1- La débâcle de la Conac
La Commission nationale anti-corruption (Conac) a été créée par décret présidentiel le 11 mars 2006. Placée sous l’autorité du président de la République, la Conac est un organisme public indépendant chargé de contribuer à la lutte contre la corruption. A propos de corruption, le Cameroun a toujours été épinglé par les organisations internationales pour la gestion calamiteuse des fonds publics. Le pays est toujours cité parmi les plus corrompus de la planète. Certains anciens gestionnaires ont été récemment condamnés pour des actes relatifs à leur gestion des fonds publics.
Dans ce contexte, la Conac devait contribuer à prévenir et à combattre la corruption. Le président et les membres du comité de coordination ont été nommés le 15 mars 2007. Un an après la création de la Commission. Ils ont prêté serment quelques jours plus tard à la Cour suprême. Déjà douze mois que la structure fonctionne, pourrait-on dire. Un peu comme dans un exercice bilan, Le Messager s’est intéressé à son fonctionnement. Il apparaît que la Conac est en débandade. Elle manque cruellement de moyens financiers pour contribuer efficacement à la lutte contre la corruption, ce “ cancer social ” du régime de Paul Biya.
2- L’institution sans domicile fixe
“ Savez-vous où se trouve le siège de la Conac ? ”. Après une période d’hésitation, ce jeune journaliste en service dans un quotidien de la place répond : “ Non ! c’est où ? ” Autre question : “ Savez-vous à quoi sert la Conac ? ” Après une autre hésitation, notre interlocuteur affirme que c’est une structure mise en place juste pour “ réhabiliter quelques retraités ”. Quant à la lutte contre la corruption, objet de cette commission, “ on n’a pas encore entendu parler de la Conac depuis qu’elle est là ”, argumente-il.
Notre confrère aurait pu répondre que le siège de la Conac est dans la capitale politique du Cameroun, car “ son siège est à Yaoundé ”, si on s’en tient aux termes de l’alinéa 3 de l’article 1er du décret du 11 mars 2006 portant création, organisation et fonctionnement de la Conac. Il y a quelques mois, un local a été alloué à cette structure au premier étage du Palais des congrès de Yaoundé. Mais la portion de cette battisse cédée à la Conac, jusqu’à ce jour, est désespérément vide. Son président, Paul Tessa, ancien directeur général de la Sopecam et ancien ministre, occupe son bureau de président du conseil d’administration de la Sopecam à l’immeuble Camnews. Impossible de savoir exactement comment travaillent le secrétaire permanent et les membres du comité de coordination de la Conac. Ils sont en débandade.
Deux ans après sa création et un an après la nomination et l’installation du président et des membres, la Conac tarde à prendre son envol, à se risquer sur le terrain périlleux de la lutte contre la corruption au Cameroun. Selon une source bien informée, la Commission nationale anti-corruption est affamée ; elle est quasiment privée de moyens financiers. En 2007, elle aurait reçu de l’Etat une somme de 100 millions de Fcfa lors de la prestation de serment de ses membres. Après l’installation, les membres ont continué à vagabonder.
“ On a mis la charrue avant les boeufs ”, commente une autre source introduite. “ Comment les membres allaient-ils travailler dans ces conditions ”, s’interroge-t-elle. La Conac a eu de timides rencontres avec les ministres en charge des questions d’éducation et les syndicats des milieux éducatifs à la veille de la dernière rentrée scolaire. Cette campagne de sensibilisation, qui n’a pas marqué les esprits, n’a pas prospéré ; Paul Tessa te son équipe se sont très vite essoufflés. A ce propos, Sophie de Caen, représentante résidente du Pnud au Cameroun, arrivée en fin de mission, a affirmé dans les colonnes du quotidien Mutations du vendredi 14 mars 2008 : “ Quand je regarde la lutte contre la corruption, la Conac est silencieuse jusqu’aujourd’hui et je crois qu’il y a lieu de revoir son fonctionnement. Il faut qu’elle soit beaucoup plus présente dans les débats concernant la lutte contre la corruption ”. Ce n’est pas Paul Tessa ou les membres du comité de coordination de la Conac qui apporteraient le démenti à ces propos.
3- La présidence affame les auteurs
Selon les termes de l’article 27 du décret de création de la Conac, “ les ressources de la Commission sont constituées : des dotations inscrites au budget de l’Etat… ” En consultant les différents chapitres de la loi de finances en cours, la Conac n’apparaît nulle part. Une source indique qu’elle dépend financièrement de la présidence de la République. Au cours de cette année 2008, la présidence et ses services rattachés doivent consommer une enveloppe d’un peu plus de 53 milliards de Fcfa. Quelle somme est allouée à la Conac pour s’acquitter de ses missions ? Selon des informations glanées à bonne source, l’allocation budgétaire de la Conac cette année serait de 300 millions de Fcfa. Une enveloppe jugée minable.
La Commission n’est pas encore installée. Elle a besoin d’être équipée en matériel de bureau, en matériel roulant, … La Commission doit en plus procéder au recrutement des personnels. Car le secrétariat permanant de la Conac comporte trois divisions et trois services qui doivent employer des dizaines de personnels au profil requis. Les recrutements qui avaient été annoncés ne sont pas bouclés. Avec quel argent la Conac va-t-elle supporter l’enveloppe salariale des personnels et des membres?
Au sujet des salaires et autres avantages, certaines sources affirment que le président de la Conac aurait fait des propositions à la présidence de la République. Les services de la Présidence auraient trouvé les montants des salaires exorbitants. Le traitement salarial mensuel du président culminait à plus de cinq millions Fcfa ; les membres devraient avoir un minimum de deux millions. Les services de la présidence de la République auraient administré une cure d’amaigrissement à ces propositions jugées boulimiques. S’il faut donc allouer un salaire, celui du président de la Conac plafonnerait à 700.000 Fcfa. C’est ce qui aurait été retenu en dernier ressort par la Présidence. Dans la grille qu’aurait proposé Paul Tessa, les salaires des personnels oscillaient entre deux millions et demi et 350.000 Fcfa. A la présidence de la République, les salaires des personnels permanents ne devraient guère excéder 350.000 Fcfa.
Selon nos sources, les déblocages de fonds que le président de la République aurait ordonnés n’ont jamais été effectués. L’on affirme que le blocage se situerait au niveau du ministère des Finances. Privés de moyens financiers, sans locaux, ni matériels, ni personnels, la Conac a du mal à rassembler ses membres. Certains membres impatients menacent même de démissionner. Le fait que les pouvoirs publics affament la Conac n’est pas une surprise. Car pour certains observateurs, il est utopique de demander au poisson de voter le budget pour l’achat de l’hameçon…
On se demande dès lors si le président Biya veut vraiment lutter contre la corruption. En effet, s’il avait donné des instructions qui n’avaient pas été suivies, qu’est-ce qui l’empêche de limoger ceux qui boycottent ainsi ses ordres ? Tout laisse penser qu’au-delà de la compétence managériale que l’on peut récuser, il est possible que la décision de laisser cette institution dans la galère est expresse. Sinon, comment expliquer cette léthargie, si ce n’est une sorte de complicité ? En attendant que la Conac se réveille de sa torpeur, le peuple attend encore des signes forts pour croire à une réelle volonté de lutter contre la corruption au Cameroun.
Source: Le Messager
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