Les Camerounais vivent avec la rumeur officielle comme une mode régie par un principe intrinsèque et absolu. On est si habitué à « faire avec » qu’on aurait quasiment tort de ne point s’en servir pour appeler à la réflexion des gens qui s’en servent pour manipuler ou instrumentaliser.
Depuis quelques semaines, quasiment sur tous les trottoirs et dans tous les bars de Yaoundé, tout le monde jure détenir « de sources A-1 » que le chef de l’Etat traîne avec un gouvernement dans la main dont il ne sait pas où trouver le chef pour deux (2) raisons. La première, c’est qu’il « n’arrive pas à avoir l’aval de l’Elysée avec qui Etoudi était en très mauvais rapport jusqu’à ce que le ministre de l’Identité nationale française et de l’immigration (choisie ou clandestine) M. Brice Hortefeu, vienne renouer le contact à la « fête du 20 mai ». La seconde, c’est que, selon une loi de l’équilibre non écrite, « M. Biya ayant placé Cavaye-Djibril en avant-garde de sa protection à l’Assemblée nationale, il faut trouver un Anglophone pour le Premier ministère, M. Nsahlai ayant choisi dit-on de « mourir pour ne plus voir ses choses-là de ses yeux, c’est Yang Philémon qui serait en tête de la feuille blanche ».
Naturellement, personne n’ose s’inscrire en faux contre de telles allégations dans la mesure où, premièrement avant le décès de Nsahlai, tout le monde le voyait premier ministrable, et où deuxièmement tout le monde s’est aperçu de la présence de Hortefeu à Yaoundé et a suivi ensuite le départ de M. Biya dont chacun croit pouvoir deviner la destination…
Evidemment, une bonne partie de toutes ces mauvaises langues attend avec une espérance plus ou moins confuse, comme si un changement de gouvernement allait, pour une fois, signifier une évolution vers un mieux-être, tandis que ceux qui d’habitude vivent d’arrogance et de mépris pour le peuple, se demandent comment ils vont faire bientôt pour empêcher que quelques pauvres gardiens de prison soient les seuls à décider si leurs épouses, frères, sœurs et enfants peuvent leur apporter à manger, ou simplement leur dire bonjour.
Mais, une rumeur pouvant en cacher une autre, la plus porteuse d’espoir pour certains, c’est celle d’une « Commission rogatoire » qui aurait été créée par le ministre de la Justice pour se rendre, parait-il, au Luxembourg et aux Iles Caïmans, deux paradis fiscaux bien connus, aux fins, soit de vérifier que reposent là-bas quelques dizaines de milliards d’euros déposés par une cinquantaine de dirigeants camerounais, soit de négocier leur rapatriement. Nous rappelons qu’une seule dizaine de milliards d’euros signifie près de 6.600 milliards de francs CFA. Faites donc le rapport avec les 2.300 milliards qui ne peuvent sortir de la famine 20 millions de Camerounais !
Mais, là n’est par notre problème aujourd’hui car, nous n’avons que deux (2) questions à poser. D’où vient que dans une République dont le projet politique de société porte sur « la rigueur de gestion et la moralisation des comportements», une cinquantaine de cadres et dirigeants politiques de la nation aient pu, en seulement deux décennies, sortir de leur pays pauvre et très endetté, pour injecter dans la spéculation financière internationale tellement de milliards d’euros que même le pays européen le plus riche en pâlirait? Parle-t-on vraiment de réalité, ou bien s’agit-il d’un échafaudage de l’esprit ?
Si c’était vrai, tout cela, les Camerounais commenceraient à comprendre, où à se demander où est passé le compte hors-budget qui autre fois abritait les recettes pétrolières? Où sont passés les 94 milliards Fcfa dont le compte de l’Oncpb était crédité au moment de la liquidation de la structure? Où est le milliard et demi versé au directeur de la Sodérim à l’époque pour le ministre des « nouveaux riches » pour construire une clôture autour de ses installations? Où sont passés les milliards investis dans la « ferme du Sud » ceux versés aux diverses sectes les plus de 100 milliards de la cellucam, les dizaines de milliards du Fonader, du Crédit Agricole, de la Mideno, etc. Où sont passés les centaines, peut-être les milliers de milliards bloqués dans les banques étrangers avec la démonétisation du billet de 10.000 à l’effigie d’Ahidjo? On peut résumer le reste en se demandant où sont passés les fonds destinés à financer les voyages de fonctionnaires dont le non paiement à l’origine du sort de Camair, et où sont passés les subventions régulières qui ont servi de prétexte au Fmi pour déconstruire l’économie naissante du Cameroun ?
Ma seconde question porte sur le contexte. Le processus de prédation et de pillage a duré des années, des dizaines d’années, impunément. Pourquoi? Au commencement, nous avons cru que c’est les preuves qui manquaient pour mettre hors d’état de nuire les braqueurs à col blanc. Mais, le principe de mesures conservatoires ayant abandonné le mode de gestion de l’administration, et le décret conférant aussi la présomption d’honnêteté et l’inamovibilité, chaque agent nommé a pris un titre foncier sur son poste et le budget de son poste jusqu’à ce que le prince ait des raisons discrétionnaires de « faire la tête comme ça… ».
On a fini par avoir l’impression – est-elle fausse ?- que c’est tout le système qui avait vocation à piller le pays, soit par quelque mission historique – permettre par exemple la recolonisation par des intérêts étrangers – soit pour contrer une volonté politique dont le Président aurait eu des velléités alors que ses compagnons avaient des projets plus réalistes.
Aujourd’hui, quoi qu’il en soit, ceux d’entre les profiteurs du système qui sont épinglés pour désamorcer la colère populaire redoutée, ou contenter la communauté internationale, sont suspectés de divers crimes économiques dont ils sont responsables pénalement, malgré leur présomption d’innocence dont le revers est la présomption de culpabilité.
Vu les dommages de toutes natures causés au peuple Camerounais par ces crimes dont ils sont accusés, on n’a encore vu dans aucun des procès terminés ou encore que celui-ci s’est constitué partie civile en tant que tel, et pourtant. Mais la question au fond est celle-ci : si la responsabilité pénale de ces agents de l’Etat est établie, on est surpris de constater que ce sont les structures qu’ils ont gérées qui les poursuivent finalement. A qui donc appartient la responsabilité civile et politique alors qu’ils ont commis leurs crimes au cours d’une mission où ils n’ont jamais été contrôlés, à moins qu’à la présidence de la République dont dépend le contrôle de l’Etat, il n’y ait jamais assez de preuves pour créer autour de ces messieurs la moindre suspicion.
Qui est responsable du comportement délictuel d’un agent qui, soupçonné de malversation ou de mœurs non orthodoxes dans un poste, est « sauvé » par la promotion à un plus grand poste, puis à une direction avec les mêmes soupçons ou plus lourds, qui passe ensuite ministre de la République, parfois en remplacement de celui qui le notait hier en fonction de ses agissements, qui évolue donc comme le plus honnête des hommes – à travers tous les filtres – et se retrouve subitement accusé des détournements commis lors de ses précédentes fonctions ?
La question que je pose en définitive c’est, quelle est la responsabilité de la personne qui ordonne, et qui doit contrôler… mais qui a tout vu sans rien dire ?
Source: Le Messager
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