Francis Nana répond à Yves Michel Fotso
Francis Nana intervenait dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Albatros, du nom de l'avion présidentiel dont l'acquisition, dans des conditions relativement opaques, s'est avéré foireuse, mais plus généralement de tout ce qui a concerné à un moment la gestion de la Camair, particulièrement pendant la période où Yves Michel Fotso en fut l'Administrateur directeur général, c'est-à-dire de juin 2000 à novembre 2003.
Au moment où, en fin de semaine dernière, une sortie médiatique de Yves Michel Fotso, se lavant de tous les soupçons qui planaient jusque-là sur lui, est venue raviver la polémique et après que, dans l'édition de Mutations d'hier, nous ayons publié sa première réaction, nous avons choisi de publier, presque in extenso, l'interview qui semble avoir été le déclencheur de l'intervention télévisée de l'ancien Adg de la Camair. Interview qui n'a été reprise au Cameroun que par Ariane Tv, après que quelques majors, pourtant sollicités, aient choisi de repousser la généreuse offre.
C'est un entretien qui permet d'avoir une autre compréhension de la gestion de la Camair pendant la période sus-indiquée, et donne parfois à comprendre certaines réactions de Yves Michel Fotso face à la presse. Cette interview est ici reprise, dans sa version retranscrite de l'oral, pour permettre à l'opinion de se faire une meilleure idée de ce dossier pour lequel elle est sollicitée par toutes les parties.
Nous allons parler de cette affaire Albatros, mais nous allons plutôt nous intéresser à l'aspect financier de ce dossier…Vous êtes expert financier… On peut situer votre arrivée à la Camair en mars 2004…
En effet, j'arrive à la Camair en mars 2004, de quelle manière? Au cours d'un déplacement privé au Cameroun en début d'année 2004, j'ai fait la connaissance de M. Dakayi Kamga. Arrivé à la tête de la Camair en novembre 2003, M. Dakayi était encore en phase de prise de connaissance de la société, et il faisait face à de nombreuses difficultés, dont les contrats de location entre Camair et Gia International, sur lesquels il avait requis un certain nombre d'avis, de juristes et d'experts en aéronautique. Donc, au cours de la discussion avec M. Dakayi, j'ai pu lui donner quelques pistes qui pouvaient permettre à la Camair de renégocier ces contrats avec un certain avantage, c'est dans ce cadre là qu'il a donc souhaité officiellement avoir mon assistance sur cette affaire…
Thomas Dakayi Kamga, qui est arrivé à la Camair en novembre 2003 comme vous le dites, a succèdé à Yves Michel Fotso…
Yves Michel Fotso a en effet été Directeur général de la Camair de juin 2000 à novembre 2003.
C'est donc lui qui a signé ces contrats…
En effet !
Et ces contrats portent notamment sur deux avions...
Les contrats portent sur deux avions : il y a un Boeing 747 et un Boeing 767. Au moment où je discute de cette assistance avec M. Dakayi, le 767 est garé à l'aéroport de Douala. C'est un avion qui est en panne, mais l'engagement contractuel oblige la Camair à le retourner en état de marche. Quant au 747, il doit subir une révision, mais il n'est pas non plus exploité parce qu'il a une capacité trop importante pour les besoins de Camair. C'est donc dans cette situation que la Camair se trouve, elle n'exploite pas ces avions, mais doit respecter son engagement contractuel, dont de fortes sommes à payer à la société Gia International.
Une somme d'environ 38 millions dollars…
Gia réclame environ 38 millions de dollars, or quand je démarre ma mission, la société qui en fait réclame ces 38 millions de dollars à la Camair, c'est Tmg International qui est dirigée par les mêmes personnes que Gia International. Tmg International utilise le même numéro de téléphone que Gia International et est enregistré à la même adresse. Donc, pour moi en tant qu'expert, il s'agit d'une anomalie assez significative qui me pousse à engager une recherche sur la société Gia, afin de savoir quelles sont les personnes qui dirigent cette société, quelle est leur moralité, et qu'est ce qu'il y a derrière cette société.
Et surtout quel est l'état de cette société, est ce qu'elle fonctionne, est-ce qu'elle existe?
Exactement, puisque la première particularité avant de lancer la recherche, c'est que j'ai constaté que Gia n'était pas une société connue dans les grandes sociétés qui font du leasing d'avion.
Et vous aller vous rendre compte que cette société n'a même pas le droit de réclamer ces créances à la Camair...
Tout à fait. Je reprends donc contact avec M. Dakayi, environ un mois après le début de ma mission, si mes souvenirs sont bons, pour lui conseiller d'arrêter les discussions qu'il entretenait avec les créanciers de la Camair, parce que je viens de découvrir que cette société est en faillite. Pour moi, le seul interlocuteur valable pour discuter de ces créances désormais, c'était le liquidateur judiciaire. J'ai expliqué à M. Dakayi qu'on avait là un indice très important, qui montrait qu'on était en face d'une tentative d'escroquerie. Je devais néanmoins continuer mon travail, à accumuler des informations, qui devaient nous permettre, si la réclamation de Tmg international était quand même maintenue, de renforcer la position de la Camair vis-à-vis de la personne qui réclame, que ce soit le liquidateur ou ces personnes là.
En sachant donc que la Camair est dans une situation financière extrêmement difficile…
Extrêmement difficile, elle ne peut pas faire face à ces demandes, et si la pression est faite sur la Camair, ce sera la fin de la société…
La question qu'on se pose des lors est de savoir comment Yves Michel Fotso, qui a contracté ces créances et qui savait sans doute que cette société était plutôt douteuse, comment se fait-il qu'il ait continué à faire croire que la Camair devait de l'argent à Gia?
Votre question est très importante, parce qu'il s'avère qu'après avoir informé la Camair de la situation de Gia International, la Camair décide d'adopter une approche contentieuse que je lui ai recommandée. Nous nous attendions donc à ce que la société Tmg qui réclamait de l'argent à la Camair se rende compte que nous ne sommes pas prêts à céder, mais malheureusement cette société attaque Camair en justice. Nous sommes donc passés à un stade supérieur : la Camair était traduite en justice aux Etats-Unis, et elle devait se défendre. Elle avait signé les contrats ; elle avait utilisé ces avions, ce qui voulait dire qu'il lui était très difficile, à moins qu'elle fournisse des arguments très importants, de sortir de ces contrats.
C'est Tmg International qui attaque Camair en justice…
Fait très important : pour attaquer Camair en justice, Tmg International s'est effacé, et c'est une autre société, Sg Avipro, qui rentre dans la danse. Pour ne pas vous embrouiller, vous avez donc Gia, qui a signé un contrat, qui cède sa place à Tmg, toujours sur le même contrat. Et après Tmg, on passe à Sg Avipro. Lorsque cette société attaque la Camair en justice, nous, du côté de la Camair, nous nous sommes interrogés pour savoir sur quelle base elle se substituait Gia.
Est-ce à dire que Sg Avipro s'est substitué à Gia à son insu ?
Ce n'est pas à son insu, parce que ce sont les mêmes personnes qui utilisent des casquettes différentes. Lorsque ces personnes se retrouvent sous la casquette de Sg Avipro, il faut bien qu'elles nous expliquent pourquoi elles se substituent à Gia, sachant que nous savions déjà que Gia est en faillite, et, logiquement, nous nous attendions donc que ce soit le liquidateur qui nous contacte. En tout cas, on ne s'attendait pas que ce soient d'anciens dirigeants de Gia, qui se cachent sous d'autres casquettes. Sg Avipro n'arrive pas à répondre. Mais, un mois après, Sg Avipro va retirer sa plainte au Tribunal, mais nous fournir un nouveau contrat daté de 2002, et qui apparemment se substituait au contrat de 2001, qui était connu des dirigeants de la Camair, de son commissaire aux comptes, et qui était le contrat sur lequel j'avais commencé mon travail…
Donc, un contrat antidaté pour dire les choses clairement…
C'est ce que j'ai dit dans mon rapport et pour lequel j'ai apporté des démonstrations.
Ce qui veut dire qu'il y a du faux dans cette histoire…
Le faux n'est pas discutable. Il est peut-être difficile, si l'on n'est pas très pointu, de prouver qu'un contrat a été antidaté.
Vous avez indiquez que vous avez démarré votre mission en 2004, sur la base d'un contrat signé en 2001…
Qui n'est contesté par personne, qui est reconnu par tous les employés de la Camair, et personne n'a jamais vu le contrat de 2002. C'est sur la base de ce nouveau contrat qu'une bataille judiciaire s'engage contre la Camair. Elle va durer environ 9 mois.
Qui a signé ce contrat là pour le compte de la Camair ?
C'est M. Yves Michel Fotso.
L'affaire va connaître d'autres rebondissements, notamment avec la découverte de l'origine des fonds qui ont permis d'acquérir les deux avions loués à la Camair…
Oui, plusieurs mois après, toujours dans la poursuite de cette bataille judicaire, parce que c'est une bataille judiciaire. C'est très important de le comprendre : je n'ai pas travaillé à la Camair dans le cadre d'un audit. J'ai été le défenseur de la Camair dans le cadre d'un contentieux judiciaire où c'est moi qui définissait la stratégie de défense de la Camair et qui apportait les informations nécessaires pour renforcer la position de la Camair. Ma mission a été une mission dynamique, je ne suis pas arrivé à la Camair pour produire un rapport comme je l'ai lu un peu partout. Ma mission a été une mission dynamique, qui a duré tout le temps qu'a duré la procédure judiciaire.
Une mission dynamique et même de conseil…
Une mission de conseil, parce que le titre du mandat, c'est une mission de conseil financier, donc c'est une mission qui était dynamique, je faisais aussi bien le travail de recherche d'informations que du suivi des travaux du cabinet d'avocats que j'avais recruté pour assister la Camair dans cette affaire. C'est donc au cours de cette bataille judicaire que nous sommes arrivés à un stade où la Camair a été condamnée par un tribunal aux Etats-Unis, sur la base d'une déclaration de Yves Michel Fotso contre la Camair. C'est très important de le savoir.
Alors qu'il avait été Directeur général de cette compagnie…
Il a invoqué le fait qu'il était bien le signataire de ce contrat, que les déclarations qui étaient faites contre lui étaient infondées, qu'il était bien le signataire de ce contrat en 2002. Ce n'était pas la position que je défendais pour le compte de la Camair. C'est à ce titre la que j'ai demandé qu'une enquête judicaire soit ouverte au Cameroun, afin qu'une dénonciation soit faite par mon confrère, le commissaire aux comptes de la Camair.
Dans le cadre de cette mission dynamique, nous avions pris contact avec le liquidateur de Gia International. Et nous avions pris connaissance de cette enquête qui avait été menée par le liquidateur de Gia, qui avait interrogé sous serment le président de la société Gia…
Un certain Russel Meek...
J'avais déjà un certain nombre de faits qui montraient qu'il y avait un soupçon de lien très important entre Russel Meek et Yves Michel Fotso. Et la déposition de M. Russel Meek est venue confirmer ce soupçon.
Sous serment, M. Meek a affirmé qu'il avait reçu, en 2001, messieurs Assene Nkou et Yves Michel Fotso, pour l'achat d'un avion présidentiel…
Exactement. C'est dans ce cadre qu'il rencontre Yves Michel Fotso, directeur général de la Camair et M. Assene Nkou, qui, selon la déposition de Russel Meek, se présente comme un très proche du chef de l'état. Ils sont à la recherche d'un avion présidentiel. Suite à cette réunion, le courant passe entre les différentes parties et quelques temps après, selon Russel Meek, une somme de 31 millions de dollars est versée dans le compte de Gia International.
Gia qui est censé garantir l'achat de cet avion auprès de Boeing notamment...
D'après Russel Meek, sa mission était de trouver les financements pour pouvoir effectuer l'acquisition de cet avion présidentiel. En fait, ce qui se passe, c'est que Gia reçoit d'abord la somme de 2 millions de dollars de la Camair, puis 29 millions de dollars en provenance de la Snh, avec pour mission d'acquérir un Boeing 737 Business 800 Jet-Bbj, avec un aménagement intérieur VIP. Au départ donc, la mission de Gia est d'acquérir cet avion, mais, d'après la déclaration de M. Meek, il dit que quelques temps après, M. Yves Michel Fotso a changé de priorité. Il avait choisi, a affirmé M. Meek, de se concentrer sur des avions pour le compte de Camair.
[b A ce qu'il semble, cette provision financière faite à Boeing était assortie d'une clause assez bizarre, qui stipule notamment que passé un certain délai, cette somme n'est pas remboursable... [M. Fotso a prétendu que cette somme était remboursable, Ndlr].]
C'est ce que Russel Meek dit dans sa déposition. Il affirme que la somme qui lui a été versée était non remboursable en cas de non performance, ce qui est une clause étrange compte tenu des sommes en jeu.
A quoi va donc servir cet argent dès lors que M. Fotso a décidé de changer de priorité ?
Gia International va utiliser cet argent pour acquérir deux avions : 747 et 767, qui sont ensuite loués par Gia à la Camair. On se retrouve dans une situation où des avions achetés grâce à l'avance destinée à l'achat d'un avion présidentiel se retrouvent loués à la Camair. Et Camair paie un loyer à Gia International…
Quel était le montant de ce loyer ?
Si mes souvenirs sont bons, la Camair payait 300 mille dollars pour le 767 et 500 mille dollars pour le 747…
Ces avions auraient donc été acquis avec de l'argent provenant à la fois des comptes de la Camair et des comptes de la Snh, deux compagnies nationales. On peut imaginer que ces sommes ne sont pas débloquées sans un accord au plus haut niveau… Quelle est, selon vous, la relation qui existe entre la Cbc (Commercial Bank of Cameron), la Camair, la Snh et Gia International ?
La Cbc est une banque comme toutes les autres, dont l'une des missions est d'exécuter les instructions qui lui sont données par son client, sauf que M. Fotso, directeur général de la Camair, avait aussi son intérêt à la Cbc, dont il est l'un des dirigeants principaux. Donc qu'il n'y a aucun lien particulier a priori, sauf que quand j'arrive à la fin de mon travail, ce que je mets en évidence, c'est que la Cbc joue un rôle très important dans ces opérations frauduleuses de location d'avions. On se retrouve, quand j'arrive en fin de mission, avec une société Gia dont Russel Meek dit qu'il recevait ses instructions de Yves Michel Fotso, que l'ayant droit de la société Gia, c'était Yves Michel Fotso. Vous avez donc un directeur général de la Camair, qui a son rôle officiel à la Camair, qui est aussi l'un des dirigeants principaux de la Cbc, et qui est aussi un ayant droit dans la société Gia. Donc, il est a tous les maillons de la chaîne, ce qui veut dire que s'il veut faire des opérations frauduleuses, il peut les faire facilement, et il sera difficile pour quelqu'un de pas très averti de se retrouver dans toutes ces opérations…
(…)
Est-ce à dire que quand la Camair doit de l'argent à Gia, elle doit aussi de l'argent à Yves Michel Fotso, puisqu'il est l'un des ayants droit de Gia?
Premièrement, la Camair ne doit rien a Gia, puisque les avions sont acquis avec l'argent du Cameroun. De surcroît, même si la Camair devait quelque chose, il y a anguille sous roche puisqu'il est à tous les maillons de la chaîne. On ne peut pas avoir son intérêt, chez le client, chez le fournisseur et chez le banquier qui exécute les paiements du client vers le fournisseur: il y a quelque chose qui n'est pas normal...
Comment des sommes d'argent aussi importantes sont décaissées, est-ce que votre enquête vous permet de savoir qui donne l'autorisation?
Pour pouvoir répondre à cette question, il faut avoir accès aux procédures internes de ces sociétés. Moi, je ne sais pas comment la Snh fonctionne. Je ne connais pas les procédures. Je peux théoriser, mais je ne connais pas les procédures internes, pour vous dire qui est habileté à autoriser les transferts d'argent. C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre.
Qu'est-ce qui est prévu techniquement ?
Techniquement, un directeur général a les pouvoirs pour engager la société.
La Camair est chargée d'acquérir un avion présidentiel et la Snh intervient quelque part dans l'achat de cet avion. La Snh étant une société d'Etat, on peut supposer que les instructions pour l'achat de cet avion viennent de la présidence…
La Snh a comme actionnaire l'Etat, et si elle joue un rôle de financier dans cette opération et que le bénéficiaire de cet avion c'est la présidence de la République, je suppose que ceux qui s'occupent de cette opération sont bien à la présidence de la République. Il n'y a là rien d'exceptionnel.
Mais ce qui peut être exceptionnel, c'est le recours à la Camair pour acquérir cet avion présidentiel…
Moi, je ne sais pas pourquoi l'on se retourne vers la Camair, mais je suppose que si la Snh joue le rôle de financier, elle n'a pas la compétence technique pour choisir un avion et savoir comment il sera entretenu. Cette compétence technique se retrouve plutôt à la Camair. Donc ça peut paraître logique que la Camair soit impliquée.
Il n'empêche que les intérêts qui lient Yves Michel Fotso, le Directeur général de la Camair de l'époque, aux différents protagonistes qui interviennent dans cette affaire apparaissent quand même anormaux?
Ce qui est anormal, c'est que vous avez des sommes importantes qui sont mouvementées pour acquérir un avion présidentiel, mais, à la fin, ce n'est pas ce qu'on fait avec cet argent : non seulement l'on ne fait pas ce pourquoi l'argent est destiné, mais on monte une opération frauduleuse derrière. C'est ça qui n'est pas normal.
Qui bénéficie d'après votre enquête de ces détournements?
Un certain nombre de personnes dont l'enquête actuelle va permettre de citer des noms et d'établir les responsabilités.
A vous entendre, Yves Michel Fotso étant le personnage central de toutes ces opérations, on peut en déduire qu'il est l'un des bénéficiaires de ces sommes d'argent…
Disons que je ne révèle pas un secret, puisque je l'avais déjà nommément cité dans le rapport que j'avais envoyé à mon confrère commissaire aux comptes de la Camair. Je dois vous rappeler que j'ai été condamné par la justice camerounaise suite à une plainte de Yves Michel Fotso, en première instance et en appel, sur la base d'un document que j'ai remis à mon confrère commissaire aux comptes dans lequel j'avais nommément cité M. Fotso comme mon suspect numéro un dans ces opérations frauduleuses, sur la base des éléments que j'avais collectés à titre d'expert.
Où en est d'ailleurs cette procédure judiciaire ?
Je suis obligé de me pourvoir en cassation, devant la Cour suprême du Cameroun, puisque je conteste fortement la décision qui a été rendue par la Cour d'appel du Cameroun. Et déjà, cette décision est même contraire aux réquisitions du ministère public qui avait demandé ma relaxe. Je suis obligé de me pourvoir en cassation parce que c'est une condamnation que je ne peux pas porter. Il n'y a pas eu diffamation, il n'y a pas eu dénonciation calomnieuse. C'est un travail qui a été fait par un expert, qui a apporté les éléments justificatifs et dont les travaux sont utilisés par diverses procédures judiciaires en cours…
Justement sur le volet judiciaire de cette affaire, une fois que vous avez révélé toutes ces informations, pourquoi est ce que la Camair n'attaque pas M. Fotso en justice?
Il y a eu beaucoup de résistance à ce niveau. J'avoue que je ne sais pas, mais peut être que dans le cadre des opérations actuelles, c'est quelque chose qui va se faire. Mais, jusqu'à présent, ça n'a pas été fait.
Pourquoi Thomas Dakayi Kamga, qui vous confié cette mission d'expertise financière, n'attaque t-il pas son prédécesseur sur la base de ces informations?
Je dois faire une précision : Dakayi Kamga est parti de la Camair en février, ma mission n'était pas encore terminée. Elle s'est achevée en juin 2005. Donc, j'ai travaillé avec le successeur de M. Dakayi, qui était l'Administrateur provisoire, M. Paul Ngamo Hamani.
(…)
Pour revenir aux chiffres, combien a été dépensé pour l'achat de cet avion présidentiel selon vous?
Moi, je n'ai pas le décompte total, mais d'importantes sommes d'argent ont été sorties aussi bien de la Camair, du ministère des Finances, de la Snh par différents secrétaires généraux de la présidence aussi bien M. Marafa que M. Mebara. Et, à moins que dans le cadre des enquêtes actuelles la police puisse faire une comptabilité détaillée, seul cet exercice permettrait de chiffrer la somme exacte qui a été dépensée. Ce qui est sûr, c'est que des sommes très importantes ont été dépensées.
Certains parlent de 50 millions de dollars…
C'est un chiffre très crédible. Beaucoup plus même peut être.
Et à combien est revenu ce fameux avion Albatros, il faut d'ailleurs préciser qu'il n'a pas été acheté, mais plutôt loué…
C'est un avion dont le contrat avec Boeing correspond à une simple location : il ne s'agit pas d'une acquisition.
La location, c'était à peu près 130 millions de dollars mensuels aux frais du contribuable camerounais…
A partir du moment où il s'agit d'une location, la somme mensuelle payée n'apparaît pas extraordinaire. Ce qui pose problème, c'est que l'Albatros est un vieil avion qui n'est pas du standing de la commande initiale, c'est-à-dire un BBJ. Sur le plan de la marchandise, c'est une tromperie. Et sur le plan financier, il y a un très grand écart entre ce que l'on a dans le cadre d'une location simple, alors que des sommes très importantes ont été déboursées pour acquérir un avion. Si cet avion n'a pas été acquis malgré les sommes déboursées, c'est parce que des gens y ont ajouté leurs intérêts égoïstes et ont voulu s'enrichir de manière grossière. C'est ce qui est dommage lorsque l'on est un haut responsable qu'on se comporte de la sorte.
Les responsabilités, vous l'avez dit, la justice va se charger de les situer, mais ce qu'on peut constater, c'est cette négligence au niveau de la chaîne, à partir du secrétariat de la présidence de la République, que ce soit à l'époque de M. Marafa ou M. Mebara, des décaissements qui sont faits sans que personne ne se pose la question de savoir si l'argent va là où il doit aller et sert à ce à quoi il est destiné, pour finalement déboucher, on va dire, sur ce qui est un cercueil volant…
Je ne dirais pas un cercueil volant, parce que je ne suis pas un technicien. Ce que je peux dire, c'est qu'il n'est pas à la hauteur de ce que l'on aurait attendu, sachant que c'est un projet où on dépense les premières sommes d'argent en 2001. On a passé trois ans à rechercher un avion pour le président, on a dépensé beaucoup d'argent et, au bout de trois ans, on lui livre un vieil avion. Ce n'est pas une réussite dans la gestion de ce projet. Au contraire, c'est un échec grossier.
(…)
Revenons à votre affaire judiciaire. Comment expliquez que malgré tous les faits que vous relevez, la justice camerounaise vous condamne…
Sachez que lorsqu'on est condamné, on a le droit de faire appel. Lorsque j'ai été condamné en première instance, je n'étais pas au courant que j'étais poursuivi par M. Fotso. C'est une condamnation qui a été prononcée en mon absence. Je n'étais pas du tout informé des poursuites engagées contre moi et je n'ai donc pas eu la possibilité de me défendre. J'ai suivi la loi et j'ai commis un avocat à qui j'ai demandé de faire appel de la décision, et nous sommes passé devant la cour d'appel. Si la colléGialité a rendu ce jugement, il me reste à saisir la Cour suprême, ce que j'ai fait, maintenant quant à savoir pourquoi la cour a rendue cette décision, comment elle l'a rendue, je n'ai qu'une chose à faire : c'est faire appel. Je regrette qu'elle ait été rendue.
La première décision qui vous condamne vous fixe des dommages et intérêts de 3 milliards de francs Cfa…
En effet, elle fixe les dommages et intérêts à 3 milliards de francs Cfa. Lorsqu'on est passé en appel, lors de la dernière audience, l'avocat de M. Fotso a ramené sa demande à un franc symbolique, ce qui est quand même un changement significatif de passer de trois milliards, qu'on a obtenu en première instance, au franc symbolique lorsqu'on arrive en appel. C'est quand même étrange.
Question de laver son honneur dit-il…
Ce qu'il faut aussi comprendre, c'est que pour les personnes que je mets en cause dans un travail fourni à titre d'expert, ma condamnation pour diffamation et dénonciation calomnieuse par la justice, est une décision que ces personnes peuvent utiliser pour leur défense. C'est très important de le comprendre.
(…)
Est-ce que dans votre intime conviction, vous pensez dans cette affaire notamment, que la justice est totalement indépendante?
Disons que sur le plan strictement juridique, il y a quelque chose qu'il faut savoir : c'est M. Fotso qui a porté plainte et le ministère public s'est joint à M. Fotso pour instruire sa plainte…
Le ministère public c'est l'Etat camerounais…
Effectivement. Lorsqu'on arrive au terme d'une longue bataille judiciaire et que le ministère public requiert la relaxe de M. Nana en disant que l'infraction de diffamation et de dénonciation calomnieuse n'est pas constituée, et qu'il existe des éléments tangibles que le ministère public évoque pour demander ma relaxe, il est un peu étonnant, en tout cas il sera difficile pour la colléGialité lorsqu'elle va rédiger son arrêt de pouvoir documenter les éléments sur lesquels elle s'appuie pour pouvoir dire que l'infraction de diffamation et de dénonciation calomnieuse est constitué. Ça peut arriver, mais, dans le cas d'espèce, ce sera difficile.
Source: Quotidien Mutations
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