Note de la rédaction : Il y a un peu plus de 3 ans, le Camerounais
Kingsley quittait le Cameroun pour rejoindre la France en passant par le Maroc.
France 2 avait alors suivi de près son périple, dans un reportage intitulé traversée
clandestine. Vous pouvez retrouver une vidéo de ce reportage dans
Cameroun et Immigration : destins clandestins
Kingsley est arrivé en France il y a un peu plus de 3 ans. Mais son voyage n'a pas
été de tout repos. Le Maroc, les iles Canaries, traversée de la mer à bord de pirogues,
il n'a pas connu ce qu'on pourrait appeler un voyage classique. Le rêve occidental
sans doute, la difficulté du quotidien au Cameroun l'auront poussé à se lancer dans
ce pari impossible de partir à l'inconnu. Avec une vingtaine de personnes, il se
lance dans ce périple qui ne sera pas de tout repos.
Au Maroc, ils sont 18 à voyager à l'arrière d'un camion avec moins de deux litres
d'eau par jour à se partager, sous la chaleur du désert. Il passe plusieurs mois
dans les camps mis en place par les "passeurs", et attend le bon moment pour construire
sa pirogue et tenter de rejoindre l'autre côté de la rive. Deux personnes perdront
la vie lors du voyage, suite à un premier naufrage. Mais ne pouvait pas faire marche
arrière, Kingsley ne se décourage pas et décide de retenter sa chance, et réussi
à arriver sur les côtes espagnoles.
"Toutes les galères que tu peux vivre quand tu es clandestin.
Je me sentais comme un prisonnier, comme un chien qui n'a aucune valeur. Je n'ai
pas les papiers, j'étais exclu, mais pourtant j'étais là. J'avais très peur que la
police m'attrape et me ramène chez moi. La galère c'est aussi de rester dans une
petite pièce caché toute la journée, ne pouvoir dire bonjour à personne, de peur
que la police m'arrête. Un bonjour c'est gratuit, mais ça avait beaucoup de valeur
pour moi, mais je n'osais même pas le faire. Je n'avais pas de travail, pas à manger,
je me demandais souvent pourquoi j'ai quitté l'Afrique. On me parlait d'Europe,
mais ce n'est pas à ça que je m'attendais. Il y a ceux qui passent par la porte
d'entrée et ceux qui sont comme moi, ce n'est pas la même Europe " |
A son arrivée en France, il a vécu caché pendant plus d'un an. Il a travaillé ici
et là au noir, de préférence la nuit, en fonction de la demande des employeurs,
avec la hantise permanente d'un éventuel contrôle policier. Avec de la chance et
la médiatisation de son histoire, il a pu être régularisé, et suivre une formation
d'électricien.
"Si tu veux venir en Europe, si tu as tes papiers,
pourquoi pas... Mais il ne faut pas venir comme moi je suis venu. C'est très très
risqué. Le danger est partout, de ton départ jusqu'à l'arrivée. Ta vie est en danger,
c'est très risqué. C'est un coup de chance si j'ai pu arriver, il n'y a aucune garantie
que tu puisses arriver." |
Aujourd'hui en intérim depuis 6 mois, Kingsley a l'avenir
qui lui sourit. Il espère bien obtenir un CDI, condition sinéquanone à l'obtention
d'un logement, afin de pouvoir arrêter sa vie de nomade et se construire enfin.
C'est en bonne voie puisque son patron semble content de son application et de son
sérieux au travail, et que le fait de connaître toute l'histoire du Camerounais
n'a fait qu'augmenter son admiration. Mais pourtant, si le rêve est devenu réalité,
Kingsley garde les pieds sur terre et n'oublie pas d'où il vient, mais aussi ce
qu'il a traversé pour en arriver là. Et il est très clair là-dessus : les risques
sont trop grands pour se lancer dans une telle aventure, et lui n'attribue que sa
réussite à la chance. Comme il tient à le rappeler, deux personnes ont perdu la
vie lors de ce périple, sans parler des conditions du voyage, des insultes des passeurs
marocains, du risque permanent de se faire prendre, du froid et de la peur qui vous
accompagnent à chaque instant.
L'histoire de Kingsley a ému. Il a eu l'opportunité de parler de lui et de son histoire,
dans le récent film Paris du réalisateur Cédric Klapish. Il y tourne son propre
rôle, celui d'un Camerounais qui décide coûte que coûte de rejoindre la France,
et qui y arrivera. Si certaines scènes ont été coupées au montage, le but est de
faire passer le message de Kingsley, de montrer comment la traversée peut être difficile.
S'il n'est pas acteur inné, il réussit tout de même à capter l'attention du spectateur
tout simplement parce qu'il parle de lui et de ce qu'il a vécu. Le réalisateur pour
sa part traduit de façon prenante comment un immigré peine à s'intégrer dans cetté
métropole qui va à 100 à l'heure qu'est Paris. Il parle du choc des cultures et
des histoires, sur un fond assez clair : lorsque vous croisez quelqu'un que vous
vous prenez à envier à cause de votre quotidien morose, vous ignorez tout ce qu'il
a pu traverser pour se retrouver debout là où il est, dans ces rues de Paris.
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"Parfois je me demande pourquoi je fais ce film. Je
me dis que j'aimerais montrer à mes frères qui sont restés en Afrique et qui veulent
traverser pour rejoindre l'Europe toutes les difficultés qu'on peut rencontrer sur
la route, et ce que l'on peut perdre, car nos vies sont plus chères que tout. " |
Ce tournage est sans doute pour lui une forme d'exorcisme, une façon d'oublier ces
choses traumatisantes qu'il a vécues, comme lorsqu'il a été frappé par un passeur
puis abandonné en plein désert, ou les jours interminables passés au Maroc à regarder
les côtes européennes de l'autre côté de la mer, en espérant un jour se retrouver
de ce côté. Dommage que plusieurs de ces scènes n'apparaissent pas dans le film.
Pour les besoins du tournage du film, Kingsley ira avec l'équipe au Cameroun pour
tourner les scènes de sa vie avant son départ, et en profitera pour vivre pleinement
son retour aux sources. Sources qu'il n'aura jamais oubliées, puisque ce sont elles
qui auront été la motivation lui ayant permis de ne jamais lacher et d'arriver en
Europe. Aîné d'une famille nombreuse, c'était à lui de prendre ses responsabilités.
Les retrouvailles seront chaleureuses, mais Kingsley aura tôt fait de réunir les
siens pour leur raconter ce à travers quoi il aura été. Avec l'argent du film et
ce qu'il a pu mettre de côté avec son boulot, son premier geste est de construire
une maison familiale aux siens.
"Je suis venu en Europe pour vivre une meilleure vie
que dans mon pays, parce que ce n'est pas facile chez nous. Les pauvres continuent
d'être pauvres, et les riches continuent d'être riches. " |
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