«Quand tout un pays utilise les armes, la police et tout le dispositif judiciaire et pénitentiaire contre une partie de sa population alors qu’il a l’engagement de protection», c’est un apartheid, explique la juriste de 69 ans dans un entretien à l’AFP à Berlin.
Venue dans la capitale allemande pour recevoir son prix mardi prochain, Alice Nkom compare également la situation des homosexuels dans son pays à l’esclavage aux États-Unis jusqu’au XIXe siècle «quand on a dénié toute humanité à des êtres humains parce qu’ils étaient noirs».
L’homosexualité est interdite au Cameroun et, depuis 1972, passible d’une peine de cinq ans de prison. Souvent, un simple soupçon suffit à déclencher des poursuites devant les tribunaux et même à des condamnations, selon Amnesty International. La société camerounaise reste très hostile vis-à-vis des gays et lesbiennes.
«Quel est le peuple qui peut se bâtir sur la discrimination et espérer survivre ?» s’interroge cette femme affable, dans son boubou jaune vif, le regard pétillant derrière de sérieuses lunettes en écaille.
L’avocate camerounaise assure que le combat qu’elle mène depuis dix ans pour défendre les gays est plus largement «un problème des droits de l’Homme». Car paraphrasant le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon, elle souligne: «chaque fois qu’on touche à un homosexuel, on touche à toute l’humanité, c’est comme ça qu’il faut prendre le problème».
Alice Nkom refuse en outre de considérer l’homophobie comme «une affaire africaine ou l’affaire d’un pays».
Les relations sexuelles entre personnes de même sexe sont actuellement illégales dans au moins 76 pays, dont 36 en Afrique, selon l’organisation de défense des droits de l’Homme.
«Il n’y a rien d’ancré dans les coutumes ou la culture africaine. Jusqu’à nouvel ordre, les valeurs africaines, c’est la non-discrimination», affirme-t-elle. Elle donne en exemple l’ancien président sud-africain Nelson Mandela, qui s’est battu pour «l’amour, la tolérance et le respect de la différence».
L’attitude des Occidentaux vis-à-vis des pays répressifs en matière d’homosexualité est répréhensible, selon elle. «Les Européens ont tort de se laisser intimider lorsque les Africains leur disent 'ne vous en mêlez pas' ou 'c’est vous qui nous avez apporté ça'», poursuit-elle, puisqu’il est parfois prétendu en Afrique que l’homosexualité est une «importation» occidentale.
Elle appelle notamment à une réaction forte des Occidentaux après les lois anti-homosexuels promulguées fin février en Ouganda. Le président Yoweri Museveni a fait interdire notamment toute «promotion» de l’homosexualité et fait rendre obligatoire la dénonciation des homosexuels dans un pays où ils risquent déjà la prison à vie.
«Vous ne pouvez pas le laisser exercer une telle barbarie sur une partie de son peuple sans rien dire», s’insurge-t-elle, en réclamant «un certain nombre de sanctions» contre le président et sa famille, notamment en lui refusant tout visa pour se rendre à l’étranger.
Depuis son cabinet de Douala, la grande cité portuaire du Cameroun, elle préside également l’Association de défense des droits des homosexuels ADEFHO, qui fournit aide médicale et soutien psychologique aux gays et lesbiennes souvent en situation de détresse.
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