Les couples mixtes en France : chimère ou réalité ?
Note de la Rédaction : point de vue et étude sociologique d'une
internaute concernant la mixité et les couples mixtes en France. Panorama des
possibilités et impossibilités actuelles liées aux moeurs, aux préjugés
concernant l'épanouissement des couples mixtes en France, avec témoignages de
tiers.
Au commencement, il y’avait Eve et Adam. Non, on recommence….Au commencement, il
y’avait Fred et Hasna, Mamadou et Zineb, Stan et Ouahiba. Entre eux, nulle
histoire de pomme ou de serpent mesquinement tapi sous un arbre. Entre eux, le
poids des conventions sociales, des coutumes d’un autre âge et, surtout, d’un
racisme silencieux qui s’infiltre insidieusement.
Une identité française commune
Hasna et Fred se fréquentent depuis 5 ans. Fred est infirmier titulaire
depuis 2 ans. Hasna quant à elle vient de terminer sa dernière année de droit.
Son stage de fin d’année s’est transformé depuis peu en CDI. Ils ont tout deux
25 ans, sont amoureux et souhaitent faire leur vie ensemble.
Seule ombre au tableau : Hasna est tunisienne, Fred, lui, est congolais : « Mes
parents n’accepteront jamais que je leur présente un soupirant d’une origine
différente. Ma sœur aînée a été bannie de la famille quand elle a choisi
d’épouser son petit ami français. Ils sont parfaitement heureux et ont
aujourd’hui deux enfants, mais mon père a toujours refusé de les voir. Ma mère
s’arrange pour « croiser » ses petits enfants au centre commercial. Alors, pour
ce qui est de Fred…. »
Elle ne termine pas sa phrase. Fred reprend : « Je peux comprendre que des
parents soient inquiets pour l’avenir de leur fille. Si je le pouvais,
j’essaierais dans la mesure du possible de les rassurer. Mais je crains que le
fait que je sois travailleur, que je sois issu d’une famille respectable ou même
que je me convertisse à leur religion ne suffise pas. Je serai toujours
différent à leurs yeux ». Cette différence, ils la vivent au quotidien. Dans
le regard des gens, dans les murmures à peine discrets qui suivent leur passage
ou dans les quolibets qui leur sont ouvertement adressés dans la rue. « C’était
difficile les premiers mois, admet Stan, d’origine martiniquaise. Pas tellement
à l’extérieur car Ouahiba et moi passons l’un et l’autre aussi bien pour des
métis. C’était surtout difficile au sein de nos familles respectives. Surtout la
mienne. Ma mère n’a jamais accepté ma conversion à l’Islam. Elle en a longtemps
tenu Ouahiba pour responsable. »
Ces différences n’auraient pourtant
idéalement pas lieu d’être. Nés en France et ayant grandi sous l’égide du modèle
républicain, ces enfants de la deuxième génération, comme les sociologues et
politiciens se plaisent à les appeler, sont français. Ils ont souvent fréquenté
les mêmes écoles, ont grandi dans les mêmes quartiers, ont partagé les mêmes
codes culturels, langagiers et vestimentaires. D’origine sénégalaise,
algérienne, camerounaise ou tunisienne, ils sont avant tout français. A ce jour,
aucune étude ne permet de définir leur nombre, leur répartition en âge et encore
moins en pays d’origine. En effet, la loi du 13 juillet 1990 interdit en France
tout acte fondé sur une discrimination, sur l’appartenance ou la
non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.
Aussi, cette invisibilité des minorités dites visibles laisse place à toutes les
approximations, difficilement vérifiables. De ce fait, le nombre des couples
mixtes issus de la seconde génération n’est pas vraiment quantifiable.
Un melting pot controversé…
Cette génération, encensée lors du dernier festival de Cannes grâce au film
de Laurent Cantet « Entre les murs », porte en elle l’espoir d’une nouvelle identité française, sous
les couleurs bigarrées d’un drapeau black-blanc-beur, symbole d’une France qui
assume sa pluri culturalité. Ce brassage connaît cependant d’évidentes limites.
En effet, s’ils partagent une certaine
culture commune, celle-ci n’est pas suffisamment forte pour rallier les
groupes qui la composent autour d’une identité fédératrice. Enfants d’immigrés,
ils ont pour la plupart grandi dans des milieux et des quartiers défavorisés où
la précarité, l’exclusion et le chômage atteignent parfois des taux record, et
sont des terrains propices au climat de tension et au repli communautaire qui
règnent.
L’exemple de la banlieue Nord de Paris, théâtre depuis plusieurs années de
tensions communautaires, illustre assez bien le malaise qui existe entre
habitants d’origines africaine, maghrébine, antillaise, de confession juive ou
musulmane. Dans la vie de quartier, les regroupements ont de plus en plus
tendance à s’organiser en fonction des ethnies et des religions. Face aux
incertitudes et mutations vécus comme des agressions extérieures, le mouvement
de repli communautaire devient naturel.
Les dernières générations sont les plus fragilisées car les plus exposées aux
changements. Cette pression s’exerce plus particulièrement sur les filles, dont
la surveillance s’est accrue au nom de la défense de l’héritage culturel.
L’institution matrimoniale étant basée sur le principe de l’échange, comme l’a
démontré l’anthropologue Levy Strauss, l’endogamie reste encore le meilleur
moyen d’assurer la « circulation de ces biens du groupe que sont les femmes
et les filles ».
Dans ce contexte, la naissance d’une idylle entre jeunes issus de communautés
différentes est parfois source de conflit. « Lorsque j’ai commencé à
fréquenter Mamadou, ça s’est su très rapidement car nous habitions la même cité.
Mon frère aîné qui s’était pourtant jusqu’à présent très bien entendu avec lui,
a été alerté par ses copains. Pour eux, ça ne se faisait pas. Il m’a menacé à
plusieurs reprises et en est même venu aux mains avec Mamadou. », nous
confie Zineb, dont les parents sont originaires du Maroc.
Dans la communauté dont Zineb est issue, comme dans la plupart des groupes
sociaux, les jeunes filles sont non seulement les dépositaires de l’honneur de
la famille, mais aussi, dans le rapport étroit qu’elles entretiennent avec
l’éducation de leurs enfants, les garantes de la transmission de la culture, de
la religion et de la langue. Ainsi, une jeune
fille « perdue » entraine également la perte de tout son lignage.
« Il y avait une telle pression – on parlait même de me marier au pays – que
j’ai pris peur et je me suis enfuie. Je me suis cachée dans la famille de
Mamadou. Lorsque ma famille l’a appris, ma mère a pris les devants et est venue
me supplier de rentrer. »
Selon Camille Lacoste-Dujardin,
sociologue, « c’est bien en terme d’alternative insupportable que
s’exprime le plus cette contrainte : ou respecter l’endogamie, ou rompre avec
ses parents, voire les renier ». « Si ma mère avait été quelqu’un de
moins sage, cela aurait pû très mal se terminer. Mais avec l’appui de l’imam du
quartier, elle a réussi à faire accepter cette union à mon père et à mes frères. »
En effet, les parents se basent sur l’Islam pour justifier les choix moraux de
l’éducation de leurs jeunes filles, d’où la confusion entres coutumes, pratiques
sociales et religion dans ce qui est « haram », ce qui est interdit. Mais qu’en
est-il vraiment ?
La religion et le mariage mixte
La législation musulmane prône l’égalité entre ses adeptes dans la plupart
des domaines. Le fait d’être noir ne semble pas être, explicitement, un frein au
mariage mixte. Certaines annales rapportent d’ailleurs que le premier
muezzin
de l'Islam, Bilal, esclave noir fût acheté, affranchi et marié par le Prophète
lui-même à l’une des filles des Banû Bukaïr. La réalité actuelle est parfois
bien différente, comme nous le confirme Stan : « Ma conversion à l’Islam n’a
en rien facilité mon intégration au sein de la famille de mon épouse. Bien au
contraire. Même si ce choix a été fait pleinement, à la suite de longues études
et d’une vraie révélation. Il
a été jugé par certains comme une stratégie. »
Stratégie à laquelle Fred, évangéliste pratiquant, ne souhaite pas adhérer : « Nous
ne devrions pas avoir à renoncer à une partie de nous même pour aller à la
rencontre de l’autre. Ce sont ces différences qui enrichissent notre union, tout
comme elles enrichiront plus tard nos enfants. Ils seront élevés dans le respect
des deux fois et feront un choix ou pas, quand ils seront en âge de le faire. De
toute façon, je pense que le problème est
ailleurs….. »
Il faut remonter plusieurs siècles plus tôt et traverser la méditerranée, pour
saisir l’essence de cet « ailleurs » qu’évoque pudiquement Fred. Car le Noir,
dans l’imaginaire collectif de l’Afrique du Nord, renvoie toujours confusément à
l’image domestique et aux rangs les plus inférieurs de la société. Cette vision
dévalorisante date probablement de la longue traite orientale qui ne cesse
qu’aux alentours de 1890, date du second décret d’abolition de l’esclavage.
Au cours du xxe siècle,
l’esclavage sous sa forme traditionnelle tend à disparaître au Maghreb. Les
indépendances et la mise en place de l’État-nation abolissent toute différence
de statut juridique. Les descendants d’esclaves noirs
connaissent alors une
très lente émancipation, ponctuée par l’acquisition de certains droits.
Il reste cependant encore certains signes de discrimination, notamment dans le
langage qui véhicule une certaine représentation de l’homme noir.
Ainsi, un noir est un « oussif » (« serviteur », « esclave » et, par extension,
« noir »). Par opposition, « blanche » se dit « horra », qui signifie « libre »
en tunisien.
Représentation ambivalente de l’homme noir
Cette représentation est nuancée par Abdelwahad Meddeb, maître de
conférences à l’université Paris X.
« Le rapport au Noir est une sorte de
bénédiction : le mal converti en bien. Les appellations données au Noir en
témoignent : Mabrouk comporte baraka, bénédiction, Masrour,
celui qui apporte la joie. Pour chasser le mauvais œil, une maison devait avoir
son Noir... »
Il évoque également la place
prépondérante de la sexualité dans la représentation du Noir dans le monde
arabe : « dans Les Mille et une
nuit, Shahiar, dans le conte-cadre, est traumatisé par l'adultère de sa
femme avec un Massaoud justement, l'esclave noir. C'est l'ambivalence du Noir
qui fait de lui un eunuque dans le harem : on cherche sa présence en sa qualité
de porte-bonheur et on craint sa sexualité ; on le châtre alors et on en
fait le compagnon et le gardien des femmes. »
Dans une société française en pleine mutation, l’acceptation de ces couples
mixtes par leurs milieux d’origine, demeure précaire. Bien souvent, la peur de
l’inconnu et l’ignorance sont le creuset des préjugés les plus tenaces, préjugés
qui traversent les époques et voyagent d’un continent à l’autre. L’objet du mal
dont on souhaite la conversion n’est pas convenablement identifié. Le danger
n’est pas l’Autre dans son altérité, mais Soi dans ce refus de l’altérité.
L’union de Fred et Hasna, Mamadou et Zineb, Stan et Ouahiba, reste encore le
meilleur symbole de conversion du mal en bien.
E.L.
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