"Le président Biya arrêtera peut-être ses proches les plus gênants pour son maintien au pouvoir, mais n`ira pas plus loin", affirme sous couvert de l`anonymat un bon connaisseur du régime. "Arrêter tous ceux qui ont volé, ce serait comme jeter une bombe dans sa propre maison".
Depuis les arrestations en 2006 de plusieurs anciens patrons d`entreprises publiques, l`opération Epervier, mise en oeuvre en 2004 sous la pression des bailleurs de fonds par le Premier ministre Ephraïm Inoni, paraissait au point mort.
L`inculpation, début avril, de l`ancien ministre de l`Economie et des Finances Polycarpe Abah Abah et de son ex-collègue de la Santé Urbain Olanguena Awono semble avoir relancé la machine.
"D`autres arrestations vont suivre", assure une source diplomatique. Fin mars, le ministre de la Justice Amadou Ali avait lui-même expliqué à l`Assemblée nationale qu`une vingtaine de dossiers étaient à l`étude. Auparavant, la presse s`était procuré une liste qui pointait 64 barons du parti au pouvoir.
Beaucoup doutent cependant que les arrestations diminuent le niveau des détournements de fonds publics, devenus endémiques depuis le milieu des années 80.
"Le problème est structurel", avance Garga Haman Adji, ancien ministre et président d`un petit parti d`opposition, l`Alliance pour la démocratie et le développement (ADD).
Selon l`ingénieur financier, Babissakana, 40% des dépenses de l`Etat ne servent pas à la nation mais sont détournées par des fonctionnaires indélicats. Une partie des recettes équivalent à 5% du PIB, soit environ 500 milliards de francs CFA (762 millions d`euros), iraient chaque année dans la poche d`individus au lieu des caisses publiques.
Pour décrire le fonctionnement de l`Etat camerounais, Babissakana évoque un "système criminel" qui se fonde sur le principe de l`opacité et se montre capable de s`adapter aux exigences des bailleurs de fonds pour les mettre à son profit. Les agents de l`Agence nationale d`investigation financière (Anif), créée en 2005, sont ainsi devenus des "acteurs" de cette criminalité d`Etat, estime Babissakana.
S`attaquer à ce système bouleverserait "l`architecture centrale de l`Etat". "La volonté de changer n`existe pas", assure-t-il. Selon lui, seules des institutions de contrôle travaillant de manière indépendante pourraient modifier le fonctionnement de l`Etat.
"Aujourd`hui, tout dépend directement du Président de la République, explique Babissakana. "C`est comme si un type se contrôlait lui-même. Les règles du jeu sont faussées, volontairement."
Tout a changé deux ans après l`arrivée au pouvoir de Paul Biya en 1982. Après la tentative de coup d`Etat de 1984, "la lutte contre la corruption est passée au troisième voire au quatrième plan", analyse un ancien haut fonctionnaire. La "sécurité" et la "stabilité" du régime ont primé. L`impunité en matière de corruption s`est alors développée.
L`ampleur de la corruption est devenue si grande qu`elle alimente un "chaudron de mécontentement" et risque d`aboutir à une "explosion", juge une source diplomatique.
Une grande partie des sommes détournées sont placées à l`étranger, souligne-t-il. Ce qui reste est utilisé dans des dépenses somptuaires. Pour le Cameroun, c`est une perte "nette".
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