouvait-il
justifier qu'il se soit déplacé de Dakar pour prendre part à cette cérémonie
certes importante ?
Le lendemain, le reporter se fera dire au ministère des Relations extérieures
que le nouvel ambassadeur du Cameroun à Dakar qui a libéré son poste à
Libreville le 14 mai 2008 une semaine avant la célébration de la fête
nationale n'a toujours pas pris son service parce que les usages commandent
que le nouveau et l'ancien ambassadeur ne se retrouvent pas au même moment dans
le pays d'accueil. Que l'infortuné ambassadeur avait dû prolonger son séjour à
l'hôtel Hilton avant de choisir l'option d'aller habiter en famille dans un
domicile privé. Mutations avait relayé, début juin, d'énormes difficultés,
logistiques notamment, que le gouvernement camerounais avait pour couvrir les
différents frais liés aux déplacements des diplomates nouvellement affectés.
Au revoir et décoration
Mais, de sources proches du ministre des Relations extérieures et de celui des
Finances, des solutions financières ont finalement été trouvées et l'ensemble
des ambassadeurs retardataires ont reçu, aussi bien de la présidence de la
République que du ministère des Relations extérieures, les lettres de créance,
copies figurées et ordres de mission à la mi juin. Qu'est ce qui causait donc
problème pour prolonger aussi longtemps la prise de fonction ? Au Minrex, on
indique que la première raison était la même que pour tous les autres
ambassadeurs: Les difficultés à débloquer l'argent correspondant aux frais de
relève. Mais dans le cas d'espèce, même quand cet argent a été provisionné,
l'ambassadeur Mbonjo Ejangue aurait indiqué que le montant retenu ne
correspondait pas à ses besoins.
"Il a adressé une lettre au ministre", indique, sous anonymat, un directeur au
Minrex qui précise: "Il estimait qu'après avoir fait près de 20 ans à Dakar, il
ne pouvait pas revenir avec juste quelques valises et que l'argent mis à sa
disposition ne suffisait pas à ramener tous ces bagages, d'autant qu'aucun
arrangement n'était plus possible avec Camair qui ne volait plus". Le ministre
aurait estimé que tous les diplomates devaient être logés à la même enseigne, et
qu'il n'avait pas le pouvoir de régler des problèmes particuliers. Il aurait
alors indiqué à l'ambassadeur appelé à revenir au pays à engager au plus vite
les formalités d'usage, d'autant qu'à Dakar, il était, comme plusieurs autres
diplomates camerounais, le doyen du corps diplomatique.
A Dakar, selon nos sources au Minrex, Emmanuel Mbonjo Ejangue est reçu à la
mi-juillet par l'ensemble du corps diplomatique qui lui fait ses adieux. La même
cérémonie a lieu fin octobre avec le groupe africain à Dakar, mais il ne donne
toujours aucune indication de retour, faisant valoir que ses exigences
financières restent valables. Le 17 novembre, Henri Eyebe Ayissi, que la
situation commence à exaspérer, écrit à son homologue sénégalais, lui annonçant
l'arrivée le 25 novembre du nouvel ambassadeur. Le diplomate sénégalais comprend
entre les lignes et organise une audience d'adieu du doyen avec le président
Wade. Ce qui est fait le 22 novembre, audience au cours de laquelle Emmanuel
Mbonjo Ejangue est d'ailleurs décoré.
Et c'est à la suite que le Minrex, par une autre correspondance adressée
personnellement à M Mbonjo Ejangue, lui annonce que le nouvel ambassadeur
arrivera à Dakar le 02 décembre et lui demande, comme le recommandent les
usages, de libérer les lieux avant l'arrivée de son successeur. Le nouvel
ambassadeur est bel et ben arrivé mardi le 02 décembre. Mais l'ancien n'est pas
parti. Ce qui a amené Jean Koe Ntonga à prendre ses quartiers dans un hôtel de
la place. Une situation qui embarrasse, depuis de nombreux mois, le personnel de
l'ambassade, à l'instar du 1er conseiller, Mme Blandine Ngoué, que nous avons
jointe au téléphone hier, et qui regrettait que les hommes ne sachent pas se
mettre à la hauteur de leur fonctions qu'ils ont occupé.
La seule chose qui a été sauvée hier à Dakar, c'est que juste après la
présentation des copies figurées au ministre sénégalais, le nouvel ambassadeur a
pu représenter le Cameroun à l'ouverture de la Conférence internationale sur le
sida qui se tient dans la capitale sénégalaise.
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