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“ L’occultation de notre histoire est une monstrueuse impasse ”
(29/04/2009)
Ecrivain camerounais et chroniqueur à Le courrier de Genève, quotidien suisse, il a obtenu en 2007 le prix Eve Delacroix décerné par l'Académie française pour le roman Silikani, publié chez Gallimard
Par Nadège Christelle Bowa (Le Messager)
Eugène Ebodè, écrivain camerounais et chroniqueur à Le courrier de Genève, livre son sentiment sur l'histoire occultée du Cameroun.
Eugène Ebodè, écrivain camerounais et chroniqueur à Le courrier de Genève, livre son sentiment sur l'histoire occultée du Cameroun.
[b Ce roman clôt sa trilogie romanesque sur la jeunesse africaine. Dans cet entretien réalisé à travers Internet, il décline sa vision du développement du Cameroun, balloté par la pauvreté. )

Vous arrivez au Cameroun pour un colloque sur la littérature. Quel en est le thème et quel pourra être son apport au Cameroun( le colloque s’est déroulé du 15 au 17 avril 2007 Ndlr)?

Je viens en effet participer à un colloque international sur les nouvelles perspectives de la littérature camerounaise avec la double casquette d’auteur et de critique littéraire dans la doyenne des gazettes suisses actuelle : Le Courrier de Genève.

Quel regard portez-vous sur la littérature africaine en général et particulièrement camerounaise?

La littérature africaine est aussi diverse et variée que l’est le continent. S’agissant des auteurs du Nord, j’apprécie l’écriture imagée et quasi picturale de l’Egyptien Ala’a Al Aswany. Il a écrit un magnifique premier roman, tonique et envoûtant : l’Immeuble yacoubian. Je lis aussi avec passion le poète tunisien Tahar Bekri, les écrivaines algériennes telles que Malika Mokeddem ou la très iconoclaste Leïla Marouane. Impossible de ne pas citer l’écrivain d’origine algérienne et ancien ministre Azouz Begag dont Le Gône de Chaaba est une splendide restitution de la vie d’un enfant d’immigré sauvé par l’école […] Le Cameroun ne semble pas manquer de talents littéraires à l’intérieur de ses frontières comme à l’extérieur, même si d’immenses fromagers enracinés dans le champ littéraire et celui de la philosophie se sont couchés ces dernières années. Je pense à Francis Bebey, à l’immense Mongo Beti, au roc que fut René Philombe, au baobab totémique de la pensée que fut et reste Jean-Marc Ela. Avec des figures de proue comme Gaston-Paul Effa, Werewere Liking, Célestin Monga, Achile Mbembé, Calixthe Beyala, Leonora Miano, Nathalie Etockè, Georges Yémi, l’essayiste Gaston Kelman, le peintre-nouvelliste et illustrateur Christian Epanya et le philosophe Jean-Godefroy Bidima. Pour ceux qui vivent au pays, j’ai noté que nous avons un général écrivain, le général Nkoa. Il est heureux de taquiner le sonnet que la baïonnette. De nombreux autres auteurs s’expriment avec talent tels que Pabe Mongo, le poète Fernando d’Alméida, Angeline Solange Bonomo, Marie-rose Abomo-Maurin, le romancier François Nkémé ou le nouvelliste Jean-Claude Awono. Et la liste est loin d’être close. On peut donc dire que les auteurs et penseurs portant la casaque camerounaise sont d’authentiques purs-sangs sur les hippodromes de la littérature et de la pensée contemporaine.
Le problème n’est cependant pas l’arithmétique et le nombre. La question est de savoir ce que nous faisons collectivement de la richesse des pensées ou des imaginaires ainsi disponibles. Je regrette qu’il n’y ait pas d’initiative forte, issue du monde industriel pour soutenir cette littérature, car on mesure et déplore assez l’atonie des pouvoirs publics face à la diffusion des œuvres culturelles. Oui, nos industriels peuvent parfaitement mutualiser leurs forces pour un salon du livre au Cameroun qui déploierait plus énergiquement la richesse créatrice de nos écrivains et penseurs. J’ajoute que si le livre n’est pas une marchandise comme les autres, il souffre plus que les autres de rester dans les cartons. J’imagine aussi l’institution de quatre prix littéraires qui serviront utilement la cause du livre : Le prix Um Nyobè pour les livres à vocation historique, le prix Mongo Beti pour les romans, le prix Jean-Marc Ela pour les essais. Un dernier prix, consacré au livre d’humour et de la critique sociale serait intitulé Le prix Vieux nègre et la médaille…

Bien que vous viviez à l'étranger, vous devez un œil sur l’actualité de votre pays d'origine. Alors qu’est-ce qui vous a le plus marqué en 2008 ?

Un œil, fut-il perçant, ne peut suffire et prétendre embrasser la totalité des situations heureuses ou difficiles d’un pays. Nous nous attachons souvent à ne voir que les trains qui n’arrivent pas à l’heure et, à propos de train, il y aurait sans nul doute beaucoup de choses à dire sur l’état du transport ferroviaire au Cameroun. Au fond, les Camerounais, comme tous les peuples du monde, sont confrontés au désarroi ou pire, au fatalisme. Je n’ai pas qualité pour déterminer de quelle manière un peuple doit s’approprier son récit national, mais je suis persuadé qu’un groupe ne peut sereinement se projeter dans l’avenir s’il ne sait pas d’où il vient et de quelles forces il a héritées de l’histoire, en clair, du don des morts. J’ai été stupéfait, en 2008, que le cinquantième anniversaire de la mort tragique d’Um Nyobè ne donne lieu à aucune réflexion collective sur l’histoire du Cameroun et davantage encore, sur la décolonisation. L’occultation est une monstrueuse impasse. Elle ne produit que névroses et frustrations. Pire, elle donne au citoyen le sentiment qu’il est pris, tel un rat, et ne devient qu’un lent et permanent piétinement dans un labyrinthe obscur.

Au cours de votre séjour en terre camerounaise, vous espérez rencontrer Pius Njawé et Lapiro de Mbanga. Peut-on savoir pourquoi ?

La presse a souvent payé un lourd tribut pour précisément hâter la sortie de la caverne dont Platon nous a donné une bien belle allégorie dans son livre 5, je crois, sur La République. Je tenais donc à saluer un explorateur de notre meilleur espace qui soit : l’espace public où tout citoyen, en s’exprimant librement, apporte sa contribution à l’amélioration de la cité. C’est dans cet espace aussi que nous mesurons le poids de l’intérêt général sans lequel, ne subsisteraient que des avidités particulières et le règne du plus fort, c’est-à-dire de l’arbitraire. Quant à Ndinga Man, j’ai la faiblesse de penser que nos musiciens sont aussi nos meilleurs baromètres sociaux et politiques. Regardez donc le sort qu’a connu Fela chez nos grands voisins. Regardez la situation inacceptable de Tiken Jah Fakoly en Côte d’Ivoire. Souvenez-vous de ce qui est arrivé à Kabassalé au Congo. Je ne prétends pas que les musiciens sont au-dessus des lois, mais ils ne sont pas en dessous non plus. Et quand un malheur injuste les frappe, c’est la société qui est atteinte. Il m’aurait donc plu de dire à Lapiro de garder espoir et de penser à cette phrase de Richard Bona qui me revient régulièrement quand le découragement me gagne : “ Après la pluie, il pousse des fleurs qu’on n’attend pas. ”

Au moment où vous arrivez, une mission du Fmi est au Cameroun. Que pensez-vous de son travail au Cameroun ? Le pays a-t-il encore besoin d'être sous ajustement structurel? Sinon comment se sortir du joug Fmi ?

C’est une question à poser à Célestin Monga, brillant banquier et expert en finances internationales. Reconnaissons que les institutions financières internationales sont souvent raillées ou la cible de la colère des citoyens ? ordinaires. Sans entrer dans les mécanismes bancaires, il me semble que le Fmi, comme la Banque Mondiale, sont d’abord des banques. Elles sont instituées pour “ faire de l’argent ” et non pour faire œuvre de philanthropie. Quiconque frappe à leurs guichets doit donc s’attendre à être provisoirement soulagé et postérieurement tondu. Mais nul n’est obligé de souscrire à la tonte. La question est de savoir si nous avons les moyens de nous détourner des coiffeurs exigeants qui ne nous demandent notre avis qu’à la marge. D’autres pays ont montré qu’ils pouvaient dire non au Fmi. Mais il ne s’agit pas de bomber le torse pour l’unique plaisir de recueillir les applaudissements des foules gorgées de fierté. Il faut soulager la misère, redonner souffle à la création de biens, à la dynamique de créations d’emplois durables et augmenter la richesse nationale. Il faut aussi songer à l’éducation qui est un formidable investissement pour le futur. La question est celle à la fois de la création de la richesse et de sa répartition. FMI ou Chine ? Le match est déjà dans les esprits, mais il s’agit là de joug contre joug, car emprunter peut-être bien, mais devenir prêteur un jour c’est mieux. Plus globalement, mon problème n’est pas de se figer dans la posture victimaire. Nous devons plutôt regarder si les intérêts des nations sollicitant des crédits sont sauvegardés, promus ou bonifiés. J’ajoute que ce qui m’intéresserait, c’est la consultation référendaire avant d’aller quérir ou quémander l’aide de tel ou tel organisme ou nation développée. Certes, les Etats ont qualité pour prendre des engagements au nom des citoyens, mais dans la mesure où ils ne profitent pas toujours à l’intérêt général de la nation, le recours au référendum éclairerait en amont la population sur les enjeux, le montant des emprunts, les intérêts globaux de la dette et les marges de manœuvre disponibles sur le plan budgétaire. Sachant que ces emprunts sont à longs termes, c’est-à-dire qu’ils engagent aussi les générations futures et que nous ne disposons pas d’une monnaie souveraine, la question des emprunts mérite un débat national. Il manque singulièrement à la pédagogie nationale et en son absence, les préconisations du Fmi déclenchent souvent des émeutes contre la vie chère en raison précisément des mécanismes dits d’ajustement structurel ; ils accroissent malheureusement et même mécaniquement la précarité. “ On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ”, soulignait le cardinal de Retz. Les politiciens adeptes du flou, artistique ou non, préféreront toujours le joug à la joute démocratique et salutaire car elle débouche sur la responsabilisation nationale qu’implique tout recours sincère au référendum. Si le référendum est lourd à organiser sur des questions techniques, pensons donc à mettre en place un comité des sages chargées de contrôler la gouvernance économique et qui aurait à se prononcer chaque fois que nécessaire sur le bien fondé de tel ou tel emprunt. Le monde bouge, ne restons pas les pieds plantés dans la glaise.

En parcourant votre bibliographie, on se rend compte que vous êtes un exilé au regard de la façon dont vous êtes parti de votre pays il y a quelques années. N’était-ce pas de la fuite en avant ? Pensez-vous un jour revenir poursuivre le combat que vous menez à partir de l'autre côté ici ?

La fuite en avant ? Non, vous y aller un peu fort, car il s’agissait certes de rompre avec une pesanteur politique mais également de poursuivre des études supérieures en Occident. Après Sciences-po et un troisième cycle, j’ai ouvert un autre cycle romanesque visant à la construction de passerelles idéelles (passerelles d’idées) entre Mon Afrique et le continent européen. Après une dizaine de livres, je constate que je ressens en effet parfois, au rythme des raccourcis sur l’Afrique ou des calamités qui l’assaillent, une sorte de mauvaise conscience. Cependant, on est toujours du pays qui vous a donné vie et histoire. L’envie de lui rendre un peu de ce qu’on a étreint souvent le cœur, et la raison vous freine ou vous contraint. Admettons aussi ceci : que l’on soit à l’intérieur du pays ou en dehors, les difficultés se présentent à tous. Servir sans être servile, telle est ma devise. Dans l’écriture comme dans la vie, il faut se tenir à des principes clairs. On peut servir le pays, sa culture, son apport particulier au monde loin des yeux mais en essayant toujours de l’avoir près du cœur. Prendre part au combat dont vous parlez est-ce à dire s’impliquer dans la vie politique ? Je vous répondrai, comme le Fmi : Oui, mais à certaines conditions…

*Cet entretien a été réalisé avant
son arrivée au Cameroun



Source: Le Messager


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