Luc Magloire Atangana Mbarga, ministre du commerce au Cameroun
Sept ans que ça dure, et l’on est loin d’être sorti de l’auberge. Après neuf jours de négociations, les pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (Omc) se sont séparés sur un nouveau blocus à propos des protocoles d’accord du Cycle de Doha. Le grain de sable est venu lundi 28 juillet de là où on l’attendait le moins. Le blocage s’est en effet produit sur la demande des pays en développement de pouvoir protéger leurs productions agricoles contre une invasion de produits étrangers. Les pays Acp (Afrique, Caraïbes, Pacifique) ont préféré claquer la porte devant ce qu’ils ont qualifié de complot de l’Union Européenne.
Ce nouvel échec ouvre ainsi une nouvelle période d’incertitude. Les négociations ne pourraient intervenir que dans deux ou trois ans, estiment certains observateurs. Pour le ministre camerounais en charge du Commerce, Luc Magloire Atangana Mbarga, chacun doit tirer les leçons de ce nouvel échec. Le porte-parole des pays Acp à cette session de l’Omc estime cependant que les pays occidentaux sont les vrais responsables de l’échec du Cycle de Doha. En fait, et encore une fois, les préoccupations principales des Africains (notamment le coton et la banane) n’ont pas été prises en compte au cours des travaux. Dans un entretien accordé à Radio France international (Rfi), Luc Magloire Atangana Mbarga remet en cause les fondements des organisations comme l’Omc. Il estime par ailleurs qu’il serait peut-être plus judicieux de penser à autre chose que le Cycle de Doha.
Monsieur le ministre, vous n’êtes pas trop déçu par ces négociations ?
Oui, je suis certainement déçu. Et comme on dit, en toute chose il faut savoir tirer des leçons. J’ai l’impression que, malheureusement, au sein de notre organisation et ce n’est pas la première fois, nous ne savons pas tirer les leçons du passé. Une rencontre de ce type, on y associe l’ensemble des parties prenantes. Mais là, nous avons l’impression que cela s’est fait un peu entre petits amis, en petits comités, sans prendre en compte les réalités économiques.
J’ai dénoncé, dans ma déclaration en plénière, le fait que l’Omc fonctionnait sur des bases purement juridiques, idéologiques, dogmatiques, se coupant des réalités. Nous savions que nous allions droit au mur. Cela a été le cas. Mais je pense qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. J’espère que les uns et les autres sauront tirer les conséquences de ce énième échec qui remet en cause, et je pense qu’il faut avoir le courage de le dire, les fondements même de notre organisation. Et, surtout, son fonctionnement.
Est-ce que vous êtes déçu par le fait que certains grands dossiers cruciaux pour les pays africains comme la banane ou le coton n’aient pas été abordés franchement au cours de ces négociations ?
Toujours en plénière, j’ai dit qu’on traitait la banane comme un détail. On n’en faisait pas cas. On en a très peu parlé. Je ne sais pas s’il est arrivé aux instances dirigeantes de l’Omc d’évoquer une seule fois ce mot qui apparaissait comme maudit. Et j’ai relevé que si la banane était un détail, alors il faut s’en méfier parce que le diable est dans le détail. On n’a pas parlé de banane, on n’a pas parlé de coton. Les intérêts offensifs des Africains n’ont jamais été intégrés dans les préoccupations de l’Omc. En tout cas, pas au cours de cette session.
A votre avis, qui est responsable de ces échecs ?
Tout le monde. Nous sommes tous responsables, à des degrés divers. Les vrais responsables se reconnaissent eux-mêmes. Il conviendrait qu’ils puissent en tirer tout simplement, et peut-être à titre individuel, les leçons de cet échec. Mais, en tout cas, le Cameroun ne se sent en rien coupable. Nous avions indiqué notre bonne volonté, nous avons multiplié les initiatives, des propositions et des contre-propositions au cours de cette session parce que nous sentions que nous étions dans une impasse. Hélas ! Nous n’avons pas été entendus, peut-être parce que nous sommes un pays en développement. Et c’est l’occasion de redire ce que j’avais déjà relevé en plénière : nous avons besoin d’un minimum de cohérence entre les différentes organisations internationales. A l’Omc on dit telle chose, au Fonds monétaire international (Fmi) on dit le contraire. Comment voulez-vous qu’on puisse avancer ? Comment voulez-vous que nos pays puissent lutter efficacement contre la pauvreté, ce qui est l’objectif majeur. En tout cas, au Cameroun, le président de la République, M. Paul Biya, a fait de la lutte contre la pauvreté l’objectif majeur de sa politique. Cela suppose le développement de nos exportations, la participation à un système commercial multilatéral. Mais si on nous ferme chaque fois la porte, et c’est ce que fait l’Omc, c’est le contraire de ses missions.
Qu’est-ce qui aurait pu débloquer les choses ?
La bonne volonté. Et un fonctionnement plus normal, plus classique, plus orthodoxe de nos institutions. Vous savez le nombre de G, le fameux groupe. On nous a parlé du G7 qui se réunissait tout seul, qui réfléchissait et décidait à la place de tout le monde ; il y avait la Green Room (la Chambre verte), le G30, etc. Ecoutez, cela ne peut pas marcher comme ça. Il faut que cela change. Il faut un peu plus de démocratie. La règle de base de l’Omc c’est la transparence. Malheureusement, il n’y en a pas eu, il n’y en a pas. Et tant que cela fonctionnera ainsi, cela ne marchera pas.
Qu’est-ce que vous espérez pour l’avenir ?
Que l’on commence d’abord par tirer les leçons de cet échec cuisant. Nous avons besoin de nous reposer. Les esprits et les organismes sont éreintés, épuisés après ce marathon. Et après donc, nous tirerons les leçons. Certainement, il faudra relancer le cycle. Mais, est-ce le cycle de Doha qu’il faut relancer ? La question mérite d’être posée. Il avait été lancé en novembre 2001. Entre temps, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Nous avons connu la crise alimentaire, nous avons connu la crise du système bancaire aux Etats-Unis…Beaucoup de choses se sont passées. Alors, est-ce encore d’actualité le cycle de Doha ? Ne faut-il pas réfléchir à un nouveau cycle et relancer la machine ? A mon sens, c’est vers cette direction que la réflexion devrait porter.
Source: Le Messager
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