Depuis sa sortie il y a environ deux mois, “ Les paradoxes du pays organisateur. Elites productrices ou prédatrices : le cas de la province du Sud-Cameroun à l’ère Biya (1982-2007) ”, au-delà de son succès commercial, fait face à une virulente polémique.
Par Frédéric Boungou et Alain Njipou
Ateba Eyene se lâche sur le Sud du Cameroun
Au-delà de la querelle “ sudiste ” sur le contenu, de nombreux observateurs lui reprochent le parti pris tribal de son auteur. “ Pourquoi seulement le cas de la province du Sud ”, de laquelle est originaire Atéba Eyéné, s’interroge-t-on. L’autre critique épingle la problématique du rôle de l’élite. Est-elle au service de la région ou de la nation ? Pour beaucoup, la notion de l’élite est dévoyée dans cet ouvrage, toute chose qui selon eux, atténue considérablement la pertinence de l’étude… Que pense Ateba Eyéné de tous ces reproches ?
Votre dernière livraison “ Les paradoxes du “pays organisateur” Elites productrices ou prédatrices : le cas de la province du Sud-Cameroun à l’ère Biya (1982-2007) ” est sorti depuis plusieurs semaines. Comment l’opinion l’a-t-il accueillie ?
La sortie de mon ouvrage marque l’actualité nationale et internationale depuis plus de deux mois. Le bilan que j’en fais est largement positif. Même mon éditeur Saint-Paul que je remercie au passage, pour la qualité du travail, m’a dit que je faisais sa fierté en tant qu’auteur. Dans les librairies, les gens se mettent en rang pour acheter mon ouvrage. C’est plutôt rare dans un pays où les habitudes de lecture ne sont pas poussées. En tant que chrétien, je dis tout est grâce. Du point de vue de l’analyse, je pense qu’il y avait un besoin pressent en la matière, car les Camerounais en général et ceux du Sud en particulier, sont écrasés par l’élite. Mon livre vient comme pour ouvrir un abcès. C’est pour cette raison qu’il est considéré comme le livre de la vérité, le livre du peuple, le livre qui dénonce l’élite de l’argent et du décret sans jeu de mots. L’heure du bluff est terminée.
Le livre affronte une vive controverse à propos des personnes citées dans votre publication. C’est le cas d’un ex-directeur général d’une société d’Etat dément les propos que vous lui avez attribués dans le livre. Qu’est-ce qu’il en est exactement ?
Contrairement à nos héros des temps passés, les Camerounais aujourd’hui ne sont plus que des vulgaires lâches et de vulgaires hypocrites. Cela est une grande honte. Ce que je retiens, après ce qui est arrivé à mon frère aîné Xavier Messe, dans l’affaire qui l’opposait à un homme d’affaire et qui m’est arrivé avec Nguimba Nloutsiri est que, les vrais menteurs ne sont autres que ceux qui font les démentis. Les gens veulent continuer à gérer le Cameroun dans le flou, le faux, l’intrigue et les coups bas. Ils ne veulent pas que les gens soient avisés. Malheureusement pour eux, le train de la démocratie et de la modernité qui passe dans notre pays ressemble à une maison de verre où l’on est appelé à tout voir et à tout savoir. Que les gens apprennent à assumer leurs déclarations et les actes qu’ils posent. (…) Mon seul juge, c’est ma conscience dès lors que je sais que la mauvaise foi existe. Je montre la lune et non les étoiles.
L’élite du Sud que vous pourfendez parmi lesquels des membres du gouvernement encore en poste conteste farouchement le contenu de votre ouvrage…
Leur panique est simple à analyser. Aucun chien accroché à un os ne supporte la présence d’un autre être vivant. Les élites profiteuses du régime en place, ne veulent et n’entendent pas perdre leurs privilèges et leurs postes. A ce titre, je cerne toutes leurs réactions y compris la hargne de certains. Mais tout cela me laisse à 37°. Comme l’apôtre Paul, je combats le bon combat. Voilà ma conviction. Quand René Dumont a écrit “ l’Afrique noire est mal partie ”, tous les Africains l’ont condamné. Il était interdit de séjour dans tous les Etats africains. Quelques années plus tard, il est devenu le meilleur ami de l’Afrique et des Africains. Il se présente aujourd’hui comme le spécialiste du continent noir. Je sais que ce sera la même chose avec l’élite qui fait semblant de me combattre aujourd’hui. Je persiste à dire que l’élite n’est pas un facteur de développement. Je soutiens que l’esprit de méchanceté, de division et de conflits qui caractérisent l’Homme du Sud n’est pas un atout en matière de développement. Je confirme que les populations du Sud sont flouées par leurs élites avec qui elles n’ont aucun lien sauf celui de la domination. Je soutiens que le Sud n’a aucune organisation, aucune association, aucun cadre de concertation qui peut servir de lobby pour le suivi des problèmes de développement de la région. Je soutiens que toutes les élites combattent tous les esprits brillants tels que le déclare le professeur Minkoa She à la page 193 de mon livre.
Sud Avenir une publication émanant des élites du Sud et qui fait la recension d’un certain nombre de réalisations faites dans la province avec Paul Biya semble réfuter vos déclarations…
Le professeur Fame Ndongo (ministre de l’Enseignement supérieur, Ndlr) a été mon enseignant et mon maître. Mais sur cette question, nous n’avons pas la même vision de choses. Je refuse l’utilisation du président de la République comme bouclier. Cette pratique ne date pas de maintenant. Pendant les campagnes électorales dans le Sud, le seul produit que l’on vend, c’est le nom du président Biya et non les programmes et les réalisations dans la région. Pendant longtemps, l’élite du Sud s’est confondue à la personne du chef de l’Etat en donnant l’impression que la critiquer c’est critiquer le chef de l’Etat. Or, il y a une grande différence entre les deux parties. Sauf si ces élites reprochent au Président de les avoir nommées et sauf si elles refusent d’appliquer sa consigne sur le devoir de solidarité qu’elles ont vis à vis des populations, consignée dans l’ouvrage qu’elles aiment bien citer “ Pour le libéralisme communautaire ”
L’élite du Sud a plus été prédatrice que productrice et n’a pas joué avec ses intérêts privés qu’elle a confondus avec les biens publics. Leurs belles et nombreuses maisons au Cameroun et ailleurs, leurs vastes plantations d’ananas, de palmeraies sont là pour le témoigner. Elles ont donné l’impression que plus elles mangent, mieux les populations à la base se rassasient. Et fait plus cynique, elles ont interdit au peuple de se plaindre et de s’interroger sur sa condition.
De quoi tient en fait le paradoxe du Sud ?
Le sentiment du Sud profond est que les populations ne ressentent pas le fait d’avoir eu un président de la République et une élite politique et administrative si nombreuses : 5 Secrétaires généraux de la Présidence de la République, 22 membres du gouvernement, 42 directeurs généraux de sociétés d’Etat, 5 généraux d’armées, 2 directeurs du cabinet civil, etc. Le budget d’investissement public du Sud est détourné à plus de 70 % avec la complicité active des élites du Sud. Ce témoignage disponible dans l’ouvrage, est fait par un ancien gouverneur de cette province. De 1982 à 2007, aucun projet de portée socio-économique de la province n’a abouti : le port en eau profonde et l’usine à gaz de Kribi, le barrage hydroélectrique de Mem’velé, le sanctuaire à gorilles de Mengame où les gorilles et les éléphants tuent les enfants à ciel ouvert alors que les populations ne sont pas toujours indemnisées, l’école de police d’Ambam…Tout ceci faute de suivi par l’élite (…) Mon message à mes frères du Sud est que si nous ne changeons pas de méthode, tous les projets évoqués dans le gros magazine que l’on vend à 200 Fcfa (Sud Avenir, Ndlr) seront sans lendemain. Que le nom du chef de l’Etat cesse d’être le passeport de l’élite de qui on attend un bilan. Je dénonce le fait que le nom du président Biya sert de kangourou aux gens qui refusent d’être responsables. Le Sud n’a plus besoin de projets mais de réalisations après 25 ans de pouvoir suprême et une très nombreuse élite promue à des postes de pouvoir et de gestion…
Pourquoi avoir attendu la fin probable du séjour de Paul Biya à la magistrature suprême pour ouvrir ce débat ?
Ce débat n’arrive ni de façon précoce ni tardivement. Il arrive à temps. Si je l’avais engagé 10 ans plutôt, on m’aurait dit que les projets arrivent. Si je l’engageais après le président Biya, on allait dire que j’ai protégé les miens. Le temps est propice aux débats embarrassants d’aujourd’hui et de demain. Mon livre détruit la théorie de bouc-émissaire. Il prend l’opinion à témoin et lave l’honnête homme du Sud. En même temps il met les prédateurs et les prévaricateurs du Sud devant leurs responsabilités. Nous sommes au restaurant et que chacun paye sa note.
C’est-à-dire ?
Je suis fermement opposé à la théorie de l’englobement des contraires. Si ce travail avait été fait au Kenya avant, on ne parlerait pas d’épuration ethnique aujourd’hui. On ne vivrait pas les assassinats sauvages des ressortissants de la tribu du président dans certains pays d’Afrique. Mon livre brise le mythe du Sud qui fait croire que cette province est un eldorado et invite ceux qui viendront après à placer le Sud dans les priorités de développement. Mon livre fait savoir au président de la République le sentiment du vrai Sud profond dont les populations pensent qu’il n’a rien fait pour elles. Cela lui permet de prendre acte pour le reste de son mandat. Nous avons l’impression qu’il a compris le message.
Quels sont les enjeux politiques de ce livre par rapport à votre positionnement propre dans l’espace politique, celui de l’élite spécifique du Sud et le positionnement de l’élite du Cameroun ?
Sous d’autres cieux, cette question aurait un sens. Ce que je sais c’est qu’au Cameroun, on n’est pas promu parce qu’on a critiqué ou innové. C’est ainsi dans toute société où la médiocrité gère la cité. Mon modeste rêve est d’influencer ma génération et de marquer mon passage sur terre. A la suite de Platon, Aristote et Kant, je crois à la bonne action et à la citoyenneté active. Des publications comme celle-ci justifient mon engagement sociopolitique. Je suis lucide et ce que je fais rentre dans le plan de Dieu. C’est une gifle à ceux qui pensent m’affamer pour me réduire au silence.
Que répondez-vous à ceux qui vous font le reproche d’avoir une vision tribale du développement ?
Ceux-là usent de ce que Nicolas Tenzer appelle dans son ouvrage Pour une nouvelle philosophie politique (Puf, 2007, page 85). “ Le machiavélisme moral ” qui n’est autre que le bon usage de la séparation des ordres. Cela suppose la ruse dans le raisonnement. Aux Usa, on enseigne qu’on ne peut pas aimer la république si l’on aime sa famille, sa maison, sa région. Voilà ce que je réponds à ceux qui me font le reproche d’avoir une vision tribale du développement. Je les préviens qu’ils n’arriveront pas à biaiser mon raisonnement tant qu’ils ne me diront pas pourquoi la fête au village après la nomination et pourquoi écrit-on des motions de soutien au nom des frères du village, de qui se moque-t-on ?
On observe que la plupart de vos publications suscitent toujours des polémiques. Charles Ateba Eyene est-il un écrivain polémiste ?
On n’écrit pas pour rien. C’est le carriérisme qui empêche d’écrire sur des sujets de fond. En ce qui me concerne, j’écris sur des choses qui relèvent du quotidien des Camerounais. Sur cette perspective, je persiste et signe.
Que s’est-il réellement passé lors de la cérémonie de dédicace qui a eu lieu sous les arbres à Kribi ?
A Kribi, on a vu comment l’élite manipule les autorités administratives. L’histoire retiendra que certaines autorités administratives constituent un frein à la démocratie. Ce qui me rassure, c’est l’attitude des populations vis-à-vis de cet ouvrage. Elles sont venues m’écouter sous les arbres. Cela montre qu’elles ne sont pas d’accord avec les autorités de la dictature. Ce qui s’est passé à Kribi est la photocopie de ce que je décrie dans le livre. C’est le paradoxe des paradoxes. J’ai jeté un pavé dans la marre et on sait désormais où se trouvent tous les crapauds. (…) Une fois de plus, je prends les populations à témoin. (…) Je voudrais dénoncer la censure dont je suis victime désormais dans certains médias. Dimanche le 27 juillet 2008, on a organisé un débat sur mon livre à la Crtv sans moi. C’est injuste, antidémocratique et non professionnel.
Vous êtes un fonctionnaire modeste. D’où tenez-vous les moyens pour financer des projets colossaux comme celui de l’édition de cet ouvrage ?
Je ne suis pas un matérialiste mais un idéaliste. Ma mission est de montrer qu’on peut être à l’abri du besoin sans détourner ou prévariquer. Je suis fonctionnaire comme du reste l’est mon épouse rencontrée dans les campus de l’Université en 1993. Nous sommes tous deux, cadres supérieurs de l’administration camerounaise depuis environ 10 ans et nos salaires mensuels réunis avoisinent les cinq cents milles francs. (500.000Fcfa). En vérité, mon salaire n’influence pas beaucoup ma vie. C’est grâce à ma matière grise que j’arrive à joindre les deux bouts. J’ai compris à la suite de Pierre Bourdieu que le savoir est un pouvoir et qu’il peut procurer le bien-être matériel. Les conférences, les consultations et les publications me libèrent de l’urgence. En contre partie, je lis 15 à 20 ouvrages par mois et je n’ai droit qu’à 3 heures de sommeil par nuit. Voilà les secrets de ma liberté. Il n’y a aucune dignité chez celui qui attend tout des autres disait feu Monseigneur Jean Zoa. Je travaille pour mériter mon pain. Je tiens à dire que je ne suis membre d’aucune secte, je ne suis pas dans les marchés publics et je ne gère aucun budget, mais je n’ai pas faim. De plus en plus, mon nom se vend et mes ouvrages aussi. De plus en plus, j’ai des admirateurs qui veillent à mon bien-être à qui je dis merci. Je ne dis pas tout cela pour me vanter mais pour passer un message à mes cadets. Le travail paye. Je suis idéaliste et équilibré. J’ai deux valeurs dans la vie : Dieu et le travail.