Georges Serre, ambassadeur de France au Cameroun
Détermination
Il parle avec conviction et n’hésite pas à accompagner ses mots de gestes pour
s’assurer d’être effectivement compris. S.E Georges Serre, ambassadeur de France
au Cameroun depuis octobre 2006, est un pédagogue déterminé. Il ne se lasse pas
d’expliquer et, au besoin, de dire plusieurs fois la même chose s’il le faut
pour que ses interlocuteurs partagent les idées que son pays défend. Profitant
des récentes visites de plusieurs personnalités françaises au Cameroun, Le
Messager est allé à sa rencontre : d’abord pour faire le point de ces missions
de parlementaires et de membres du gouvernement français, ensuite avoir son
appréciation de la coopération entre le Cameroun et la France, et enfin “ juger
” la gouvernance camerounaise à travers quelques grandes actions dont
l’opération Epervier.
Sans trop de protocole, le plénipotentiaire de la France a ouvert ses portes. Et
c’est tout naturellement qu’il a reçu les reporters à la table du dialogue. Un
dialogue marqué par quelques questions qui reviennent depuis des décennies et
que le diplomate ne souhaiterait peut-être plus aborder, mais qui s’imposent
toujours parce que le malentendu de la coopération ne s’est pas encore
totalement dissipé. Il a dû donc faire sienne la maxime qui voudrait que la
répétition soit la mère de l’enseignement. C’est dans cette posture davantage
didactique qu’il explique l’enjeu de la visite de personnalités françaises au
Cameroun.
Evaluant la coopération entre les deux pays sur des projets exécutés dans le
cadre du Contrat de désendettement et de développement (C2D), l’ambassadeur
Georges Serre retient que les parlementaires et le gouvernement de son pays sont
satisfaits. Mais il est étonné de savoir que des Camerounais envisagent
l’implémentation de certains projets du C2D dans une perspective pessimiste.
Toutefois, il garde l’espoir et est conforté dans ce sens par les conclusions de
l’étude que la Fondation Paul Ango Ela vient de mener sur les perceptions
croisées des Camerounais sur la coopération française et des Français sur le
Cameroun. Selon cette étude, des Camerounais demandent à la France d’aller de
l’avant mais, surtout, de ne plus oublier la jeunesse.
S.E Georges Serre va en guerre contre certains clichés et affirme avec force : “
Je ne vois pas aujourd’hui par quel pouvoir surnaturel la France serait une
menace pour l’épanouissement du Cameroun. ” Contrairement à l’idée selon
laquelle ce sont les entreprises françaises qui, pour l’essentiel, gagnent les
marchés du C2D, il indique que “ les entreprises camerounaises ont bénéficié de
66,4 milliards de marchés, contre 26 milliards pour les entreprises françaises
souvent de droit camerounais, et 18,5 milliards pour les sociétés d’autres
nationalités… ” Il est gêné d’entendre encore aujourd’hui que la France
influence les choix politiques et économiques du Cameroun.
Si ses points de vue qu’il défend férocement peuvent être discutés, ils
s’appuient sur une formation académique solide et une longue expérience des
affaires internationales et africaines. A cinquante-six ans, ce diplômé
(doctorat de 3e cycle) en études africaines de l’Ecole des Hautes études en
sciences sociales a servi, entre autres, comme chargé de mission au secrétariat
général de la présidence de la République française, directeur de l’agence
régionale de la Caisse française de développement à Johannesbourg, et conseiller
pour l’Afrique et le développement auprès du ministre des Affaires étrangères.
Avant d’arriver au Cameroun, il était en fonction en République démocratique du
Congo comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. Ce qu’il dit dans
cet entretien est aussi un peu le fruit de toute cette expérience. Lecture.
ATD
Des officiels du
gouvernement français viennent de boucler plusieurs visites au Cameroun. Au
cours de ces visites, ils ont évalué les performances de la coopération entre le
Cameroun et la France dans plusieurs domaines. Quel bilan en faites-vous, au
moment où l’une de ces missions officielles se termine ?
Il y a quelques mois nous avons reçu la visite de M. Brice Hortefeux, notre
ministre de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du
développement solidaire. Il y a quelques semaines nous avons aussi eu la visite
de parlementaires français, conduite par M. André Schneider, président du groupe
d’amitié France-Cameroun à l’Assemblée nationale, venus rencontrer leurs
collègues camerounais. C’est très intéressant parce que le Parlement est le lieu
où se vote le budget. Dernièrement, dans le cadre de la réunion des ministres de
la zone franc, nous avons eu la visite de M. Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à
la Francophonie et à la coopération, ainsi que celle de Mme Anne-Marie Idrac,
secrétaire d’Etat chargée du Commerce extérieur. Le bilan est assez positif
puisque dans leur diversité de parlementaires et de ministres, ils ont fait part
d’une certaine satisfaction à l’égard de cette coopération, notamment le fameux
Contrat de désendettement et de développement (C2D).
Après le lancement effectif du C2D au Cameroun il y a maintenant deux ans et
demi, on s’aperçoit que les résultats sont positifs, à la satisfaction des deux
parties [la France et le Cameroun]. Cela a d’ailleurs fait l’objet d’un comité
d’orientation stratégique qui s’est tenu le 06 octobre dernier. C’était à la
fois un comité du C2D et un comité d’orientation politique du partenariat du
document cadre signé en juin 2006 lorsque Mme Girardin, à l’époque secrétaire
d’Etat à la Coopération, était venue au Cameroun. Tout se passe bien, d’autant
plus que nous avons un suivi très approfondi puisque tous les ans le comité
d’orientation stratégique se réunit.
Cette année, il y avait un sujet important, l’affectation de fonds (9 millions
d’euros, soit 5 milliards 400 millions de Fcfa), qui étaient jusqu’à présent en
réserve. Pour cela, une mission financière est venue de France et nous avons
décidé d’accord parties, de consacrer l’équivalent de 8 millions d’euros à la
recherche agronomique, dans la perspective du redéploiement et de la
diversification de l’économie camerounaise vers la production agricole en
profitant de l’opportunité qui est offerte par l’augmentation des prix des
produits alimentaires. C’est la volonté du gouvernement camerounais d’aller dans
ce sens-là. Une bonne recherche agronomique est fondamentale pour parvenir à ces
objectifs. Il y avait une bonne base au Cameroun et nous avons décidé ensemble
de mettre cette somme au service de la recherche agronomique pour le
développement.
Nous avons également consacré l’équivalent de 200.000 euros pour effectuer une
étude sur l’économie de la recherche, c’est-à-dire savoir comment un pays comme
le Cameroun a-t-il besoin d’orienter sa recherche pour pouvoir suivre les
grandes tendances internationales. Ce sont des réflexions par lesquelles sont
passés des pays comme le Brésil, l’Inde, … On va voir quelle est la meilleure
formule pour le Cameroun : est-ce un grand ministère, plusieurs ministères qui
se coordonnent d’une autre façon, ou plutôt une agence nationale ? Toutes les
hypothèses sont ouvertes et plusieurs équipes travaillent sur le sujet au sein
du gouvernement.
En dehors de la recherche agronomique, il y a d’autres secteurs qui sont aussi
intéressants à mettre en valeur, surtout la recherche géologique et minière.
Aujourd’hui au Cameroun, il n’y a peut-être pas assez de capacités au moment où
vous vous ouvrez sur un certain nombre de projets de grande envergure dans ce
secteur ; il n’y a peut-être pas assez d’ingénieurs camerounais capables de
discuter d’égal à égal avec les promoteurs qui viennent dans votre pays. C’est
un sujet qu’il va falloir sans doute développer. C’est pour cela, globalement,
que l’on fait cette étude sur le secteur de la recherche. A côté de la recherche
géologique et minière, il peut y avoir d’autres domaines comme la cartographie,
etc.
Je termine sur les résultats du comité d’orientation stratégique parce qu’il y a
également l’équivalent de 800.000 euros (environ 500 millions de Fcfa) qui ont
été mis de côté pour financer l’économie de la culture. Nous avons tenu en mars
dernier des assises dans le cadre de la semaine de la francophonie. La réflexion
porte sur la mise en valeur du travail dans le secteur de la culture, de savoir
comment une activité peut rapporter à un individu comme dans tous les autres
métiers. Il faut mesurer la réalité telle qu’elle est dans la perspective qu’un
bon réalisateur de cinéma, un bon musicien, un bon sculpteur doit pouvoir vivre
de son activité de manière parfaitement économique et décente. Quand on voit
comment la Fondation Solomon Muna ouverte récemment fonctionne sur une base
privée, on comprend que c’est cela l’objectif : créer un endroit où on met en
valeur la tradition camerounaise avec une exposition permanente, un auditorium
et un studio d’enregistrement. C’est bien une initiative privée qui montre que
le culturel peut rapporter. Il est clair qu’on a ouvert une grande perspective
et il faut beaucoup travailler ensemble – pas seulement Camerounais et Français
mais avec d’autres apports – pour pouvoir mettre en valeur ce grand patrimoine
culturel du Cameroun au service du développement des populations.
Tout cela s’inscrit dans une véritable dynamique ; c’est pour cela que les
personnalités françaises qui sont venues récemment sont satisfaites de ce
partenariat, de ce dialogue permanent qui permet d’avancer.
Quand on vous
entend parler d’un investissement aussi important dans la recherche agronomique,
cela veut-il dire que les résultats jusque-là obtenus dans ce domaine ne sont
pas satisfaisants ?
La recherche agronomique au Cameroun marche bien. Elle a un long passé de
coopération avec la France mais a fait l’objet, comme toute la recherche
camerounaise, d’un certain nombre de choix. Parmi ceux-ci, il y a un qui a un
peu bloqué la situation, lorsque l’on a décroché le statut des chercheurs de
celui des enseignants du supérieur. Aujourd’hui, les chercheurs camerounais ont
vieilli par manque de renouvellement. L’idée c’est, par exemple, de réformer
leur statut et de la revaloriser de manière à ce que le chercheur soit plus
impliqué dans la recherche. Deuxièmement, il faut aussi distinguer la recherche
fondamentale de la recherche appliquée. Aujourd’hui on peut voir qu’un certain
nombre d’études faites sur les nouvelles céréales, le petit élevage, etc.
peuvent déboucher sur la mise en valeur de certains produits par des privés. Il
va falloir fournir par exemple des semences et il faut de l’argent pour tout
cela.
Je suis étonné de voir que vous envisagez cela systématiquement dans une
perspective pessimiste. Ce n’est pas parce que cela n’a pas réussi avant qu’il
faut faire quelque chose maintenant ; il faut toujours s’inscrire dans une
perspective de progrès dans la durée. C’est bien pour cela qu’aujourd’hui on
choisit la recherche agronomique qui possède un fort potentiel pour le
développement du pays.
Avec le C2D, la
France investit près de 8 millions d’euro dans la recherche agronomique, au
moment où le peuple camerounais ploie sous le poids d’une augmentation
exponentielle des prix des denrées de première nécessité. On peut penser que
votre investissement est mal ciblé, étant entendu que des résultats de recherche
de ce genre existent déjà. L’une des urgences donc serait de les exploiter pour
une production optimale de ces denrées de plus en plus insuffisantes et
incapables de satisfaire la demande nationale. Comment réagissez vous à cet
argumentaire ?
Un pays
ne peut pas se développer à partir d’un certain stade s’il n’y a pas
investissement dans la recherche. Aujourd’hui, c’est la recherche agronomique
qui s’impose dans un premier temps parce que le Cameroun a une vocation
exportatrice qui lui permettra de se développer énormément. Vous avez raison, la
recherche fondamentale donnera peut-être des résultats sur les meilleures
semences dans trois, quatre ou cinq ans. J’ai vu à l’Irad qu’ils étaient en
train de mettre au point un petit ruminant plus riche en protéine, des espèces
bovines améliorées, etc. Des réalisations sont obtenues sur les cultures de
contre saison. Il y a une plante très vendue au Nigeria aujourd’hui, l’ekog, qui
a un potentiel extraordinaire et qui est exportée par camions. On est même en
train d’étudier la possibilité de la sécher. De tels progrès vont permettre au
Cameroun de demain d’améliorer sa production agricole. C’est cela aussi la
responsabilité des pouvoirs publics qui, au delà des mesures budgétaires pour
soutenir les prix des denrées alimentaires de première nécessité, doivent aussi
prévoir l’avenir de nos enfants. Notre dialogue a permis d’aboutir à ces
résultats. C’est par cette recherche fondamentale que sont passés les
Brésiliens, les Indiens, pour améliorer leur situation et devenir ce qu’on
appelle des pays émergents. Le Cameroun avec 20 millions d’habitants a un
potentiel agricole énorme. Il faut accrocher cette marche supérieure de
l’échelle pour aboutir ensuite à un plus fort développement. D’où aussi
l’importance de la recherche géologique et minière.
Il y a
quelques mois, la Fondation Paul Ango Ela a publié une étude de laquelle il
ressort parfois que les Camerounais perçoivent la coopération avec la France
comme une menace pour leur épanouissement. Quelle appréciation faites-vous de
cette perception ?
C’est la
vision que vous avez après la lecture de ce document. Mais je vais revenir aux
sources mêmes de cette étude. Nous procédons de temps en temps à un certain
nombre d’évaluations et nous avons décidé d’étudier la perception des
Camerounais de la France et de son action au Cameroun. Et puis je me suis dit
pourquoi toujours aller dans le même sens alors qu’il serait plus pertinent
d’avoir une perception croisée, d’évaluer aussi comment on voit les Camerounais
du côté des Français. Pour le faire de manière scientifique et pointue, nous
avons eu recours à un organisme extérieur et, suite à un appel d’offres, la
Fondation Paul Ango Ela a été considérée comme la mieux outillée pour réaliser
cet exercice. L’équipe pluridisciplinaire qui a conduit l’étude sous la
direction d’un grand sociologue camerounais, Fred Ekobo, a été remarquable. Il
n’y a pas eu de surprise dans cette étude et on y retrouve beaucoup de poncifs
mais, c’est la première fois que ce travail d’analyse est mis en perspective de
manière aussi organisée avec d’excellentes synthèses.
Ce que je retiens de tout cela ce n’est pas une conclusion polémique comme la
vôtre qui est de dire que “ la France empêche l’épanouissement du Cameroun
”. La conclusion que les chercheurs ayant mené l’étude tirent est, je cite : “
Au fond, les Camerounais attendent que reste protégé un territoire symbolique
de leur relation avec la France, zone symbolique qui leur serait propre et qui
mettrait à distance respectable les autres partenaires. Ceci peut paraître
paradoxal mais confirme un lien fort, complexe et ambivalent qui porte autant
les stigmates de l’histoire qu’il appelle les privilèges d’un héritage commun.
” C’est lumineux ! cela ressemble aussi à qui ce qui existe entre la France et
d’autres pays qui ont été ses anciennes colonies et qu’on ne retrouve absolument
pas ailleurs. Je cite également : “ Ils attendent que la France soit au
Cameroun le capitaine de l’équipe des partenaires là où la France est portée par
un soucis de respect qui appelle une certaine discrétion afin d’éviter la
critique du paternalisme. ” Il faut voir, en effet, comment notre service de
coopération a pu être discret, tendance timoré en la matière. Nous faisons
beaucoup de choses mais il ne faut pas que ça se sache parce que cela n’est pas
bien de montrer que nous coopérons… Alors que quand une autre ambassade donne un
poste de télévision ou un ordinateur, cela fait les premières pages de journaux
respectables comme Le Messager. Cette étude a bien vu tous ces éléments-là.
Ce sont des constats pertinents mais en plus l’équipe d’évaluation propose
d’aller de l’avant et c’est cela qui est intéressant. Tout d’abord, la place de
la jeunesse : finalement, comme nous ne sommes plus des jeunes, quand on parle
trop de coopération, on a tendance à oublier les jeunes… Aussi, une des
conclusions de cette étude est de dire : “ Attention, Camerounais et
Français, vous les nantis qui pouvez donner des leçons aux autres parce que vous
êtes interviewés dans cette étude, occupez-vous un peu plus des jeunes ”. Je
retiens bien cette leçon et je pense qu’il faut tout à fait le faire. Je note
avec humour aussi que l’on cite une dame de trente-huit ans qui dit : “ Que
l’ambassadeur et le président réorganisent tout ça ! ” C’est nous prêter
trop de pouvoir que de dire qu’il y a deux personnes qui peuvent réorganiser
tout cela. Non, c’est une œuvre commune, c’est une approche partenariale et
c’est bien ce que dit l’étude. Une autre citation : “ Il s’agit de s’inscrire
dans la dynamique d’une nouvelle alliance qui montre le soucis d’impliquer les
sphères de tous âges de la société camerounaise tout en maintenant une relation
politique équilibrée avec les autorités camerounaises. ” C’est bien cela la
feuille de route que nous devons avoir. Et là je termine : “ La richesse de
cette relation ancienne, porteuse d’un potentiel exceptionnel, mérite qu’on
dépasse ces contradictions pour la laisser vivre et éclore dans l’avenir. ”
C’est la bonne conclusion de cette étude et je crois qu’il faut la lire dans
cette perspective-là. Ses conclusions sont beaucoup plus porteuses que toutes
les étapes intermédiaires où vous retrouvez ces fameux poncifs. Aussi, je ne
vois pas aujourd’hui par quel pouvoir surnaturel la France serait une menace
pour l’épanouissement du Cameroun.
Cette étude a notamment évalué l’impact et la perception du C2D par les
Camerounais et les Français. Qu’espérez-vous de l’implémentation de ce programme
dit de désendettement et de développement ?
Le
Contrat de désendettement et de développement (C2D) est un mécanisme qui, dans
le cas du Cameroun, est pour l’instant le seul qui soit de cette ampleur.
Pendant les treize années d’ajustement structurel, il y a eu le gel des
remboursements de la dette. Nous avons ensuite eu la possibilité de transformer
cette dette à l’égard de l’extérieur grâce l’Initiative pour les pays pauvres
très endettés (Ppte) lorsque le Cameroun a atteint le point d’achèvement en
2006. Dans le cadre de la relation entre la France et le Cameroun, comme nous
l’avons fait pour d’autres pays, il a été décidé ensemble d’utiliser cet argent,
375 milliards de Fcfa, pour la réalisation des objectifs du millénaire pour le
développement dans la lutte contre la pauvreté. Le début de ces réflexions date
de 2002, moment où on été évalués les programmes actuels du premier C2D avec le
partage entre infrastructures, éducation, santé, développement rural au sens
large, et environnement. Ce processus s’inscrit dans le temps parce que 2002 –
2008, cela fait six ans. Un autre C2D d’un même montant va commencer en 2011
jusqu’en 2016. On est dans un processus de long terme qui permet de faire du
développement en profondeur. Il faut donc se préparer dès maintenant, être
pragmatique et anticiper sur le futur. C’est pourquoi l’on vient de retenir la
recherche agronomique et la culture qui n’étaient pas prévues au début.
On attend de ce mécanisme que l’argent du contribuable français - qui se
substitue au remboursement de l’Etat camerounais – soit utilisé au mieux des
intérêts du peuple camerounais. Ce n’est pas de la grandiloquence que de dire
cela. Prenons par exemple en compte les véritables problèmes d’engorgement comme
lorsqu’on s’aperçoit que les embouteillages de Douala (entrée ouest, entrée est,
centre-ville) font perdre un à deux points de produit intérieur brut. C’est
énorme ! Alors q’aujourd’hui on se bat pour obtenir difficilement quelques
points de croissance. Le C2D s’attaque à ce type de problèmes à long terme, à
des problèmes structurants. Il en est de même pour la santé, l’éducation, et
pour le reste. C’est tout cela qu’il faut attendre du C2D.
Certains projets français dont le projet FAC (Fonds d’aide et de coopération) et
le Paseca (Projet d’appui au système éducatif camerounais) jadis mis en oeuvre à
l’ex ministère de l’Education nationale n’ont pas atteint les objectifs
escomptés. Ce qui a valu de vives critiques, y compris d’anciens responsables de
ce département ministériel. En quoi les projets du C2D sont-ils différents de
ceux dont on constate aujourd’hui l’échec relatif ?
C’est
différent dans la mesure où les contrôles sont de plus en plus rigoureux, à tel
point qu’aujourd’hui on doit rendre compte au premier euro. Nous sommes beaucoup
plus durs dans la mise en œuvre de ces projets. A l’époque des projets dont vous
parlez, parfois quand on sentait du côté camerounais un peu de mollesse, on
continuait quand même. Et finalement de mollesse en mollesse, de nombreux
projets ont débouché sur la critique que les résultats n’étaient pas tout à fait
satisfaisants pour vous, comme pour nous. Aujourd’hui, on réduit l’assistance
technique en trop et nous sommes beaucoup plus rigoureux et exigeants sur les
résultats côté camerounais. Nos contrôles permettent aujourd’hui de donner plus
facilement de la réversibilité aux projets qui ne donneraient pas satisfaction.
Vous assurez donc que les fonds seront correctement utilisés…
Vis-à-vis
du contribuable français ce n’est pas difficile : si je ne fais pas mon métier
comme il le faut, je serais remplacé aussitôt et devrais rendre des comptes. En
deux ans et demi de fonctionnement du C2D, il y a eu au moins une vingtaine de
missions d’évaluation et de supervision effectuées à la fois par l’Agence
française de développement et le ministère des Affaires étrangères et
européennes. J’entends même parfois dire du côté camerounais que les procédures
deviennent un peu pesantes. On regrette le bon temps où c’était plus souple.
Il existe également moins de possibilités de défaillances parce que nous avons
pris le processus très loin en amont. Les négociations ont été entamées dès
2002. Nous disposons donc aujourd’hui de cahiers de procédures négociés point
par point avec la partie camerounaise. Il est beaucoup plus difficile de ne pas
respecter un cahier de procédures où chaque sujet a été examiné. C’est comme
cela que lorsqu’une entreprise européenne avait réussi il y a deux ans à
accaparer comme par miracle la quasi-totalité des marchés sur le C2D de Douala,
il a été facile de voir avec le cahier de procédures qu’il y avait un problème…
Nous avons donc décidé de relancer la procédure d’appel d’offres. Ce dialogue
permanent est intéressant. Le C2D permet d’enrichir le débat au bénéfice de
tous.
Dans son volet travaux publics, une certaine opinion entretient l’idée selon
laquelle les entreprises françaises semblent prioritaires dans l’attribution des
marchés du C2D. Un peu comme si la France donnait de la main droite et
récupérait de la main gauche. Cette attitude a toujours été décriée, à tort et à
raison, dans l’essentiel des projets de coopération. Comment comprendre,
excellence monsieur l’ambassadeur, cette pratique ou alors la perception que
l’on a de cette coopération ?
La
question revient toujours de manière obsessionnelle. Je voudrais y mettre un
terme une bonne fois pour toute. Sur 115 milliards de Fcfa affectés au volet de
travaux, 110 milliards 900 millions sont aujourd’hui attribués. Les entreprises
camerounaises ont bénéficié de 66,4 milliards de marchés, contre 26 milliards
pour les entreprises françaises souvent de droit camerounais, et 18,5 milliards
pour les sociétés d’autres nationalités, en pratique une compagnie allemande et
une compagnie chinoise. En pourcentage cela donne 60% pour les Camerounais, 23%
pour les Français, et 17% pour les autres. Si on mesure en nombre de lots de
marchés, 80% reviennent aux Camerounais, 8% aux Français, et 11% aux autres. De
petits lots ont été en effet constitués pour justement permettre aux PME
camerounaises de travaux publics de pouvoir soumissionner et diffuser ainsi plus
facilement et rapidement des liquidités dans l’économie.
Dans une interview récente relayée par Le Messager, l’Ivoirien Mamadou
Koulibaly, homme politique et économiste, démontre comment à travers la gestion
du Franc Cfa, la France exploite l’Afrique. Il affirme notamment que la garantie
monétaire pour maintenir le lien entre le Franc Cfa et l’euro est un faux
prétexte utilisé par la France pour ses propres intérêts et maintenir l’économie
de certains pays africains sous contrôle. Partagez-vous cet avis ? Que perdrait
la France si l’Afrique (francophone au moins) créait une monnaie propre ?
Je n’ai
pas lu cet article que vous mentionnez mais je trouve votre question un peu
schizophrène. Je vais vous répondre sur des éléments précis économiquement. Les
francs Cfa d’Afrique de l’ouest et d’Afrique centrale, le franc comorien et les
francs pacifiques font partie intégrante de la zone euro et sont garantis dans
ce cadre sur les marchés des changes depuis 2000. La réunion des ministres des
Finances des 16 pays de la zone franc tenue le 7 octobre à Yaoundé suivie de
celle des 15 pays de l’Eurogroupe du 12 octobre à Paris ont montré que la
solidarité active au sein de ce système a fait ses preuves confrontée à la crise
financière que nous traversons. L’union, comme dit le proverbe, fait la force et
il vaut mieux appartenir à un ensemble fort structurellement lorsqu’il y a des
turbulences. Dans ce contexte, je ne vois pas ce que la France aurait à perdre,
comme vous le dites, ou à gagner dans la perspective hypothétique que vous
évoquez.
Dans son ouvrage L’Afrique sans la France, le Centrafricain Jean-Paul Ngoupande
affirme que l’Afrique n’intéresse plus la France. Prenant le cas de la
République centrafricaine, il affirme que les Français s’en vont ! Mais on
constate que la France fait semblant de partir, pour mieux rester. En témoignent
ses multiples interventions dans de nombreux pays africains où ses intérêts
semblent menacés : la Côte d’Ivoire, le Tchad, la Rca, … Comment imaginez-vous
une France sans l’Afrique ?
Jean-Paul
Ngoupandé, ancien Premier ministre de Centrafrique, a écrit un ouvrage
remarquable. Il faut lire et relire ce genre d’ouvrages. Ces analyses de fond et
ces synthèses rigoureuses permettent sans doute le mieux d’améliorer la
connaissance globale sur la réalité africaine des uns et des autres. Pourquoi
dites-vous : on ne peut pas imaginer une France sans l’Afrique. Pourquoi “ une
France ” ? C’est la France ! Nous avons des liens historiques et profonds ; nous
avons une communauté camerounaise régulièrement en France qui est passée de
22.000 personnes en 2002 à 36.000 personnes en 2007, soit 60 % d’augmentation
liés au regroupement familial. Nous avons de grands Français qui s’appellent
Manu Dibango, Yannick Noah, Calixthe Beyala, … Vous avez de grands Camerounais
qui s’appellent Manu Dibango, Yannick Noah, Calixte Beyala, … Donc quelque part,
la France sans l’Afrique, particulièrement le Cameroun, c’est inimaginable.
S’il faut regarder un peu plus précisément la situation, prenons donc la
Centrafrique et le Tchad. La situation serait-elle meilleure s’il n’y avait pas
la France ? Serait-elle pire si la France était partie ? Il y a quelques valeurs
importantes qui gouvernent le monde : tout d’abord la stabilité et la paix. Sans
paix il n’y a pas de développement. Vous êtes dans un endroit assez épargné
finalement, entre Douala et Yaoundé. J’ai connu la Rdc où y a eu 3 millions et
demi, voire 4 millions de morts entre 1998 et aujourd’hui du fait de la guerre
dans les Kivus. Actuellement dans l’est de la Rdc et dans d’autres endroits de
l’Afrique il y a des gens qui meurent tous les jours. Essayez d’avoir aussi de
la compassion pour ces gens-là ! S’il faut faire la paix pour que le
développement arrive, il y a une phase où on doit être là. Vous dites que c’est
la France avec une interpellation à consonance négative… Mais la France défend
effectivement un certain nombre de thèses dans ce domaine. Notre politique est
devenue aujourd’hui plus multilatérale en matière d’intervention pour la
prévention ou le maintien de la paix. Quand vous voyez Eufor se déployer à la
frontière du Tchad et de la Rca vers le Soudan, c’est une force européenne, ce
n’est pas seulement une force française, même s’il y a le dispositif Epervier
installé à N’djamena. L’Eufor ne pourrait d’ailleurs pas se mettre en place sans
l’accord du “ gendarme du monde ” qu’est le conseil de sécurité de l’Onu. De
même, la France n’intervient en Côte d’Ivoire et en Rca qu’à la demande et sous
l’égide de l’Onu. Cette présence française en Afrique, comme dans d’autres
parties du monde, est plutôt un progrès vers la paix que quelque chose qui irait
dans une direction inverse. Donc nous prenons notre part de responsabilité, à
vous de prendre la vôtre comme c’est le cas avec la participation camerounaise à
la force Micopax en Centrafrique ou au Darfour sous pavillon onusien. La
stabilité que connaît le Cameroun est fragile avec la montée des risques aux
frontières terrestres et maritimes. Il nous faut être vigilants.
Quand le président Sarkozy arrive au pouvoir en France, ses premiers discours
sonnent comme une rupture avec la Françafrique. Mais ses actes ne semblent pas
conforter sa posture idéologique. Au contraire. Comment comprendre ce qui se
présente aujourd’hui comme une erreur de communication du président de la
République Française ?
Le
discours du président de la République s’inscrit parfaitement et de manière
cohérente dans la perspective historique d’une certaine rupture avec le passé.
Le monde a, en effet, changé et il parle plus de développement économique. Son
discours est très clair : le développement reste le socle de notre relation avec
l’Afrique. C’est pourquoi notre présidence de l’Union européenne a commencé par
un certain nombre d’actes positifs sur le développement. L’accent mis sur
l’initiative privée lors du discours prononcé devant le Parlement sud-africain
en mars dernier est une réponse aux défis de demain. Le président Sarkozy a
annoncé que deux milliards d’euros seraient consacrés au secteur privé car il
est pourvoyeur de richesse et d’un développement durable à côté des autres
initiatives en cours appuyées sur les objectifs du millénaire pour le
développement. Tout cela participe de la volonté de mettre le plus en adéquation
possible les moyens dont nous disposons pour obtenir le meilleur résultat au
bénéfice des populations.
Au Cameroun, l’opinion s’imagine que pour former un gouvernement, ou alors
prendre de grandes décisions sur le plan politique, économique et social, la
France est généralement consultée et donne son accord. Comment, en réalité, cela
se passe, monsieur l’ambassadeur ?
Nous ne
marchons décidément pas dans les mêmes rues et aux mêmes heures ! J’ai
personnellement fait l’expérience plusieurs fois dans le pays. Mes
interlocuteurs me disent qu’en 2008, chacun sait très bien que ce n’est pas
comme cela que ça se passe. Je vais donc m’appuyer sur cette partie de l’opinion
publique, qui est normale, réaliste et sans fantasmes. Comment pouvez-vous, en
effet, imaginez que dans un pays souverain comme le Cameroun, les autorités
accepteraient qu’un autre pays, quel qu’il soit, vienne leur dire ce qu’il faut
faire. Vous êtes un Etat souverain dont les autorités sont garantes de cette
souveraineté, fières de celle-ci, et nous respectons cette souveraineté.
On sait que l’ambassade de France est membre du G8 +6 à qui l’on prête beaucoup
de pouvoirs dans la gestion de certaines questions d’importance au Cameroun !
Attention
! Là aussi, ne fantasmez pas. Il y a une propension dans la presse camerounaise,
mais qui existe aussi dans d’autres pays, à toujours imaginer qu’il y a une
espèce de puissance qui décide pour vous. C’est assez facile et confortable
parce que cela vous retire toute responsabilité : ce n’est pas vous qui décidez,
ce sont des gens là-bas, ailleurs... Le G8+6 est constitué des 8 pays de l’Union
européenne représentés ici, plus les Etats-Unis, le Canada, le Japon, le Fmi, la
Banque mondiale et le Pnud. Ils se réunissent de temps en temps pour discuter
d’un certain nombre de questions au plan économique, notamment la lutte contre
la corruption, ou politique et social. Nous cherchons surtout à coordonner nos
efforts sans avoir des redondances les uns les autres et de conserver une
certaine cohérence. Mais nous n’entrons pas en compétition avec une autre
structure, tout aussi intéressante, le Comité multi bailleurs qui discute de
l’affectation de l’aide, en conformité avec l’Accord de Paris de 2005 qui
précise bien les procédures pour éviter les doubles emplois et obtenir une
meilleure efficacité. En bref, la concertation a toujours existé et il est
normal que les chancelleries se voient.
Dans le cadre de la lutte contre la corruption au Cameroun, quel est réellement
le rôle que joue ce G8+6 ?
En
matière de lutte contre la corruption, la G8+6 est un lieu d’échanges qui nous a
permis d’élaborer des stratégies beaucoup plus performantes. Ce qui a débouché,
en accord avec le gouvernement camerounais, au fameux programme CHOC, qui est
l’anagramme de “ Changer d’Habitude, s’Opposer à la Corruption. ” Ce cadre nous
a également permis d’élaborer, avec le ministère des Forêts, une stratégie de
lutte contre la corruption dans le secteur des forêts. C’est une structure à qui
il ne faut pas prêter plus que ce qu’elle représente. Il existe d’ailleurs des
structures beaucoup plus formelles d’échanges dans le cadre des différents
programmes de coopération. Donc, on ne dirige pas le Cameroun de l’extérieur. Ce
n’est pas possible. Nous sommes en 2008. Il ne faut même pas laisser croire que
ça peut se passer comme ça. Il faut vous-mêmes respecter votre propre
souveraineté.
Il se dit que le G8+6 a joué un rôle prépondérant dans le lancement de
l’opération baptisée Epervier au Cameroun. Qu’en dites vous ?
C’est
entièrement faux. C’est exactement le type de glissement qui peut se produire.
Votre rôle de journaliste, est d’informer l’opinion sur la réalité. “ L’Epervier
” n’est pas le “ résultat ” du G8+6 mais une décision autonome des Camerounais.
Les premières enquêtes dans le cadre de cette opération datent d’avant la
constitution du G8+6. Vraiment, soyez fiers de vous. Ne vous dénigrez pas
systématiquement. Vous êtes un pays fort, avec des gens qui sont sensés. Vous
êtes capables de prendre vos propres décisions. C’est ça la réalité. Ce n’est
pas le Français, ni personne d’autre qui décide ici, pour vous, en l’an 2008.
Réagissez, informez bien vos lecteurs.
Comment jugez-vous le déroulement de cette opération Epervier ? Pensez-vous
qu’elle est équitablement menée ?
Ce que
vous appelez “ Epervier ” aujourd’hui s’est vu par le passé ailleurs, dans
d’autres pays. C’est le cas de l’opération “ Main propre ” dans les années 70-80
en Italie. Le sentiment que l’on peut avoir de l’extérieur c’est que cette
initiative émane d’une volonté d’arrêter un certain nombre de dérapages qui
choquent à la fois l’opinion publique et qui cause un dommage extraordinaire au
pays. L’autre jour, Transparency International a donné le classement de 2008
pour le Cameroun. Au lieu du classement d’ailleurs, je retiendrais plutôt la
note décernée, pour observer que le Cameroun est passé de 2,5 il y a quelques
années à 4,3 aujourd’hui, en régression cependant par rapport à 2007 avec 4,4
sur une échelle de 10. Dans la salle, un journaliste a pris la parole pour
remarquer que “ l’Epervier ” n’avait donc aucune influence positive. Les
responsables de Transparency International ont répondu qu’il fallait bien
examiner les critères retenus par cette Ong destinés à une masse critique
suffisante et constante dans le temps pour mesurer l’évolution. C’est vrai que
ces dispositions ne reflètent pas l’actualité immédiate mais, petit à petit,
cela va être pris en compte par l’indice. En même temps, quelqu’un est intervenu
pour dire que “ l’Epervier ” s’adresse avant tout aux gens qui ont détourné de
l’argent public tandis que l’indice de Transparency International concerne la
corruption au sens large. Alors, empêcher les détournements de fonds, récupérer
l’argent -ce qui est très important aussi- est une bonne chose. Surtout que ce
sont des instructions qui sont bien menées par une structure d’investigation de
l’Etat, qui transmet les dossiers ensuite à l’Institution judiciaire. C’est une
garantie. Tout cela est donc fait de manière judiciaire, même si ce système
judiciaire rencontre des imperfections. Mais sur ce plan là, je crois que la
défense du bien public et de l’intérêt général est assurée. Il en est de même de
la défense des personnes qui sont inculpées. Donc, en définitive, on peut porter
un jugement positif sur cette opération qui s’attaque aux grands détournements.
Il y a des actions judiciaires déjà accomplies, mais vous notez quand même que
presque tous les condamnés ont relevé appel.
Je ne
vais pas répondre à la place de la justice.
La France fait-elle quelque chose pour faciliter cette opération, surtout dans
son volet de rapatriement des fonds détournés et placés dans des banques
étrangères?
Nous
avons un accord d’entraide judiciaire entre la France et le Cameroun qui est
parfaitement appliqué. Ce qui veut dire qu’il y’a des commissions rogatoires qui
permettent à la justice camerounaise de faire des investigations en France.
Actuellement, ce n’est pas un secret, il y’a effectivement des commissions
rogatoires dans le cadre d’un certain nombre d’affaires qui sont lancées par la
justice camerounaise en France. A côté, il y’a aussi Tracfin, qui est un
organisme international équivalent d’Interpol en matière financière. Depuis que
Tracfin existe, à part les paradis fiscaux qui sont dans certaines Îles, il est
très difficile d’avoir des mouvements de fonds qui ne soient pas justifiés.
Tracfin est très efficace et permet d’identifier les mouvements suspects et de
débusquer les détournements de fonds publics et de pouvoir récupérer l’argent.
On a bien vu au Nigeria, après le décès du président Abacha, que le gouvernement
a pu ramener de l’argent au début avec les actions d’avocats. Aujourd’hui, avec
Tracfin en plus, l’efficacité de ce type de recherche a été augmentée.
Pour enrayer le mal à la racine, quelle solution préconisez vous à l’avenir,
pour ces détournements massifs de fonds dans un pays comme le Cameroun où
l’application de l’article 66 de la Constitution reste vainement attendue depuis
des années ?
Actuellement, la présidence de l’Union Européenne s’y intéresse depuis
l’introduction dans le débat, du sujet sur la révision constitutionnelle,
notamment au niveau du dialogue entre l’Union européenne et le Cameroun dans le
cadre de l’article 8 de la convention de Cotonou. C’est un dialogue politique
permanent axé sur les droits de l’homme, les arrestations, la liberté de la
presse, le processus constitutionnel. Dans le cadre de ce dialogue,
effectivement, un des critères que nous soulevons systématiquement est
l’application pure et simple de l’article 66 de la Constitution. Autrement dit,
en ce qui concerne l’aide au développement, nous mettons un accent sur la
surveillance accrue de toutes les procédures. Et c’est pour cette raison que le
C2D apporte quelque part un contrôle supplémentaire, que les autorités
camerounaises apprécient. Du point de vue de l’Etat, c’est de l’argent qu’on ne
doit plus rembourser. C’est un plus. Je salue à cette occasion le gouvernement
qui a accepté que sa souveraineté budgétaire fasse l’objet de l’examen de la
société civile, puisqu’elle a son mot à dire. Elle a d’ailleurs les moyens
d’agir parce que le ministère des Affaires étrangères et européennes lui a
alloué un financement de 150000 euros pour qu’elle surveille le déroulement du
C2D. Les parlementaires sont de nouveau associés au sein même du comité
d’orientation stratégique. Quel pays accepte de faire cela de manière aussi
facile et transparente ? Il n’y en a pas beaucoup. Le Cameroun a accepté dans le
cadre du C2D des dispositions innovantes en matière de transparence qu’on ne
voit pas ailleurs.
Une rumeur de remaniement ministériel parfume les couloirs du gouvernement
camerounais depuis quelques mois. Mais il n’a toujours pas lieu. Ministres et
secrétaires d’Etat sont déstabilisés. Quelle réflexion vous inspire ce type de
gouvernance ?
Nous
constatons effectivement une baisse d’intensité de l’action globale du
gouvernement. Au moment où beaucoup de choses bougent dans le monde, il ne faut
pas que cette baisse dure longtemps. Mais dans notre fonctionnement, nous sommes
en relation permanente avec le gouvernement. Notre ministre, Mme Anne-Marie
Idrac a été reçue par le Premier ministre et rencontré un certain nombre de ses
collègues sur des sujets concernant des secteurs où on a un certain nombre de
points à échanger et de projets à construire ensemble. La rencontre avec le
Premier ministre a surtout concerné le secteur privé parce que nous avons une
volonté commune d’améliorer l’environnement des affaires. Dans le cadre des
échanges, il y a du répondant. Nous n’avons pas de problèmes. Simplement,
s’agissant de nos différents contacts, au service de la coopération ou à
l’Agence française du développement, il y a une certaine baisse d’intensité.
Au moment où s’achève cet entretien, avez-vous un message spécial à passer à nos
lecteurs ?
Ce serait
de dire que les évaluations que nous réalisons en commun nous permettent de
progresser. C’est une véritable satisfaction de constater que l’étude sur la
perception du partenariat a permis, d’une certaine manière, de relever un
certain nombre de quiproquos qui ternissaient la relation entre la France et le
Cameroun. Les interlocuteurs que je rencontre aujourd’hui sont beaucoup plus
sereins, c’est-à-dire qu’ils s’inscrivent dans une relation normale avec la
France. Ils voient en elle un partenaire, un mot très fort. Les intérêts sont
convergents, et s’ils ne le sont pas tout à fait, voire s’ils divergent, on en
discute. Ensuite, derrière ce partenariat, se dessine automatiquement la
solidarité. Nous l’avons évoquée tout à l’heure en matière de crises ou de
sécurité ; si on n’est pas solidaire, on ne s’en sort pas. La réunion de
l’Eurogroupe dimanche et les précédentes sessions de concertation ont permis
d’aborder les problèmes en ordre. C’est la différence avec la crise de 1929.
Elles passent par des discussions franches où nous nous respectons mutuellement
et nous nous acceptons avec nos différences. En conclusion, ce serait terrible
de ne pas vivre ensemble puisque l’on est tellement mieux ensemble.
Source : Le Messager
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