En 2008, l’aide aux pays pauvres a atteint 120 milliards de dollars USD. Ce
chiffre record est venu s’ajouter aux 1000 milliards de dollars transférés du
nord vers le sud du globe au titre d’aide au développement sur les 50 dernières
années. Une partie de cette aide a transité par l’humanitaire, microcosme classé
par le général Pichot-Duclos et Christian Harbulot parmi les nouveaux terrains
d’affrontements dans « La France
doit dire non », publié chez Plon, 1999. A la page 65,
les deux experts français évoquent un
champ de manœuvres idéal pour mener des attaques indirectes contre des cibles
économiques. Et de regretter l’impossibilité pour les ONG françaises d’être
présentes dans une zone d’Afrique riche en minerais. Pour confronter leur grille
de lecture à celles des acteurs de terrain, nous nous sommes procuré un extrait
du bulletin confidentiel de Médecins
du Monde, n° 29 de septembre 1998. Il y est écrit:
« le monde humanitaire est dominé
par de grandes associations internationales, qui affichent parfois clairement
des objectifs politiques, économiques ou confessionnels qui s’identifient
totalement à des politiques de conquête de marché ou d’intelligence extérieure.
Des documents publics notamment des chartes, des conventions, et des plans
d’ingérence humanitaire du Pentagone en attestent le dessein. »
Au final, des deux
côtés de l’Atlantique, l’humanitaire est devenu la continuation de la guerre
économique par d’autres moyens.
La poursuite d’intérêts stratégiques
Nos dispositifs de veille observent avec intérêt l’influence croissante des
multinationales qui intègrent les œuvres caritatives dans leur stratégie
d’occupation du terrain. Nos trackers tracent aisément les activités des
branches africaines des sociétés transnationales qui créent des fondations et
autres types d’associations à des fins de renseignement humain, de guerre de
l’information, de vulgarisation des normes, de lobbying, et plus généralement de
soft power. Les actions de
certains humanitaires que nous observons sont, à cet égard, symptomatiques d’une
tendance lourde à l’instrumentalisation de la société civile dans la poursuite
d’intérêts stratégiques et de positionnement des entreprises donatrices sur les
appels d’offres relatifs à la reconstruction des zones sinistrées (en Afrique)
ou sur le créneau très prometteur de l’éthique et du
green business
(dans les pays développés). Dans son
interview du 31 janvier 2009 au journal Le
Matin, Alain Juillet, alors Haut responsable français à l’intelligence
économique, faisait remarquer que ces organisations « se positionnent
systématiquement comme les représentants de la vertu. Le problème, c'est que 70%
d'entre elles sont payées par des entreprises ou des états. Et ce chiffre
augmente chaque année. Elles influencent donc l'opinion publique au profit de
ceux qui les financent. », une faille parmi d’autres.
Des failles dans la gouvernance
Nos sources cartographient des situations où l’aide humanitaire des régions
comme le Darfour, la Somalie, l’Est de la RDC, le Liberia ou la Sierra Léone,
montre des failles d’ordre éthique et politique dans la pratique de la
gouvernance de nombreuses ONG de l’OCDE. Certains observateurs leur reprochent
d’appliquer un apartheid de facto,
car leurs cadres les mieux rémunérés et les mieux logés, ceux qui s’attribuent
les postes de coordonnateurs, sont quasi exclusivement de type caucasien. A lui
seul, le traitement de ces cadres bon
teint absorbe près de la moitié
du budget dans 80% des organisations. Les Africains qui exécutent le programme
effectif d’assistance sur le terrain sont sous-payés dans 7 cas sur 10, et
souvent embarqués dans des missions de terrain dont ils ignorent tout des
objectifs stratégiques. Nos investigations évaluent à plus d’un millier, le
nombre d’ONG internationales présentes dans la seule région du Kivu. Et
pourtant, elles génèrent un impacte difficile à mesurer sur la situation réelle
dans cette partie de la RDC. Ce qui est nettement visible, en revanche, ce sont
les villas cossues, les jeeps 4X4 et l’accès parfois coupable aux jeunes enfants
vulnérables, dont bénéficient leurs cadres supérieurs. Dans le cas précis du
Kivu, un rapport de l’ONU, sur lequel nous reviendrons ci-dessous, accuse
directement les ONG humanitaires de se livrer à un jeu malsain qui les assimile
à des groupes mafieux favorisant le viol, le vol, les pillages, les
assassinats ; et contribuant, dans certains cas, à l’effort de guerre des
parties belligérantes.
Le rapport qui accable les humanitaires en RDC
Un panel d’experts a récemment transmis au Conseil de sécurité des
Nations Unies un rapport qui accuse des ONG humanitaires de se détourner de leur
mission première pour se livrer au trafic d’armes et à l’exploitation
frauduleuse des ressources rares dans la partie Est de la RDC. Les experts
onusiens accusent nommément deux ONG humanitaires de l’OCDE : l’espagnole
Fundacio Solivara et l’italienne Inshuti. Ces
deux entités mènent désormais des activités illicites qui entravent toute
initiative de paix en République Démocratique du Congo, et particulièrement au
Kivu. Le rapport des experts précise que ces organisations ont abandonné leur
rôle humanitaire pour soutenir les rebelles rwandais, fournissant souvent à ces
derniers des renseignements de première main dont le caractère stratégique
impacte l’issue des affrontements entre belligérants. De plus, Inshuti et
Fundacio Solivara jouent les intermédiaires dans l’exportation frauduleuse des
minerais congolais via l’Ouganda, permettant ainsi aux rebelles rwandais de
disposer d’un véritable trésor de guerre, grâce à un réseau international de
trafiquants. Les conclusions du rapport donnent finalement raison au
gouvernement congolais qui fustigeait déjà l’attitude équivoque de certaines ONG
humanitaires ainsi qu’au Président soudanais Omar el-Béchir qui, quelques temps
auparavant, avait déclaré persona
non grata la majorité des ONG
occidentales présentes au Darfour.
Comment des ONG concourent à l’effort de guerre
Nos dispositifs de veille captent régulièrement des signaux qui, mis bout à
bout, révèlent comment l’aide humanitaire participe à l’aggravation et à la
prolongation des conflits armés dans certains pays d’Afrique. Lorsque des
combattants font officiellement main basse sur les dépôts d’une ONG humanitaire
comme cela semble souvent se produire, ce ne sont pas seulement des vivres qui
sont emportées, c’est aussi du matériel roulant, de l’argent liquide, des
téléphones satellitaires, des appareils photos, du matériel informatique et tout
autre objet pouvant concourir à leur effort de guerre. Au Liberia, l’ONU et
quelques ONG s’étaient ainsi vu dépouiller plus de 8 millions de dollars de
biens, durant les combats d’avril et mai 1996 ! En Somalie, au Soudan et dans
l’Est de la RDC, des combattants armés sont aujourd’hui spécialisés dans le
trafic de produits issus des expéditions dites « punitives » organisées à
intervalles réguliers dans les QG humanitaires. Mais dans le bourbier Afghan
aussi, nous savons que les trackers du FBI suivent actuellement les mouvements
d’un groupe de militaires italiens suspectés par le Pentagone d’avoir créé un
système qui alimente les Talibans, en échange d’une protection sur le terrain
des opérations ; un deal
mafieux qui s’apparente à celui de
certaines missions humanitaires en Afrique.
Une mission humanitaire peut-elle être inhumaine ?
Traçant la comptabilité de quelques ONG ainsi que celle de l’opération de la
Mission des Nations Unies au Congo (MONUC), nous sommes tombés sur des
irrégularités flagrantes dans les opérations de secours menées durant 10 années
dans la région des Grands Lacs (1998/2008). Nous avons constaté que de 1996 à ce
jour, les Nations Unies ont consacré plus de 1,3 milliards de dollars USD aux
« opérations humanitaires » en RDC, dans une enveloppe globale de plus de 17
milliards de dollars alloués à des opérations dont l’impact officiellement
souhaité sur les populations locales reste attendu. Nos conclusions sont
sans appel à cet égard : l’argent dégagé, malgré quelques réalisations louables,
n’a pas servi à traiter les causes profondes de ces conflits. Et pour cause, 70%
des fonds prévus pour soulager les populations servent en effet à acheter des
biens d’équipement et des produits industriels fabriqués par les « généreux
donateurs ». Durant le séjour d’une de nos enquêtrices dans la zone, celle-ci
n’a vu ni latrines ni toilettes publiques dans les camps de déplacés. Pressée
par un besoin naturel, elle a été obligée de se soulager dans la forêt proche !
Malgré leurs efforts, les analystes qui traitent la question des hostilités à
l’Est de la RDC ne comprennent pas que depuis 1996, plus de 45.000 soldats,
notamment des casques bleus et des militaires de l’armée régulière des Forces
Armées de la République Démocratique du Congo, ne puissent pas venir à bout de
5.000 rebelles rwandais. En décryptant l’inflation humanitaire qui s’en suit, on
peut légitimement se demander si ce conflit ne fait finalement pas les affaires
de certains acteurs.
Du cloonage des ONG à l’inflation humanitaire
Le business de l’humanitaire et de « l’aide fatale » dont parle la
Zambienne Dambisa Moyo dans son ouvrage éponyme, attire de plus en plus
d’intervenants qui ne parviennent plus à s’entendre ni sur les objectifs, ni sur
leur territoire de compétence, tant elles se confondent. Depuis la fin de la
guerre froide, les ONG internationales ont réussi un incroyable parasitage dans
les relations inter-étatiques. Les plus grandes comme le Secours Catholique,
Amnesty International, MSF, Blue Light Foundation, la Croix-Rouge, Human Right
Watch, Transparency International, Extractive Industries Transparency
Initiatives, etc. se sont professionnalisé au point de gagner des parts
substantielles dans l’exercice des missions régaliennes des états. En vraies
entreprises qu’elles sont devenues, elles ont leurs ingénieurs (photographes
professionnels), leurs communicateurs (storytellers) et leurs commerciaux
(fundraisers). Sous leurs dehors « non lucratifs », elles utilisent les
outils d’intelligence économique et appliquent des techniques d’infoguerre et de
PsyOps dignes des services spéciaux. Ce qu’elles visent, c’est la maîtrise de
l’environnement africain au même titre que des filiales africaines des sociétés
cotées comme Coca-Cola,
Microsoft ou Renault, c’est faire passer leurs idées et celles de leurs
donateurs institutionnels grâce à une occupation rationnelle de l’espace
médiatique. Les ONG cloonées
gèrent plusieurs millions de dollars
et font travailler des milliers de salariés à travers le monde. Malgré (et
peut-être à cause de) leur nombre inflationniste et leur mode de gouvernance
corporate, elles s’apparentent
plus que jamais à des tigres lâchés sur le terrain ultra-concurrentiel de la
charity business
en Afrique.
La charity business, nouveau
safari africain ?
Dans un monde marqué par l’hypercompétition, la concurrence a pris racine
dans le secteur humanitaire où l’intensité émotionnelle suscitée par la
souffrance des autres est considérée comme une marchandise, une opportunité qui
motive l’élaboration de business
plan sur papier glacé et des
opérations de séduction à travers les émissions de télévision en
prime time
ou des campagnes d’affichage
choc. Marie Pierre Caley, co-fondatrice de l’Agence d’aide à la
coopération technique et au développement (ACTED), une ONG française qui a
atteint les 100 millions d’euros de budget en 7 ans d’existence, confiait ainsi
au Figaro du 8 octobre 1999: «
le
marché de l’humanitaire en Afrique est saturé et est devenu très concurrentiel.
Il n’y a plus de place pour les gentils. On est obligé d’avoir une logique
d’entreprise, et pour survivre, il faut grossir
»
C’est cette logique de rentabilité qui
a poussé un groupe agissant sous le label « l’Arche de Zoé » à monter une
opération (en tout point semblable à du trafic d’êtres humains) sur 103 petits
Tchadiens déguisés en orphelins pour la circonstance. Le Président Idriss Déby
Itno devait qualifier cette entreprise d'enlèvement par des entités dites
humanitaires qui «sont installées dans notre pays et qui ont trompé la
vigilance du Tchad
»
Au Tchad, comme partout ailleurs en Afrique, les gouvernements ont grand intérêt
à se doter de moyens conséquents pour prendre
en charge ces organisations dont
les activités portent atteinte à la paix et la croissance locales, creusant des
failles dans la souveraineté des états.
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