Le 10 décembre 2004. Michel Michaut Moussala, directeur du journal
Aurore Plus, entreprend l’un des coups
les plus fumants de sa carrière d’escroc. Il remet à sa banque, la Union Bank of
Cameroon (UBC), une autorisation de virement à lui adressée. D’un montant de
18,2 millions de francs Cfa, le document est signé par Cyrille Devernois,
directeur comptable et financier de la société PMUC (Pari Mutuel Urbain du
Cameroun).
« Nous vous faisons virer au crédit de votre compte personnel domicilié chez
Union Bank of Cameroon sous le numéro 200410041, la somme de FCFA 18 200 000
pour règlement de nos insertions publicitaires de l’année en cours (la période
de janvier à décembre 2004) parus dans le journal Aurore Plus à votre demande
datée du 30 novembre 2004 », indique la lettre référencée PMUC 10/1204. Le
journaliste repart de la banque avec pas moins de 23 370 022 francs Cfa en
espèces. Mais le document n’est ni plus ni moins qu’un faux, fabriqué par M.
Moussala. La signature, elle, est une imitation...
Le 13 janvier 2005, le directeur général du PMUC, Jean Baptiste Tomi, contacté
par la banque UBC qui attend que l’argent soit viré, éclaire cette institution à
cet effet. « Nous accusons réception de votre courrier du 04 janvier 2005 qui a retenu
toute notre attention. En réponse, nous vous signalons que nous n’avons pas
effectué de virement en faveur de la Société Aurore Plus ou de Monsieur
Moussala. Et nous vous signalons que nous ne sommes pas redevable envers cette
société à ce jour ».
Faux et usage de faux
En clair, le
document ayant permis à Michel Michaut Moussala de percevoir, avec diverses
opérations, jusqu’à 23 370 022 francs Cfa à UBC est une invention du
journaliste. Le Head of Legal
Departement de UBC, M. Louis Eboupeke, entreprend, avec l’Account Relations Manager, Sabuless Johnson Gemandze, des mises en
demeure « à rembourser à la banque
l’intégralité des sommes ainsi perçues indûment et faussement » à l’égard du
journaliste indélicat. Elles sont vaines.
« (…) passé ce délais, menace la banque, vous nous obligerez à engager contre vous une action pénale pour
escroquerie, abus de confiance aggravé, faux et usage de faux ». Mais il en
faut plus pour ébranler le larron.
Le journaliste sera condamné, dans cette affaire d’
« escroquerie aggravée, faux et usage de
faux, abus de confiance aggravé », à une peine privative de liberté au
tribunal de première instance de Douala-Bonanjo. Mais grâce à ses soutiens
politiques, il fera « juste un crochet » en prison…
« Dans un pays où règnent la dépravation des mœurs, la corruption et le
non-droit, et où les médias ne sont régis par aucune forme de régulation, un tel
background n’a aucune influence. Ce sera l’un des héritages malheureux du régime
du président Paul Biya », explique à cet effet un politologue camerounais de
l’université de Laval au Canada. Car MMM, fils de Michel Moussala et de
Elisabeth Enganamoulouk, né le 09 janvier 1959 à Douala, est bien connu dans les
milieux judiciaires de Douala où il est récidiviste.
Dans les années 90, avant qu’il ne se décide, du fond d’une cellule carcérale,
de créer le journal Aurore avec un
confrère prisonnier, l’ancien caissier du supermarché
Aux Bonnes Courses de l’homme
d’affaires Ngako Piwélé traîne dans les milieux de la douane et de la police à
Douala. Un ancien responsable du contentieux, feu Goni Mal Adji, confia qu’à
l’époque il dénonçait à la douane les commerçants qui, passant outre ses
exigences personnelles, tentaient de passer par les mailles de l’administration
douanière. Ce faisant, « Michaut »
passait tantôt pour un inspecteur de douane, tantôt pour un commissaire de
police. Et c’est finalement l’usage frauduleux du deuxième qualificatif, de
« commissaire Marlo », qui l’expédiera à la prison centrale de Douala pour
« faux et usage de faux ».
Antenne libre sur la CRTV
A cette
époque, on sous-estime les capacités de « rebondissement » du futur patron de
presse, qui, après son Cepe à l’Ecole Saint-Jean Bosco à Douala, n’a pu
atteindre que la classe de cinquième, non sans peine. Il crée, avec un compère,
le journal Aurore à la faveur de la
libéralisation de la communication sociale en décembre 1990. Mais il se brouille
très vite avec le partenaire qui l’avait convaincu, preuves à l’appui, qu’avec
des dossiers compromettants sur les personnalités de l’échiquier, ils se
feraient beaucoup d’argent dans la presse. Des contemporains évoquent, pour
expliquer le divorce, sa prestation malheureuse au cours d’une émission
Antenne Libre de la chaîne de
télévision publique CRTV. Ce fut, en tout cas, un événement inédit. Le directeur
d’Aurore s’exprima en un français
exécrable. La brouille engendre un nouveau canard,
Aurore Plus. Mais la ligne éditoriale restera celle qui a été convenue
en prison : la diffamation à tout-va et le chantage à l’égard des personnalités,
la plupart du temps avec des « tuyaux percés ».
De fait, pour qui connaît le Cameroun, pays où les pires escrocs ont été
quotidiennement célébrés dans les meilleurs tubes de
Makossa ou de
Bikutsi pour leur « intelligence » -
en fait, surtout leur générosité avec l’argent extorqués -, un tel « génie » ne
peut être que magnifié.
M. Moussala, dont le personnel est payé en monnaie de singe et à intervalles
irréguliers, s’est, ainsi, vu confier à un moment la présidence de la section
camerounaise de… l’Union des Editeurs de la Presse de l’Afrique Centrale
(UEPAC), une organisation, il est vrai, fantomatique. Il est souvent reçu comme
un prince par une brochette d’amis à l’aéroport international Roissy-Charles de
Gaulle à Paris. Et, même si personne ne peut décrypter les genres
journalistiques qui font le contenu de son bihebdomadaire, il ne compte pas
moins parmi ses alliés aussi bien le Délégué général à la sûreté nationale
(Dgsn), Edgard Alain Mebe Ngo’o, que le puissant vice-premier ministre, ministre
de la justice, garde des sceaux, Amadou Ali. Il est souvent reçu à la Primature…
Il est, du reste, adulé pour son courage dans maints milieux anti-Bamiléké, la
tribu qui contrôle l’essentiel du tissu économique domestique et qui, à cet
effet, est redoutée par certains pontes du régime, voire des étrangers parmi
lesquels une partie de la communauté française résidente.
Au pays de l’impunité
Au pays de l’impunité et de l’immoralité
publique, il est adoubé par une certaine « presse crédible ». C’est, entre
autres, le cas du quotidien camerounais Mutations qui, dans un article remontant les bretelles au Syndicat des
Journalistes local pour avoir osé interpeller
Aurore Plus sur une grosse bourde professionnelle, fait passer ce
confrère pour un martyr « prêt à retourner en prison » pour défendre son droit à
la dénonciation… calomnieuse. On lui attribue en fait, comme fait d’arme, le
fait d’avoir poussé la justice camerounaise à incarcérer un ancien ministre des
finances, Polycarpe Abah Abah, pour détournement de deniers publics. Or, ce
n’est là qu’un mythe ; il a lui-même avoué devant prétoires avoir copié le
dossier chez un autre confrère, Le Front, dont l’éditorialiste, Henriette Ekwe, pilier de l’affaire, a
comparu de nombreuses fois et a été condamnée.
Beaucoup croyaient que « Michaut » avait changé. Un politologue de l’Université
de Douala, le Dr. Aboya Endong, a, dans un droit de réponse pamphlétaire à
Aurore Plus (qui n’a pas été publié
par le journal) fait état de 17 procès en diffamation intentés contre ce journal
il y a quelques années par l’ancien directeur général du Port de Douala, feu
Tchouta Moussa Mbatkam. Lesdits procès ont abouti à la condamnation dudit
journaliste à une peine de sursis. La peine n’a pas changé la ligne du journal.
Habitudes d’escroc
« Il ne faut pas que ses lunettes
d’intello et ses grosses cylindrées fassent illusion. Moussala n’a pas changé
ses habitudes », ironise Jean Marie Soboth, le président du Syndicat des
Journalistes du Cameroun (SNJC), qui est également l’un des plus brillants
professionnel de l’échiquier. Le syndicaliste vient, lui-même, de faire les
frais d’Aurore Plus. Pour se venger du seul rappel à l’ordre dont
Aurore Plus a été l’objet suite à une
série d’allégations diffamatoires qui ont failli clouer une banque locale, le
journal a qualifié le syndicaliste d’homosexuel et d’amant d’un homme d’affaires
de l’échiquier qu’il n’a presque jamais rencontré.
« Michaut » n’a pas, non plus, changé ses habitudes d’escroc. On s’en est bien
rendu compte avec l’affaire UBC-PMUC en 2005. Mais ce n’est pas tout. L’année
dernière, il a promis à un certain François Kamga, Camerounais résident à
Washington DC, le contact de personnalités du sérail pouvant acheter son
véhicule de marque Jeep Grand Cherokee,
envoyé quelque temps plus tôt à sa famille à Douala. Par la suite, le
journaliste s’est rendu injoignable. Les propriétaires du
4x4 ont retrouvé le véhicule,
gravement accidenté, dans un garage de la ville. Ils ont appris plus tard que le
journaliste avait offert la voiture à son épouse. Et celle-ci a eu un accident
sur la route de Ndikinimeki, son village. L’affaire fait, depuis plusieurs
semaines, l’objet d’une plainte devant procureur à Douala.
Il y a plus. Parmi les autres indélicatesses du repris de justice, l’ex hôtel
Mercure Accor avait, à un moment, eu l’intention de l’assigner en justice pour
filouterie aggravée. Ses responsables ont dû renoncer lorsqu’on leur a dit qu’il
n’avait même pas peur de la prison. Plus récemment, le journaliste a échappé à
l’emprisonnement ferme dans une opération d’escroquerie où, erreur suprême, il a
laissé un chèque sans provision. Cette fois-là, c’est son frère aîné, Thomas
Makong, un ancien prisonnier politique qui fut le président de l’UNEK (étudiants
kamerunais) à Lyon en France, qui dut vendre un terrain non bâti dans le
lotissement de Log-Pom pour le sauver d’un troisième, voire quatrième
emprisonnement pour délits n’ayant rien à voir avec la presse.
Ravages journalistiques
Au plan journalistique, ses ravages sont
destructeurs. Dans son édition du 28 novembre 2008,
Aurore Plus annonce, sans précaution aucune, que la Commercial Bank of
Cameroon (CBC), une institution locale ayant bénéficié récemment d’un double
appui de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et de la Société Financière
Internationale (SFI), a été mise, la veille, sous administration provisoire par
la COBAC (Commission Bancaire de l’Afrique Centrale). Il déclarait la CBC en
faillite, faisant état d’un détournement de 1,2 milliards de francs Cfa perpétré
par un certain Georges Djadjo, directeur général de la CFH (Capital Financial
Holding), le holding du groupe. D’après le journal, ce dernier avait pris la
poudre d’escampette. Toutes ces informations ont immédiatement entraîné des
retraits massifs. Mais elles se sont révélées entièrement fausses… Le 02
décembre 2008, la banque et M. Djadjo ont attrait le journal devant les
tribunaux pour diffamation. Mais, dans l’édition suivante,
Aurore Plus demandait « à tous les
patriotes de retirer leurs avoirs » dans cette banque... « Michaut » avait, en
fait, contacté des responsables de la banque avant à travers des relais, leur
demandant de lui donner de l’argent. Ils l’ont envoyé balader...
Mais, au Cameroun, le mal est de taille.
« C’est une presse qui ne vaut rien », fulmine un diplomate nord-américain.
La principale école de journalisme, l’ESSTIC (Ecole supérieure des sciences et
techniques de l’information et de la communication), créée sous sa forme
d’institution internationale par le Français Hervé Bourges, forme au rabais
depuis qu’elle a été détachée de la coopération canadienne il y a des lustres.
En mars 2005, le haut-commissariat du Canada au Cameroun, le Réseau Liberté
Canada et l’Agence canadienne de développement international (Acdi) ont appuyé
la mise sur pied d’un Conseil camerounais des médias (Ccm) pour s’attaquer aux
épineux problèmes de déontologie. L’initiative, toujours embryonnaire quatre ans
après, est torpillée par des querelles de clochers dont l’objectif est le
confinement au sein d’une seule association de journalistes.
« Les Camerounais ont le démon du nivellement par le bas ». Aussi, en
l’absence d’une véritable autorité de régulation, le chantage à la diffamation
prospère, ce qui explique en partie la réalité d’une opinion publique souvent
brouillonne, inculte, collectivement aigrie et malveillante.
Ils sont un certain nombre à imposer ainsi le diktat du mensonge. Une attitude
dictée, pour l’essentiel, par le fait pour les pouvoirs publics et les
détenteurs de capitaux d’avoir abandonné le métier aux rebuts de la société. Le
directeur du journal Aurore Plus ne
peut écrire aucun article, il n’en aurait toujours pas les capacités
intellectuelles. Il n’en demeure pas moins applaudi par une foule de confrères
et une opinion qui partagent son état d’esprit mu par l’escroquerie, la haine et
le tribalisme.
(*) DESS en journalisme de l’Université de Strasbourg (France), Ph.D en sciences
politiques à l’Université de Laval au Canada : article paru dans la Revue
Québécoise du Journalisme (RQJ)
|