Boris Mbarga, mort à Conakry
La semaine du 23 février dernier, une centaine de jeunes mourraient lors des émeutes sociales qui ont embrasé le triangle national Camerounais. Un mois plus tard, une nouvelle fois, notre pays est frappé de plein fouet par la perte de 11 de nos compatriotes dans des conditions, on doit le dire, rocambolesques. Perdre ainsi en moins d’un mois plus d’une centaine de jeunes compatriotes, lycéens et étudiants pour beaucoup, est un drame sans aucune mesure pour un pays qui essaie de tenir son rang dans le concert des nations civilisées.
Si la pudeur devant le drame que vivent les proches et la retenue qu’impose la période de deuil nous suggère de ne pas polémiquer sur la célérité de l’action gouvernementale, ces tragédies successives nous interpellent néanmoins tous, jeunesse Camerounaise de la diaspora, partie pour la plupart à l’assaut d’une savoir livresque aux quatre coins du monde.
Ces tragédies nous interpellent tout d’abord sur la notion de courage : le courage de ces lycéens marchant sur le boulevard du 20 Mai en chantant leur désir de changement; le courage de ces jeunes morts noyés dans les eaux du Wouri parce que déterminés à faire valoir leurs aspirations; le courage de ces étudiants, à Conakry, morts en tentant de secourir leurs camarades pris dans l'étreinte d'une mer survoltée; et plus encore, le courage d’un Boris Mbarga se délestant de son gilet de sauvetage au profit de son amie avant de mourir d'épuisement en tentant de secourir ses compatriotes.
Ces tragédies nous interpellent indubitablement. Elles nous interpellent car très peu parmi nous, se camouflant devant le confort d’ordinateurs aux prix prohibitifs et derrière l’anonymat que procure Internet, seraient jamais capables d’actes d’une telle bravoure. Elles nous interpellent à titre individuel, étudiants assis, qui à la Sorbonne, qui à Berkeley, toisant parfois l’Afrique d’un air condescendant et irrévérencieux, dont bon nombre seraient incapables de tant d’engagement au péril de leur vie.
Ces tragédies interpellent aussi avec lucidité nos aspirations à s’inscrire au panthéon universel de la réussite sociale et professionnelle. Elles interpellent le bien fondé de cette vie de strass et de paillettes à laquelle beaucoup semblent aspirer. Elles interpellent la légitimité de nos ambitions de carriéristes, végétant gaillardement dans les salons feutrés de la Banque Mondiale ou de l'ONU. Elles interpellent ces chercheurs assis insolemment derrière les machines super puissantes de la NASA ou de MICROSOFT. Elles interpellent ces intellectuels, pompeusement appelés « docteur en ceci » ou « professeur en cela » et dont le seul mérite est d'avoir pondu des ouvrages qui pourrissent dans les tiroirs des bibliothèques occidentales.
Ces tragédies nous interpellent inévitablement sur le sens de nos existences, sur notre rôle devant l’histoire de notre pays. Elles s’imposent inexorablement comme le miroir de nos faiblesses, le reflet de nos carences et la lumière de nos défaillances existentielles. Elles nous interpellent sur notre devoir de solidarité lorsque de simples cabales festives ou des réclamations pacifiques de compatriotes tournent au drame et au tragique.
Ces tragédies interpellent donc les vocations des uns, elles interpellent les aspirations des autres. Elles interpellent ces existences, qui, en quelques heures, peuvent sans coup férir basculer de vie à trépas. Elles interpellent ce temps perdu à ne rien faire. Elles interpellent le gâchis des soirées arrosées. Elles interpellent la jouissance impudique et éphémère de nos croisades charnelles. Elles interpellent l’illégitimité de nos haines cachées, la légèreté nos rancœurs enfouies et la sottise de nos querelles infantiles face une vie qui ne revêt, au final, que toute sa quintessence dans l’amour que l’on donne aux autres et le temps que l’on accorde à son prochain.
Ces tragédies interpellent finalement notre sens moral le plus profond, notre dévouement patriotique et notre conscience commune. Elles constituent, à n’en pas douter, une leçon de vie, une invitation à repenser notre modèle d’existence collectif, un appel à revoir les fondamentaux de nos individualismes et un hymne à la réflexion sur les ressorts de nos aspirations sociales.
Sans cette introspection, les désormais martyrs de la "connaissance" morts en exil à Conakry, ainsi que les martyrs de la liberté tués à Douala, à Yaoundé ou à Bafoussam pendant les émeutes, nous auront quittés pour rien. Il n'y aurait pas pire adieu que de ne comprendre la force du message à nous adressé par ces tragiques événements.
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