La Roumanie, par les nombreuses erreurs commises durant
son interminable transition, peut apporter autant d'enseignements aux réformateurs
africains.
Il existe de plus en plus de pays africains qui choisissent
la démocratie et les élections libres comme mécanisme de légitimation du pouvoir
politique et l'ouverture de leurs marchés à la concurrence. La Roumanie a commencé
une transition similaire il y a presque deux décennies, lorsque Ceaucescu, l'ancien
dictateur communiste, a été chassé du pouvoir. Dans ce processus complexe, il est
souvent plus difficile d'identifier les bonnes décisions que d'éviter les mauvaises.
Erreur N° 1 : l'illusion de la prospérité rapide et automatique
Ce n'est pas la plus grave ou la plus condamnable des erreurs, mais elle est probablement
la plus difficile à éviter, et certainement la cause des politiques orientées vers
le court terme. Les Roumains étaient persuadés qu'une fois éliminé l'ancien dictateur,
tous les problèmes seraient résolus. Au lieu de combattre cette illusion, les autorités
l'ont entretenue et amplifiée par des mesures démagogiques : passage immédiat à
la semaine de travail de cinq jours, réduction de l'âge légal de la retraite, facilitation
des retraites anticipées, etc. Nous ne savions pas ou nous ne voulions pas savoir
que la productivité du travail et du capital est le seul moyen pour produire de
la richesse, et donc pour augmenter le niveau de vie. Et que cela prend du temps
! Dans ces conditions, la frustration est inévitable, même si la situation générale
s'améliore. En effet, la croissance économique, aussi élevée soit-elle, est difficilement
perceptible dans l'immédiat. Par exemple, une croissance de 12% par an est exceptionnellement
élevée. Elle assure un doublement du revenu en 6 ans et son triplement en moins
de 10 ans. Pourtant, les gens ont du mal à se rendre compte que leur revenu réel
augmente de 1% par mois.
Erreur N° 2 : la Constitution ambiguë
A la sortie de la dictature, un des objectifs de la nouvelle Constitution roumaine
était d'empêcher la concentration des pouvoirs. Le résultat a été un exécutif bicéphale,
qui entretient une « guerre » permanente entre le président (élu au suffrage universel
direct) et le Premier ministre (nommé par le président et confirmé par le Parlement),
même s'ils proviennent du même parti politique. Leurs attributions sont mal délimitées
et définies par des termes ambigus, de sorte que la Cour constitutionnelle est de
plus en plus sollicitée pour trancher les conflits. En outre, la Constitution roumaine
prévoit, pour l'Etat, toute une série d'obligations et d'engagements qui sont, en
fait, autant de domaines dans lesquels le pouvoir politique peut intervenir dans
la vie des citoyens. La Constitution roumaine parvient donc à fragmenter le pouvoir
politique (notamment exécutif), mais ne réussit pas à le limiter. Pourtant, le rôle
d'une Constitution est bien celui de limiter l'emprise des autorités sur les citoyens.
Les Roumains ont oublié que la meilleure piste pour rédiger une bonne Constitution
est d'imaginer que tous les postes importants seront occupés par des adversaires
politiques.
Erreur N° 3 : le quasi-monopole public de l'information
Malgré le caractère anti-communiste du soulèvement populaire de 1989, les premières
élections « libres » de 1990 et 1992 ont été gagnées par les anciens détenteurs
du pouvoir (le second échelon du parti communiste). Cela a été possible par le contrôle
étatique de la télévision et de la radio publiques, les seules ayant une couverture
nationale, y compris dans les régions rurales où vivait environ 50% de la population.
Les chaînes TV et les radios privées étaient inexistantes, au début, et trop faibles,
ensuite, pour contrebalancer la propagande officielle qui présentait les partis
réformateurs comme des traîtres à la solde de l'étranger. La presse écrite bénéficiait
d'une liberté absolue quant au contenu, mais le pouvoir contrôlait les fabriques
de papier, les imprimeries et les circuits de diffusion. La première vraie alternance
du pouvoir – en 1996 – a été possible seulement après le développement de chaînes
TV par câble et de radios privées, ainsi que de circuits alternatifs de diffusion
de journaux. L'impact a été visible, surtout dans les milieux urbains, tandis que
la population rurale était victime de la même désinformation.
Erreur N° 4 : l'absence de contact avec l'émigration, voire l'hostilité à son égard
Après la prise totale de pouvoir par les communistes, grâce aux chars soviétiques
(1948), le gouvernement roumain a tout fait pour couper le contact des exilés avec
leur patrie d'origine. Plus encore, par l'intermédiaire de la police politique (la
« Securitate »), il a poursuivi une stratégie de division de l'exil, par l'infiltration
d'agents d'influence et « d'informateurs ». Pendant des décennies, dans les manuels
d'histoire, les exilés étaient accusés d'avoir trahi leur patrie, d'être des fascistes,
etc. Les mêmes accusations ont été reprises après 1989 à l'égard des Roumains qui
voulaient rentrer au pays pour investir et/ou participer à la vie politique. Evidemment,
les communistes, déguisés en réformateurs, craignaient de perdre le pouvoir face
à une opposition qui exigeait une réforme plus rapide. Les barrières à l'encontre
des exilés ont privé la Roumanie de ressources considérables en termes de capital
financier, humain, relationnel et d'image à l'étranger.
Erreur N° 5 : l'échec d'une réforme morale inachevée
Il est difficile de dire si cette erreur est la cause ou la conséquence des erreurs
précédentes. Quoi qu'il en soit, ses effets sur la société roumaine sont sous-estimés.
Les anciens « poètes de cour » de Ceau¾escu sont sénateurs. Certains de ses anciens
ministres, députés, hauts fonctionnaires et les membres de la Securitate sont devenus
propriétaires des entreprises étatiques lors de privatisations louches. Les noms
des collaborateurs de la Securitate (les « informateurs ») sont rendus publics,
de manière sélective, lorsqu'ils gênent le pouvoir, tandis que les autres subissent
un chantage indirect. Selon une loi boiteuse, ils n'ont pas le droit d'occuper certaines
fonctions publiques, mais cette interdiction ne s'applique pas à leurs anciens supérieurs
directs (les officiers de la Securitate) ou indirects (les hauts responsables du
parti communiste). Les retraites de ces anciens privilégiés du régime sont 10 à
20 fois supérieures aux retraites des anciens prisonniers politiques. L'échec de
la réforme morale transparaît même dans le langage : on parle « d'anciens propriétaires
» et non de « propriétaires de droit » lorsque l'on se réfère à ceux qui ont vu
leurs avoirs confisqués par les communistes. Cela est symptomatique également pour
l'erreur suivante.
Erreur N° 6 : le non-respect des droits de propriété
Avant la deuxième guerre mondiale, la Roumanie était un pays prospère, avec un taux
de croissance élevé et un revenu par habitant proche de la moyenne européenne. Les
communistes ont nationalisé (confisqué) les entreprises et collectivisé les terres.
Après l'effondrement de la planification centralisée, tout naturellement, certaines
propriétés auraient pu et dû être restituées à leurs titulaires de droit. Après
une opposition farouche au début, puis maintes tergiversations, ce processus n'est
toujours pas achevé. De même, la privatisation des entreprises fondées par l'Etat
a été retardée, ce qui a généré d'autres pertes. Certains directeurs de ces entreprises
vendaient leur production à bas prix vers des entreprises privées (qu'ils détenaient
directement ou par personnes interposées) et la revendaient ensuite au prix réel
de marché. L'exemple le plus connu est celui du « combinat » sidérurgique de Galati,
qui enregistrait des pertes d'environ 1 million de dollars par jour avant la privatisation,
mais a fait un profit de 1 million de dollars par jour dès la première année après
la privatisation. Une ouverture plus rapide de l'économie aurait évité le gaspillage
de dizaines de milliards de dollars.
La Roumanie a été hésitante dans la restitution, la définition et le respect uniforme
des droits de propriété. Les entrepreneurs roumains et les investisseurs étrangers
ont été découragés : pourquoi faire des efforts et assumer des risques si l'ont
n'est pas certain d'en bénéficier ? Quelle confiance peut-on avoir dans un Etat
qui refuse de corriger les injustices passées ? Un tel environnement engendre la
passivité, la mauvaise gestion voire la destruction des ressources. Comme le remarquait
Hernando de Soto, l'incertitude concernant les droits de propriété transforme les
ressources existantes en « capital mort » et empêche la création de richesses supplémentaires.
Cette erreur est une des plus graves, car, outre les destructions matérielles, elle
a retardé la reconstruction économique et morale du pays.
Erreur N° 7 : l'inflation et le contrôle des prix
Les prix, dans l'économie communiste, n'avaient aucune signification : pour avoir
un vrai prix, il faut des droits de propriété et un marché libre, choses impensables
dans le système de l'époque. Le contrôle des prix par les autorités communistes
avait pour conséquence des magasins littéralement vides. Après 1989, les prix ont
été libéralisés, mais pas tous et pas immédiatement. Sous prétexte de « protection
sociale », certains prix ont été contrôlés, subventionnés, etc. Les prix ont continué
d'envoyer des signaux erronés aux entrepreneurs et aux consommateurs roumains, sans pour autant aider les plus démunis. Au lieu de s'attaquer aux vraies causes de l'inflation
– l'émission excédentaire de monnaie – les autorités ont préféré en combattre les
symptômes. La solution du conseil monétaire (pratiquée avec succès par l'Estonie
et la Bulgarie, par exemple), ou l'utilisation d'une monnaie extérieure stable,
ont été rejetées par les autorités. Résultat : la Roumanie a mis 10 à 15 ans de
plus que les autres pays de l'Europe centrale et orientale pour résoudre, au moins
partiellement, le problème de la stabilité monétaire. Cela fait 10 à 15 ans de souffrances
pour les plus vulnérables et pour la classe moyenne, qui ont vu leurs revenus et
leurs économies anéantis par l'inflation.
Certaines de ces erreurs ont été corrigées en partie par la suite, mais leurs conséquences
sont irréparables : le temps perdu ne reviendra pas. Cela est évident dans le décalage
qui sépare encore la Roumanie des autres pays ex-communistes qui ont évité beaucoup
de ces erreurs et ont choisi la voie de la transition rapide par des réformes radicales.
Les réformes récentes – privatisation du système bancaire et de presque toutes les
grandes entreprises d'Etat, l'introduction en 2005 d'un impôt unique sur le revenu
de 16% et la réduction de l'impôt sur le profit de 25% à 16%, la privatisation partielle
des retraites, etc. – vont dans la bonne direction. Avec beaucoup d'efforts, les
Roumains pourront un jour récupérer les décalages existants, mais rien ne peut effacer
les souffrances inutiles infligées à la population par une classe politique qui
n'a pas tenu compte des lois économiques élémentaires.
Si les réformateurs africains en tiraient les quelques enseignements, ces souffrances
n'auront pas été complètement vaines.
Source: Gualgui-info
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