La prostitution se développe à Melen, un quartier de Yaoundé
Il est 22h30 ce vendredi 21 novembre 2008. Cramponné à l’arrière de la Toyota Corolla qui le conduit au lieu dit “ Total Melen ”, le reporter a du mal à supporter le froid crépusculaire qui souffle en ce début de week-end sur Yaoundé. Aussitôt sorti du véhicule, j’emprunte à pied le tronçon qui va de “ Total Melen ” au lieu dit “ Carrefour Hôtel Feuguiff ”. Certains débits de boissons sont encore ouverts. Quelques “ couche-tard ” s’y racontent les histoires de la semaine autour d’un verre.
Sous un air de bikutsi à la mode, poissons à la braise ou rôti de poulet agrémentent les conversations. A mesure que j’avance, ma curiosité est captivée par une scène insolite à cette heure de la nuit. Sur les bords de la route, des silhouettes de femmes, à moitié nues, cigarette à la main, se dessinent dans la pénombre. “ Coyotes ; nguess ; bordels ”. C’est ainsi qu’on les appelle dans ce milieu. Négligemment adossées soit à un véhicule garé, soit sur un poteau électrique, ou devant une échoppe, ces femmes, jeunes filles, filles enceintes, grosses, élancées, vieilles, petites, noires, brunes ou albinos, etc. cherchent des clients.
Pour attirer l’attention des passants, elles n’hésitent pas à siffler les potentiels clients. “ Market is so strong tonight ! ”, s’exclame l’une d’elles, la quarantaine environ. “ Je vois que tu es nouveau dans le coin ou alors tu veux me piéger ? C’est l’heure de pointe ! C’est leur journée qui commence maintenant ”, me lance narquois un vendeur de cigarettes. J’ai voulu comprendre pourquoi il y a tant de filles ce soir à cet endroit.
J’ai à peine obtenu cette réponse qu’une fille de joie m’aborde. “ Chaud gars ! On part ? C’est moins cher. Je ferais tout ce que tu veux. Je suis tout à toi. Regardes ”, vante-t-elle tout en déballant d’une main son soutien-gorge, pour me laisser admirer sa forte poitrine. L’autre main soulève ce qui lui tient lieu de jupe. “ Membre ne panique pas. Fais comme un homme. C’est du bon ”, me lance en guise d’encouragement, un de ces “ gros bras ” chargé d’assurer la sécurité des prostituées.
Par souci d’en savoir un peu plus sur ces filles de nuits, je décide de suivre ma compagne du soir. Ashola me conduit dans un couloir obscur à l’arrière d’un établissement financier situé à un jet de pierre de l’ “ hôtel positif ”. La peur au ventre, j’avance. Cinquante mètres plus loin, la porte d’une petite chambre s’ouvre devant nous. C’est une chambre de passe. Un lit, une garde-robe de fortune, un réchaud à pétrole et un tapis, constituent le mobilier de la pièce. “ Tu as une belle chambre hein ! ” lui dis-je cherchant maladroitement à établir la conversation. “ Pardon laisse-moi tes bavardages là. Fais vite. Ne me perds plus le temps. Tu n’es pas le seul client ” me lance-t-elle d’un air empressé.
Etudiantes en quête de “ gagne-pain ”
La scène que je vis depuis mon arrivée à Mini Ferme a tout l’air d’un film policier. Un jeune homme vient de reconnaître sa petite amie parmi les “ vendeuses de sexe ”. Cette dernière lui aurait pourtant affirmé qu’elle est étudiante en faculté de sciences à l’Université de Yaoundé II. Telle une furie, le bonhomme s’éjecte de son véhicule et atterrit sur l’infortunée. S’ensuit une bastonnade que la cop’s n’oubliera sans doute jamais. Ses collègues savourent l’instant. Des éclats de rires et des applaudissements fusent. “ Ça va t’apprendre à venir discuter le territoire ici avec nous ”, lui lancent-elles avec mépris.
Selon des informations recueillies sur place, la majorité des filles de nuit exerçant à Melen sont des étudiantes. Elles suivent des cours en journée et se transforment en “ call girl ” le soir venu. “ Le dehors est très dur et ce n’est pas tout le monde qui a la chance de trouver du travail aujourd’hui. On essaye de joindre les deux bouts en nous offrant dans la rue. Certes des gens nous traitent de tous les noms, mais ce que cela nous rapporte nous aide beaucoup. C’est mieux que rien ”, justifie Clarisse B., étudiante en faculté des Lettres modernes françaises à l’Université de Yaoundé I. Comme elle, de nombreuses étudiantes vendent leur corps pour “ survivre ”. “ Je ne travaille pas ici tous les jours. C’est de vendredi à dimanche soir, que je suis en route parce que c’est le week-end que le pointage paye vraiment ”, explique Clarisse.
La clientèle de ces prostituées est constituée en majorité de “ conducteurs de camions, des joueurs de football, des hommes en tenue, des inconnus et même des hommes mariés ”, témoigne Ashola, prostituée depuis bientôt dix ans. Les prix varient selon les exigences du client. Elles sont prêtes à tout pourvu que ce dernier “ paye bien. Les prix varient de 500 Fcfa à 5 000Fcfa. Que voulez-vous ? Le plaisir a un prix ”, soutient Ashola l’air décontracté. Et de préciser, “ seuls nos clients réguliers ont la priorité. Il est difficile pour nous de rentrer avec un inconnu chez lui. Sauf s’il paye avant de nous embarquer. Parce que la plupart du temps, ils finissent avec nous et ne nous payent pas ”.
Impact néfaste sur les populations riveraines
Les populations de Mini Ferme et ses environs ont le sommeil léger. A cause notamment “ de la musique tonitruante qui fuse des bars et autres boîtes de nuits sept jours sur sept. Le coin étant en permanence bruyant, avec la vente du sexe que cela comporte, il devient difficile de fermer l’œil de toute la nuit ”, se lamente Ernest Kengne, un commerçant. Certains riverains auraient déjà déposé des plaintes auprès des autorités administratives. Malgré la décision du préfet du Mfoundi -selon laquelle les bars et autres débits de boissons devraient fermer à partir de vingt trois heures- “ Rien n’est fait jusqu’ici. Les gérants de bars n’en font qu’à leur tête. Ils ferment quand ils veulent ”, regrette Ernest.
En plus du facteur bruit, l’insécurité a également élu domicile à Melen. “ Partout où il y a les prostituées, les malfrats et les bandits de grands chemins ne manquent pas. C’est dire combien nos vies sont en danger ”, déplore Mireille Ekounda, ménagère. Plus grave, “ nos pauvres enfants qui vivent au quotidien cette prostitution ne finiront-ils pas par s’y jeter ? ”, s’inquiète cette mère de famille soucieuse de l’avenir de sa progéniture.
Source: Le Messager
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