Le débat public au sujet de la corruption a été lancé depuis la publication il y a quelques années de cela par l’organisme Transparency International : le Cameroun était alors dans le hit parade de ce si peu glorieux classement, à la « lutte » avec des pays tels que le Nigeria. Face à cet état des choses, les réactions les plus observées de nos dirigeants allaient de la simple surprise au mécontentement, certains n’hésitant d’ailleurs pas à accuser cet organisme de diffamation pure et simple à l’encontre de notre cher et beau pays.
Apres avoir ainsi longuement et vainement essayé de discréditer cet organisme dont la publication n’avait fait que révéler au grand jour ce que vivait le commun des Camerounais dans sa vie quotidienne et ce dans toutes les sphères de la sociétés, nos officiels ont décidé de livrer un combat sans merci contre ce fléau : pour rétablir d’abord la bonne image du Cameroun au plan international – ce qui a été ne serait-ce qu’en partie réussi car depuis quelques temps notre pays n’occupe plus cette humiliante première place – et ensuite pour essayer d’assainir l’activité économique et le fonctionnement de nos institutions.
C’est l’atteinte des objectifs de ce second volet du combat contre la corruption qui sera plus difficile, car c’est tout le système camerounais qui est infecté par ce fléau. Tous les services rendus sont obligatoirement effectués avec des pots de vin sinon vous pouvez attendre très longtemps. C’est le cas au service de l’immigration où obtenir un passeport est un véritable chemin de croix …
En effet, si l’omniprésence de la thématique de la lutte contre la corruption dans le discours officiel a fini par amener les Camerounais à comprendre l’aspect nocif de ces pratiques par rapport à l’évolution notre pays, il faut dire qu’il n’est pas aisé de passer de la parole aux actes. Bien sûr, les dernières nouvelles ajoutées aux actes tels que les arrestations des détourneurs des deniers publics, découvertes de fonctionnaires fictifs et de salariés illégaux à la fonction publique ont fait leur effet… Mais il faudrait ajouter que ces éléments restent peu significatifs quand on connaît la place qu’occupe la corruption dans notre société.
On a beau jeu d’interpeller des hauts fonctionnaires qui, semble-t-il, ont commis les pires forfaits aux postes sensibles qu’ils occupaient, à l’instar de Siyam Siewe, Etonde Ekotto ou encore Abah Abah et Olanguena Awono plus récemment. Mais la réalité est que ce n’est qu’un arbre qui cache la forêt d’un mal qui gangrène allègrement tout notre pays depuis l’époque du feu Président Ahidjo et dont, aujourd’hui, bon nombre de Camerounais doivent porter, à un certain niveau, une petite part de responsabilité.
Quand dans un pays, on peut faire avancer un enfant à l’école parce qu’on a donné un billet au proviseur, conduire une voiture en toute illégalité parce qu’on a acheté son permis de conduire, mettre un compatriote en prison sans aucun motif valable parce qu’on a fait une main levée au commissaire ou encore s’exiler à l’étranger pour se faire soigner sur la base de certificats médicaux imaginaires, il est clair qu’il devient urgent de, non plus se poser des questions, mais de prendre la mesure d’un mal que nous contribuons tous à exacerber.
Aujourd’hui, les techniques de contournement systématiques des règles de base se sont standardisées et aller se faire établir une pièce d’identité sans un billet sous le lot de paperasse que constitue l’ensemble des pièces demandées est devenu pire qu’un blasphème et peut même vous attirer l’ire des fonctionnaires.
Si on peut comprendre le citoyen lambda, devenu corrupteur contre son gré devant un fonctionnaire véreux, on ne peut comprendre les Camerounais qui payent pour avoir des diplômes qu’ils n’ont pas et postuler à des emplois pour lesquels ils n’ont aucune compétence avérée. On ne peut non plus comprendre les nombreuses délégations de sportifs fictifs qui s’envolent souvent pour des tournois internationaux auxquels ils ne participent pas et qui prennent la clé des champs une fois arrivés en occident. On ne comprend pas non plus les commerçants qui soudoient les contrôleurs des Ministères pour pouvoir appliquer des prix prohibitifs sur les marchés aux Camerounais qui subissent déjà les affres d’une poussée inflationniste des matières premières sur les marchés internationaux.
La corruption et le faux sont devenus des maux qui portent désormais la griffe Camerounaise. Le pire, c’est que cela s’est bien évidemment exporté à l’étranger, où les Camerounais n’hésitent plus à faire de faux papiers pour bénéficier parfois de droits auxquels ils ne sont pas admissibles ou pour intégrer des écoles auxquelles ils n’auraient jamais rêvées. Entre les demandeurs d’asile aux Etats-Unis qui se disent tous poursuivis par le régime « tyrannique », citons les, de Paul Biya, et les docteurs fantômes de la Sorbonne et autres, le mal Camerounais a bel et bien franchi notre petit triangle national.
On aura beau se plaindre du fait que notre cher Président, par son absence perpétuelle des grands débats de société, a laissé se répandre la plupart des maux de notre pays, mais on ne pourra jamais se décharger de sa responsabilité naturelle de citoyen. Est-ce parce qu’une société se délabre dans le vol et la malhonnêteté que l’on doit tous être des voleurs et des malhonnêtes ? Est-ce parce qu’on a dans nos administrations quelques absentéistes et de nombreux paresseux que l’on doit tous être absents et paresseux ? La réponse à ces questions est bien évidemment négative : aucune société ne peut aspirer au développement si, au-delà des problèmes qu’elle rencontre, il n’y a pas un minimum de conscience citoyenne et de responsabilité commune.
Ceux qui passent tout leur temps à justifier leurs actes morbides, de faux en écriture, de détournements de deniers publics ou de petite corruption au détour d’un bureau par le fait que cette pratique est consubstantielle à tous les Camerounais ne sont, qu’au fond, des apôtres de cette « facilité » et ce « contournement » qui ont fait tant de mal à notre pays.
On se gaussera tant qu’on voudra de l’arrestation des Abah Abah et autres thuriféraires du régime, certains féliciterons Paul Biya ou Amadou Ali pour leur action, au choix, mais jamais on ne changera fondamentalement le Cameroun avec quelques sorties de cet acabit, aussi spectaculaires et régénératrices soient-elles pour l’opinion publique. Car, au fond, ce mal est en nous tous, profondément ancré dans nos maisons et n’attend qu’à éclore dès qu’une énième occasion de tirer notre épingle du jeu sociétal se présentera.
Pour que le combat contre la corruption dans notre pays soit véritablement engagé, il faudrait qu’il soit décentralisé ; autrement dit, que ses principaux acteurs soient non pas quelques hautes personnalités du système judiciaire faisant des sorties médiatiques de mauvais goût pour dire l’arrestation de tel ou tel haut fonctionnaire, mais les 17 millions de Camerounais qui s’épieraient et éventuellement, se dénonceraient entre eux. C’est peut-être triste à penser, mais ça reste une voie à explorer si l’on veut se bâtir une place comme nation civilisée : on ne peut prétendre à rien dans la tricherie permanente.
Dans tous les cas, il est certain que ce combat en appelle à la conscience de tous et ce n’est que lorsque tous les camerounais y seront engagés avec la volonté de faire bouger les lignes qu’une victoire pourra être envisagée. Ce qu’on appelait il y a quelques années encore la débrouillardise Camerounaise ne ressemble plus qu’à une sorte de roublardise institutionnalisée. Il est donc urgent que cela change. Et ceci demandera sûrement plus de temps et de sacrifices que nous ne pourrions l’imaginer.
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