| elle Shabbaeur du lac
 
  
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				|  Posté le: Sat Sep 25, 2010 3:29 pm    Sujet du message: |   |  
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				| Introduction 
 Les habitudes de la vie imposées par la TRADITION se révèlent mal adaptées aux besoins de Mor Lam. Disons que Mor Lam s’adapte mal à ses obligations.
 
 Son désir de se trouver seul, dans sa demeure, pour savourer son OS, explique toute l’importance de l’événement et dénote un égoïsme bien humain.
 
 Mais son choix, sa décision : plutôt faire le mort que partager l’Os, est terrifiant.
 
 Prisonnier de lui- même, sans générosité… Il meurt. C’est dans l’ordre.
 
 Il faut jouer le Jeu de la Tradition, celui de la Société dans laquelle nous vivons. NOUS NE SOMMES PAS LIBRES.
 
 Et AWA ? L’épouse modèle ? Elle n’existe que dans l’OBEISSANCE à laquelle elle se soumet tout naturellement .
 
 Attachée à Mor Lam par les liens implicitement contenus dans le simple fait d’EPOUSE, elle accepte d’entrer dans le jeu, ou plutôt dans l’ANTI-JEU de son mari au risque de la perdre.
 
 Est-ce par respect de la LIBERTE de Mor Lam ?
 
 Est-ce de l’indifférence ? Allez savoir.
 
 Mais MOUSSA MBAYE est-il un véritable FRERE ? Lui qui, jouant le jeu, pousse son PLUS QU’AMI dans la tombe ?
 
 C’est au Spectateur à REFLECHIR.
 Tableau premier
 
 la cour de la demeure de MOR LAM.
 
 Un arbre.
 
 a droite de la scène : Une case-cuisine avec un foyer, des ustensiles de ménage, un petit lit (tara), des nattes roulées appuyées au fond de la case.
 
 a gauche de la scène : Une case avec un lit, une grande malle.
 
 Acte I
 
 Scène I
 
 AWA et OUMI
 
 Assises dans la cour sur de petits bancs. Des calebasses, un mortier, des pilons, un canari, un pot à eau, une bouilloire au coin à gauche.
 
 OUMI
 
 Mô Awa NDAYE, ton mari ne t’a rien dit hier soir en rentrant ?
 
 AWA
 
 Ne m’a pas dit quoi ?
 
 OUMI
 
 Il ne t’a pas parlé de tong-tong, de partage de viande ?
 
 AWA
 
 Je l’ai entendu parler de tong-tong, mais c’était dans un rêve, tard dans la nuit, entre deux ronflements.
 
 OUMI
 
 Awa, depuis combien de temps n’as-tu pas mangé de viande ?
 
 AWA
 
 Mangé de viande ? de la viande de quoi ?
 
 OUMI
 
 de la viande rouge.
 
 AWA
 
 Cela Oumi GUEYE je ne me rappelle plus. Depuis ma jeune et tendre enfance je n’ai jamais vu dans Lamène, d’où je ne suis jamais sortie, de la pointe d’une corne de bœuf, de mouton ou de chèvre, si ce n’est sous forme de gri-gri habillé d’étoffe rouge piquée de cauris.
 
 Le goût de la viande a dû se confondre, se mêler dans ma bouche avec le goût du lait de ma mère dont j’ai perdu, tu le penses, tout souvenir.
 
 OUMI
 
 Sa-Dagga le Mbandakatt se moquait bien devant nous des gens de Niangal qui se contentaient de poisson frais et de poisson sec car le poulet n’était pas à la mode chez eux.
 
 AWA
 
 Ma mère chantait aussi la chanson de Sa-Dagga en plumant quelque providentielle pintade.
 
 Elle prend une calebasse et rythme la chanson.
 
 Ba ma démé Niangal
 
 Gni déffi djène
 
 Gni déffi guèdje
 
 Bo ba ganar Xéva goul…
 
 OUMI
 
 Sa-Dagga devait, en bon mbandakatt, en dire autant sinon pire que nous Lamène-lamène devant d’autres spectateurs d’autres villages. Car nous n’étions pas mieux lotis que ceux de Niangal.
 
 AWA
 
 Nous ne sommes toujours pas mieux lotis que personne, tané vou gnou Kène katt !
 
 OUMI
 
 Mais Dieu est bon. Je crois bien que nous allons voir bientôt la fin de notre faim de viande rouge ;
 
 AWA
 
 Quand ? Kagne ? Nane ? Comment ?
 
 OUMI
 
 Bientôt ! Avec le tong-tong du taureau qu’on est allé chercher, nous aurons tous de la viande rouge, hommes et femmes. Et les vieux , les plus vieux du village comme les gens d’âge mûr la plupart d’entre eux maintenant sans dents hélas ! vont réapprendre à connaître le goût de la viande rouge.
 
 Les jeunes et les plus jeunes, qui n’auront peut-être en fin de compte que des os à ronger, sauront enfin ce qu’est sinon le goût du moins l’odeur de la grillade.
 
 AWA
 
 Et ils l’auront bien mérité, ces enfants ! car si nos hommes ont dessouché, défriché, brûlé et sarclé au temps des labeurs ; si nous femmes nous avons semé dès les premières pluies, si le Ciel a été clément, si la terre a été généreuse, si les criquets ont été absents par bonheur, les enfants eux ont (souvent en rechignant bien sûr) abandonné leurs jeux pour veiller aux épis contre les mange-mil, ces impudents ravageurs. Les plus adroits, dont tes fils, ont contraint à coups de gourdins Golo-le-singe et les siens à respecter nos arachides et nos niébés. Ils ont piégé Baye-Thile le père des chacals et ceux-ci ont jugé plus sage et plus salutaire d’aller chercher ailleurs des pastèques, peut-être aussi juteuses et succulentes mais et surtout de récolte plus facile et à moindres risques. Ils ont mérité une récompense, les enfants.
 
 OUMI
 
 Et nous aussi nous le méritons. Et nous allons l’avoir, salaw ! Nos greniers sont pleins, bourrés jusqu’au sommet des toits de chaume de la récolte. Une partie de nos graines, mil, maïs, niébé, va servir à se procurer de la viande rouge et d’autres choses aussi, sucre, thé… mais d’abord de la viande rouge.
 
 AWA
 
 Et d’où nous viendra-t-elle, cette viande rouge ?
 
 OUMI
 
 Les hommes ont décidé hier au Conseil des Anciens d’envoyer des jeunes et des ânes avec leurs charges de graines, là-bas dans le Nord, au Ferlo où paissent d’immenses troupeaux des Peulh qui ont tant de bœufs qu’ils ne peuvent même pas les compter, mais qui ne mangent presque jamais de la viande de leurs bêtes.
 
 AWA
 
 Il est vrai que l’abondance dégoûte. Et quand ramasser devient aisé, se baisser est difficile.
 
 OUMI
 
 Cependant le peulh ne vit pas que de lait…
 
 AWA
 
 Eh ! doucement, ndank ! N’oublie pas que ma grand-mère était une poulotte.
 
 OUMI
 
 Je ne l’oublie pas. C’est pour cela d’ailleurs qu’on t’appelait Awa-Xongué, Awa-la-rouge.
 
 Je ne dis pas du mal des peulh. Mais ces bergers esclaves de leurs animaux, qui ne restent jamais aux m^mes endroits, qui ne cultivent jamais le moindre lopin de terre, qui ne touchent de leur vie ni gop, ni daba, ni hilaire, ni hoyau, sont quelquefois bien heureux et fort aise d’avoir du mil , quel qu’il soit d’ailleurs petit ou gros, souna ou sanio. Pour de ce mil faire un couscous à leur façon, sans poudre de feuille de baobab, sans lalo, qu’ils mélangent avec toutes les sortes de leur lait : lait frais, lait endormi, lait caillé ou lait aigre.
 
 AWA
 
 Et alors ? …
 
 OUMI
 
 Alors…
 
 VOIX de MOR LAM, en coulisse
 
 Qui parle dans ma cour à cette heure-ci ?
 
 AWA
 
 C’est Oumi GUEYE rék, Lam !
 
 Scène II
 
 Les mêmes, MOR LAM
 
 MOR LAM, entrant, furieux
 
 Oumi Guèye, ton mari est rentré chez lui, lui aussi. Et je m’étonnerais fort s’il ne s’étonne pas de ne pas trouver sa femme dans sa maison.
 
 OUMI, s’agenouillant pour saluer
 
 Lam.
 
 MOR LAM, bourru
 
 Djam rék Guèye. Mais rentre chez toi.
 
 OUMI, se relève et prend congé
 
 Awa, passe la journée en paix.
 
 AWA
 
 Djam ak djam Guèye.
 
 (Exit OUMI GUEYE)
 
 Scène III
 
 AWA, MOR LAM
 
 MOR LAM, toujours bourru
 
 Djam ak djam ? Peut-on seulement avoir la paix chez soi avec tous ces hommes et toutes ces femmes qui fourrent partout leurs longs pieds ?
 
 Je ne comprends pas ces femmes qui vont de maison en maison la journée durant avec leurs longues langues.
 
 AWA
 
 Mais Oumi GUEYE ne disait du mal de personne, Lam. Elle a parlé seulement de tong-tong.
 
 MOR LAM
 
 de quoi ? Ngané lane, que dis-tu ?
 
 AWA
 
 Elle a parlé de tong-tong.
 
 MOR LAM
 
 de quoi se mêle-t-elle, celle-là ? Je suis maître ici, chez moi. C’est à moi seul d’en parler, de parler de ce tong-tong, de t’en parler quand je le juge opportun, utile…
 
 Je n’allais pas t’en dire quoi que ce soit avant de savoir si je pouvais obtenir, si j’avais obtenu ce que je voulais.
 
 AWA
 
 Et que voulais-tu obtenir, Lam ?
 
 MOR LAM
 
 Choisir moi-même la partie, le morceau qu’il me faut de ce taureau que sont partis à l’aube chercher nos jeunes gens avec leurs ânes ployant sous leurs charges de graines… J’ai pu choisir, j’ai eu l’os !
 
 AWA
 
 L’OS ? Un os ?
 
 MOR LAM
 
 Oui ! l’os ! d’un jarret bien fourni en chair et bourré d’une moelle onctueuse. Tu le feras cuire, doucement, lentement, longuement, jusqu’à ce qu’il s’amollisse et fonde dans la bouche comme du beurre. Et ce jour-là que personne n’approche de ma demeure.
 
 Rideau
 Deuxième tableau
 
 la place des palabres de Lamène. Les Notables autour de Mame Magatte Lam.
 
 Acte II
 
 Scène I
 
 MAME MAGATTE LAM
 
 Remercions encore nos vaillants jeunes gens qui ne sont pas laissés tromper, pas berner par ces peulhs du Nord qui tètent la fourberie avec le lait de leurs mères. Ils noous ont amené ce taureau en parfait état d’embonpoint. Cette bête était magnifique.
 
 MBAR DIAGNE
 
 Tu ne l’as pas vue, Mame Magatte, arrivant hier soir à l’entrée du village avec ses cornes immenses…
 
 MA-SEYE SEYE
 
 Son poil fauve qui brillait au soleil couchant, son cou massif comme une souche de baobab, son fanon qui balayait la terre.
 
 NDIOGOU DIENE
 
 Et quelle force, quelle vigueur !
 
 MAR SECK
 
 Demandez à Mor Lam. Il a évité de justesse le coup de pied qui a failli lui emporter le crâne quand il a tâté le jarret du taureau. Heureusement pour lui que nos jeunes gens tenaient bien tendues les cordes malgré leur grande fatigue.
 
 MA-SEYE SEYE
 
 Celui-là, son ventre le conduirait au tombeau s’il l’avait sur le dos.
 
 MAR SECK
 
 Il faut aussi remercier Mbarrik-tifflé le boucher et ses aides pourognes. Ils ont dépouillé proprement l’animal. la peau n’a pas une seule couture, pas un seul trou.
 
 MBAR DIAGNE
 
 Ils ont surveillé tout le temps les enfants qui raclaient les rares lambeaux de chair restant encore sur la dépouille.
 
 MAME MAGATTE
 
 Il ne faut pas oublier non plus Serigne Dam. Il a fait équitablement le partage. J’ai rarement vu un tong-tong aussi juste. Chaque famille a eu les morceaux de viande, les bouts d’os et de tripes qu’elle voulait, je crois bien. N’est-ce pas Ndiogou ?
 
 NDIOGOU DIENE
 
 En effet…Tout le monde est content et satisfait. Même Mor Lam ce grincheux.
 
 MBAR DIAGNE
 
 Même les enfants qui sont déjà en train d’engloutir les abats et les raclures grillés.
 
 MAME MAGATTE
 
 Et la peau, où est-elle ? Qu’en a-t-on fait Ma Sèye. ?
 
 MA-SEYE SEYE
 
 Je l’ai fait donner à Woudé SOW le cordonnier. Il l’a déjà foulée. Il va la tanner pour en faire un tapis de prières pour Serigne Dam.
 
 TOUS, marquant la satisfaction générale
 
 - Waw, waw… Waw-Waw !
 
 - Iskèye !
 
 - Al Hamdou li lahi !
 
 - Dieu est bon ! Yalla bax na !…
 
 Scène II
 
 LES MEMES, MOUSSA MBAYE
 
 MOUSSA MBAYE, entrant
 
 Assalamou aleykoum mbok yi.
 
 Reniflant et en aparté
 
 Quelle odeur de viande dans ce village ! Deukeu-bi gheuneu xègne yappe !
 
 LES NOTABLES
 
 Malikoum salam Mbaye ! Maraxba Mbaye !
 
 MOUSSA MBAYE, serrant les mains
 
 Lam, Diègne, Sèye, Diagne, Seck ! Djam nguénam !
 
 C’est Mor Lam que je cherchais. Mon ami, sa mbokmbar Mor, je croyais le trouver parmi vous.
 
 MBAR DIAGNE
 
 Mor Lam ? Il n’est pas venu à la prière de Yor-yor dé !
 
 MAME MAGATTE
 
 Pour lui ce n’est sans doute qu’une prière surérogatoire !
 
 NDIOGOU DIENE
 
 Personne ne l’a revu, kène guissa tou ko, depuis la prière de Fadjar.
 
 MA SEYE SEYE
 
 En quittant la mosquée il s’est dirigé vers la demeure de Mbarrik-Tifflé le boucher.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Je vais donc arriver jusque chez lui.
 
 MBAR DIAGNE, ahuri
 
 Chez lui ? Hum ! Je crois que ce jour est bien mal choisi pour faire une visite à Mor Lam.
 
 MOUSSA MBAYE, étonné
 
 Han ? Lou khève ? Qu’y a-t-il ?
 
 MA SEYE SEYE
 
 Mor Lam n’est pas rentré chez lui tout seul, j’en suis certain.
 
 S’il n’est pas repassé par ici ni par la Mosquée c’est parce qu’il devait être chargé. Il a dû repartir de chez Mbarrik avec sa part de tong-tong sous le bras dès avant la fin de la distribution.
 
 Je suis sûr qu’il préférerait demeurer tout seul aujourd’hui dans sa maison jusqu’à demain et peut-être même jusqu’après demain.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Mais je suis son ami !
 
 NDIOGOU DIENE
 
 Mor amoul xaritt katt, Mor n’a pas d’ami sa vay, mon ami.
 
 MABAR DIAGNE
 
 Il est comme la peau du singe, déroube golo la, qui n’est ni pour le cordonnier ni pour le marabout. Heuwoul, djouliwoul !
 
 MAR SECK
 
 Je suis certain que s’il pouvait chasser même les mouches de sa demeure aujourd’hui, il le ferait ;
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Mais je suis son mbok-mbar
 
 MAME MAGATTE
 
 Raison de plus.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Ngané, nga né lane ? Que dis-tu Mame Magatte ?
 
 MAME MAGATTE
 
 Ma né, je dis : raison de plus ! Approche, lagg sil ! Je connais mon homme et je connais mon monde. Tout le monde sait ce que signifie la fraternité-de-case. Plus forte que les liens fraternels, plus tyrannique que l’affection filiale et que l’amour paternel, elle soumet l’homme digne de ce nom à des règles, à des obligations, à des lois qu’il ne saurait transgresser sans déchoir aux yeux de tous.
 
 Avoir mêlé à l’âge de douze ans, par une aube fraîche, sur un vieux mortier couché sur le sol, le sang de son sexe au sang du sexe d’un autre garçon ; avoir chanté avec lui les mêmes kassaks, les mêmes chants initiatiques, avoir reçu en même temps que lui les mêmes coups de lingués des mêmes selbés qui se vengent sur d’autres jeunes des coups qu’ils reçurent naguère ; avoir mangé avec lui dans les mêmes calebasses jamais lavées, les mêmes mets parfois délicieux mais le plus souvent immangeables, infects par des surveillants sans pitié ; avoir été fait homme dans la même case, le même mbar qu’un autre garçon, cela fait de chacun de nous, toute notre vie durant, l’esclave de ses désirs, le serviteur de ses besoins, le captif de ses soucis comme de ses caprices, envers et contre tous, père et mère, oncles et frères.
 
 LES AUTRES
 
 C’est vrai ! Deug leu ! C’est vrai.
 
 MAME MAGATTE
 
 C’est vrai. Mais je crois que c’est là un fardeau trop lourd aujourd’hui pour les épaules, la tête et le dos de Mor Lam. Attane nou ko tèye.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Mais les coutumes ? … la tradition ? … L’honneur ? … L’hospitalité ? … Le souci du qu’en dira-t-on ? Le Sikk, ce petit mot si terrifiant ? … Que fait-il de tout cela ?
 
 MBAR DIAGNE
 
 Pour le Mor Lam que je connais ? Notre Mor Lam ? Je crois que ce sont là des maîtres qui n’ont pas beaucoup de pouvoir sur lui …
 
 NDIOGOU DIENE
 
 Je crois que ce sont là plutôt de pauvres esclaves qui ne suivent que très rarement et de loin notre homme.
 
 MAR SECK
 
 Disons des compagnons qui ne logent pas souvent dans sa demeure.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 J’entends pourtant user aujourd’hui de mes droits de mbok-mbar.
 
 LES NOTABLES, sceptiques
 
 C’est bien !
 
 C’est bon !
 
 Inch Allah, Sobe Yalla.
 
 Bonne chance !
 
 MOUSSA MBAYE, se levant et prenant congé
 
 Passez la journée en paix… Lam, Diagne, Diègne, Seck, Sèye !
 
 MAR SECK
 
 Passe-la en paix toi aussi chez ton ami.
 
 LES AUTRES
 
 Djam ak djam Mbaye.
 
 Rideau
 Troisième tableau
 
 Acte III
 
 Même décor : la demeure de Mor Lam.
 
 Dans la case de droite : Mor Lam étendu sur le Tara.
 
 Awa assise sur un petit tabouret près du foyer allumé et portant une grande marmite.
 
 Des ustensiles de cuisine, calebasses, etc.
 
 Des nattes enroulées appuyées au fond de la case.
 
 Scène I
 
 MOR LAM et AWA
 
 MOR LAM , se redressant
 
 Awa ! …
 
 AWA, se retournant
 
 Nam, Lam !
 
 MOR LAM
 
 Je t’ai déjà dit de cuire cet os doucement … lentement … Longuement !
 
 AWA
 
 Waw Lam ! , elle se penche sur la marmite.
 
 MOR LAM
 
 As-tu mis dans la marmite tout ce qu’un jarret réclame pour, une fois bien cuit, cuit à point, fondre délicieusement dans la bouche comme du beurre ?
 
 AWA
 
 Oui Lam.
 
 MOR LAM
 
 Pour qu’il puisse donner, qu’il donne un bouillon bien gras et bien moelleux qui mouillera onctueusement ton couscous ?
 
 AWA
 
 Oui Lam.
 
 MOR LAM
 
 Surtout ne l’écume pas ! Ne l’écume jamais ! Mouk !
 
 AWA
 
 Oui Lam.
 
 MOR LAM
 
 As-tu bien vanné le grain ?
 
 AWA
 
 Oui Lam
 
 MOR LAM
 
 L’as-tu pilé comme il le faut ?
 
 AWA
 
 Waw Lam .
 
 MOR LAM
 
 As-tu granulé la farine très, très, très fin, sans le moindre grain de sable ?
 
 AWA
 
 Oui Lam.
 
 MOR LAM
 
 L’as-tu bien malaxé avec la quantité juste nécessaire et suffisante de bon lalo, de bonne poudre de feuilles de baobab bien fine et bien verte qui l’aide bien gluante à descendre de la bouche au ventre ?
 
 AWA
 
 Waw Lam ;
 
 Mor Lam se recouche sur le tara. Awa s’affaire dans la cuisine déplace les nattes, remue les ustensiles.
 
 UN TEMPS
 
 MOR LAM , se redresse et appelle
 
 Awa Ndiaye !
 
 AWA, du fond de la case
 
 Nam Lam !
 
 MOR LAM
 
 Où est l’os, Awa ?
 
 AWA
 
 Va au foyer, soulève le couvercle de la marmite :
 
 L’os est là.
 
 MOR LAM
 
 S’amollit-il ?
 
 AWA
 
 Prend une écumoire, la plonge dans la marmite, pique le jarret.
 
 Il s’amollit.
 
 MOR LAM
 
 Remets le couvercle.
 
 AWA
 
 Waw Lam.
 
 MOR LAM
 
 Attise le feu.
 
 AWA
 
 Waw Lam.
 
 Mor Lam se recouche. Awa retourne au fond de la case.
 
 Un temps…
 
 Bruit dans la coulisse et heurts à la port de la clôture.
 
 Et son de voix.
 
 VOIX de MOUSSA MBAYE
 
 Mor c’est moi ! C’est moi Moussa ! Moussa Mbaye ! C’est moi . Ma na vaye ! Ton ami, ton frère, ton plus-que-frère, ton mbok-mbar Moussa ! …
 
 MOR LAM, se levant brusquement
 
 Awa !
 
 Où est l’os ?
 
 AWA
 
 AWA, retourne auprès du feu, soulève le couvercle de la marmite.
 
 L’os est ici.
 
 MOR LAM
 
 S’amollit-il ?
 
 AWA,
 
 Plonge l’écumoire dans la marmite, pique le jarret.
 
 Il s’amollit.
 
 VOIX de MOUSSA
 
 Ouvre-moi vaye ! Oubi ma vaye Mor ! C’est moi Moussa, Moussa Mbaye !
 
 MOR LAM
 
 Remets-moi ce couvercle à sa place.
 
 AWA
 
 Waw Lam.
 
 MOR LAM, prend une natte et sort de la case. Il s’éloigne, puis revient devant la porte de la case.
 
 Viens et ferme-moi cette porte.
 
 AWA
 
 Waw Lam.
 
 MOR LAM , impatient
 
 Gave toul yow, fais vite !
 
 AWA
 
 Waw Lam.
 
 MOR LAM va étendre la natte au pied de l’arbre en grognant.
 
 Soubokhoune ! Khoudossoune ! Au diable !
 
 Heurts plus forts à la porte qu’il va entrouvrir et que pousse Moussa Mbaye.
 
 Scène II
 
 AWA NDIAYE, MOR LAM, MOUSSA MBAYE
 
 MOUSSA MBAYE, entrant exubérant, familier
 
 Assalamou aleykoum ! Vaye vaye Mor a nghi vaye ! … mon plus-que-frère ! Awa Ndiaye, notre épouse, as-tu la paix ?
 
 AWA
 
 la paix seulement Mbaye.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Ndiaye Diatta notre épouse si bonne, na gha deff ?
 
 AWA
 
 Ma nghi fi rék Mbaye, en paix seulement.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Ndiaye !
 
 AWA
 
 Mbaye, ana va keur gha ?
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Gna ngha fa Ndiaye, tout le monde est là-bas.
 
 AWA
 
 Mbaye !
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Ndiaye !
 
 Il se tourne vers Mor Lam, lui met la main sur l’épaule.
 
 Alors Mor, mon frère, comment vas-tu ?
 
 MOR LAM , furieux
 
 Bien ! Bi-en ! …
 
 MOUSSA MBAYE , plus qu’aimable
 
 Et comment va la maison, mon frère ? …
 
 MOR LAM , plus que furieux
 
 Très, très, trrès, trrrèès bien ! …
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Et comment va le village ?
 
 MOR LAM
 
 Je n’en sais rien.
 
 Moussa Mbaye va s’asseoir sur la natte.
 
 MOR LAM , le regarde toujours furieux, puis appelle Awa.
 
 AWA
 
 Nam Lam.
 
 MOR LAM
 
 Va ma chercher une autre natte.
 
 AWA
 
 Waw Lam.
 
 Elle va vers la case de droite. Mor Lam la rejoint, se penche.
 
 MOR LAM
 
 Où est l’os ?
 
 AWA
 
 L’os est là-bas.
 
 MOR LAM
 
 S’est-il amolli ?
 
 Awa rentre dans la case, ressort avec une natte, va vers Mor Lam debout à quelques pas.
 
 Il s’est amolli.
 
 Elle va étaler la natte près de Moussa Mbaye qui est étendu sur l’autre natte, coude droit au sol et la tête dans la paume de la main et qui regarde Mor Lam qui va et vient sans arrêt.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Et qui y’a t-il de nouveau dans le pays, Mor ?
 
 MOR LAM, soulignant en gestes larges
 
 Rien…dara… Touss ! …
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Eh bien ! Ce n’est pas comme chez nous, mon frère ! Bounama est mort !
 
 Parfaite indifférence de Mor Lam à la nouvelle.
 
 Mais si ! Vaye ! Rappelle-toi, Bou-na-ma, Bounama Diop, le domou haram, le !censuré! qui faisait rougir au feu ses lingués avant de nous frapper et de nous les frotter sur l’échine. Souviens-toi… Il ne posait que des devinettes, des passines indéchiffrables que nous ne pouvions jamais dénouer.
 
 MOR LAM
 
 Hon ! hon !
 
 MOUSSA MBAYE
 
 C’est lui qui crachait toujours dans les calebasses qui contenaient les plats les plus appétissants. Rappelle-toi vaye ! Il nous forçait toujours à ramasser des branches d’épineux pour faire les fagots de bois mort du soir pour les kassaks.
 
 MOR LAM
 
 C’est possible… Hau !…
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Mais si vaye ! Souviens-toi bien. C’est lui qui t’avait forcé à grimper sur l’acacia pour cueilli un essaim et qui ne nous avait laissé que la cire fondue et les cadavres d’abeilles quand tout était cuit et le miel récolté.
 
 MOR LAM
 
 C’est possible…
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Et Médoune ? Te souviens-tu de Médoune ? Médoune Ngom ?
 
 MOR LAM
 
 N-on !…
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Mais si vaye yovitt ! Médoune le grand talibé, chez Serigne Fall, notre maître à l’école coranique. Celui qui nous prenait toujours le meilleur de ce que nous rapportions comme aumône, riz au poisson, couscous ou bouillie de mil au tamarin.
 
 MOR LAM
 
 Heumm !
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Mais si ! Fatali Koul toi aussi ! Il fallait toujours qu’on lui donne cent cacahuètes bien comptées avant d’avoir le droit d’en croquer une seule quand nous allions glaner. Sans quoi quels coups de poing nous recevions les uns et les autres. Tu ne te souviens plus de lui ? Mor ?
 
 MOR LAM
 
 Peut-être…
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Tiens ! tu ne te souviens au moins du soir où Sa-dagga le Mbandakatt t’a demandé tes lingués, tes baguettes, toi le toko le benjamin de la case des hommes et nous a tenus toute la nuit avec ses kassaks dansés. Quel événement ! Ce soir-là on n’a pas chassé les femmes et les jeunes filles qui venaient écouter derrière la case. Cela ne s’était jamais vu de mémoire de botal. Aucun maître des circoncis n’avait jamais toléré ça. Tu t’en souviens au moins ?
 
 MOR LAM
 
 Non !
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Tu ne te souviens pas non plus du jour où nous avons suivi notre maître Serigne Fall au village de Ndianghène ?
 
 MOR LAM
 
 N-on !
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Mais si ! Vaye yovitt ! Rappelle-toi vaye ! Il faisait aussi chaud qu’aujourd’hui, tiens ! Et comme aujourd’hui nous n’avions encore rien mangé à cette heure-ci.
 
 MOR LAM
 
 Cela a pu être.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Mais si ! Rappelle-toi. Nous trottions derrière le cheval de Serigne Fall. Et tu avais beau t’accrocher à la queue du cheval, il avait fallu que je te soutienne en arrivant à Ndianghène.
 
 MOR LAM
 
 C’est possible.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Et oui ! Nous avons beau dire et beau faire, nous avons beau penser à ce qui faisait notre malheur et nos chagrins en ces temps-là. Nous en gardons un bon, un excellent souvenir quand même.
 
 Cela nous a servi à devenir ce que nous sommes aujourd’hui. Des hommes courageux, bons, serviables, généreux, charitables, jamais oublieux . Non ! Jamais oublieux de nos devoirs réciproques de nos obligations mutuelles. Jamais ! Jamais ! Jamais oublieux.
 
 N’est-ce pas, Mor ?
 
 MOR LAM
 
 Hou khou …
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Entre frères-de-case tout ce qui peine l’un, fait du mal à l’autre.
 
 N’est-ce pas Mor ?
 
 MOR LAM
 
 Sans doute.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Et qui s’attaque à l’un fait du tort à l’autre . N’est-ce pas Mor ?
 
 MOR LAM
 
 Certainement.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Entre mbok-mbar tout ce qui est à l’un appartient à l’autre . N’est-ce pas Mor ?
 
 MOR LAM
 
 Peut-être…
 
 Silence, un temps.
 
 MOR LAM ,
 
 Se lève, s’approche de Awa assise devant la porte fermée de la cuisine. Et demande doucement :
 
 Où est l’os ?
 
 AWA,
 
 Se lève, rentre dans la case. Ressort un instant après et dit à voix basse :
 
 L’os est là.
 
 MOR LAM, de même
 
 S’est-il amolli ?
 
 AWA, de même
 
 Il s’est amolli.
 
 Mor Lam, retourne s’asseoir sur la natte. Awa sur son tabouret.
 
 Un temps, silence, puis appel du muezzin pour la prière de Tisbar.
 
 Rideau
 
 Scène III
 
 MOR LAM et MOUSSA MBAYE , assis sur les nattes.
 
 de dos AWA, derrière eux. Ils achèvent la prière.
 
 Assalamou Aleykoum !
 
 MOUSSA MBAYE, égrène son chapelet
 
 MOR LAM, se lève, se retourne et rejoint AWA
 
 Où est l’os ?
 
 AWA,
 
 Se lève, rentre dans la case, en ressort un instant après.
 
 L’os est là-bas.
 
 MOR LAM
 
 S’est-il amolli ?
 
 AWA
 
 Il s’est amolli.
 
 MOR LAM
 
 S’est-il bien amolli ? (dans sa barbe) Ce Moussa, domou haram dji, ce fils de malheur, ce chien ne va pas s’en aller. Awa je vais tomber malade.
 
 AWA
 
 Quoi ? Ngha né lane ? que dis-tu ?
 
 MOR LAM
 
 Je… Vais… tomber malade. Je te dis que je suis … malade.
 
 Il tremble de tout le corps et tombe raide.
 
 AWA, criant
 
 Voye yaye ôô ! Voye mane ! Li lane la ? Qu’est ceci ? Moussa ! Moussa MBAYE, ton frère est malade.
 
 MOUSSA MBAYE , tournant la tête
 
 Quoi ? Mor malade, kagne ? Et depuis quand ?
 
 AWA
 
 Tout de suite, fi sassi, à l’instant. Regarde-le. Il tremble et transpire comme une gargoulette d’eau pendue à l’ombre. Regarde-le ! Il grelotte et frissonne comme le lait qui va bouillir !
 
 MOUSSA MBAYE , se lève et s’approche
 
 Ce n’est rien. Ce doit être un petit accèsdesibirouseulementbien que nous ne soyons pas encore à l’époque des crisesde paludisme.
 
 AWA
 
 Aide-moi, Moussa. Il ne faut pas laisser ton frère ici en plein soleil, transportons-le dans la case.
 
 Ils le soulèvent par les aisselles et se dirigent vers la case de droite.
 
 MOR LAM , soufflant et geignant
 
 Pas par-là, pas de ce côté, pas dans cette case. Dans l’autre. Il y fait plus frais.
 
 Awa et Moussa, transportent Mor Lam dans la case de gauche, ils le couchent sur le lit.
 
 AWA,
 
 Couvre son mari avec des pagnes pris dans la malle. Elle pleure et se lamente.
 
 Vouye ya ye ye ! Voye mane ! Voye sa ma ndèye. Mor li lane la…
 
 Acte IV
 
 Même décor, la nuit.
 
 MOR LAM , couché sur le lit, dans les pagnes jusqu’au cou.
 
 AWA a son chevet.
 
 MOUSSA MBAYE , à ses pieds.
 
 Scène I
 
 MOUSSA MBAYE , se lève, s’étire longuement et sort de la case. Il fait quelques pas dans la cour en égrenant son chapelet.
 
 MOR LAM , soulève la tête
 
 Awa Ndiaye !
 
 AWA
 
 Nam Lam !
 
 MOR LAM
 
 Où est l’os ?
 
 AWA
 
 L’os est là-bas.
 
 MOR LAM
 
 S’est-il amolli ?
 
 AWA
 
 Il s’est amolli.
 
 MOR LAM
 
 S’est-il bien amolli ? Il s’est bien amolli ?
 
 AWA
 
 Il s’est bien, bien amolli.
 
 MOR LAM
 
 As-tu éteint les braises ?
 
 AWA
 
 Les braises sont éteintes.
 
 MOR LAM
 
 Où est Moussa ?
 
 AWA, sort, puis revient
 
 Moussa est dans la cour, près de la porte.
 
 MOR LAM
 
 Domou haram dji, cet enfant de malheur, ce chien ne s’en va pas, dou dème, ne veut pas s’en aller. Awa, je vais mourir.
 
 AWA
 
 Ngané lane ? Que dis-tu ?
 
 MOR LAM
 
 Je vais… mourir ! Il sera bien forcé de s’en aller. (Il retombe sur le lit) Je suis mort !
 
 AWA, hurlant
 
 Moussa, Moussa Mbaye ! Manèye ! moussa, ton frère ! Vouye sa ma ndèye ! Vouye mane èye ! Moussa, Moussa ton frère ! Ton frère Mor est mort !…
 
 MOUSSA, arrive sans se presser devant la case
 
 Lou khève ?
 
 AWA
 
 Regarde-le. Il est mort. Il est déjà raide.
 
 MOUSSA MBAYE , incrédule
 
 Dé khatt, fissassi ? Là, tout de suite , Mort ? Ce n’est pas possible vaye !
 
 AWA
 
 Je te dis qu’il est mort, décédé !
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Bismalaï djam ! Khalo ! Nous ne sommes pas grand-chose sur cette terre ! Doune ya khouroroune ! Vaye, vaye sa mbok-mbar mi vaye ! Mor Lam mort si vite, dé xaat ? Que dieu ait pitié de toi. Et qu’il ne se presse pas pour nous.
 
 AWA, en pleurs
 
 Moussa, va chercher Serigne dam, Mame Magatte et les gens du village.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Jamais de la vie ! Jamais ! Jamais je n’abandonnerais mon plus-que-frère à cette heure-ci même et surtout mort. Ni toi non plus toute seule près de son cadavre.
 
 la terre n’est pas encore froide. Le premier coq n’a pas encore chanté.
 
 Je ne vais pas ameuter tout ce village où je ne suis qu’un étranger, en pleine nuit, au risque d’attirer les djinnés, de faire venir les deums, les sorciers dans ta maison.
 
 Nous allons veiller ce cadavre tous les deux seuls, comme nous le devons. Nous qui sommes, je veux dire : nous qui fûmes les êtres qui lui furent les plus chers.
 
 Le jour se lèvera, Inch Allah ! Les femmes passeront par ici je crois pour aller au puits. Sois certaine qu’elles se chargeront d’annoncer bien vite cette triste nouvelle à tout le pays.
 
 En attendant, prions pour lui, pour que Dieu lui donne sa part de paradis.
 
 Prions pour mon frère.
 
 Il s’assied par terre devant la case et commence à égrener son chapelet.
 
 Rideau
 
 Un temps. Appel du muezzin à la prière de Fadjar.
 
 Bruits et rumeurs dans le village qui s’éveille.
 
 Chants des coqs.
 
 Braiments des ânes.
 
 Puis voix de femmes.
 
 Scène II
 
 VOIX DES FEMMES, en coulisse
 
 Awa.
 
 Awa Ndiaye.
 
 Tu viens au puits ?
 
 AWA, sort de la case en hurlant
 
 Vouye mane èye, vouye mane ! Mor mon mari est mort !
 
 OUMI GUEYE et des FEMMES,
 
 Entrent dans la cour, calebasses et canaris sur la tête ou sous les bras.
 
 OUMI
 
 Ngané lane ! Que dis-tu ? Vaxal djam !
 
 AWA
 
 Mor est mort, décédé !
 
 LES FEMMES
 
 Quand ?…Kagne ?…
 
 AWA
 
 Cette nuit ! Vouye mane ! Vouye mane èye !…
 
 OUMI GUEYE
 
 Mô yène ! Et de quoi est-il mort ?
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Hèye ! Criez moins fort ; Parlez plus doucement. Et de quoi meurt-on ? C’est Dieu qui tue son esclave. Yalla moye rèye djame mam. C’est Dieu qui l’a rappelé à LUI. C’est tout. Il en fera de même de nous tous. Chacun son heure. Celle de mon frère est arrivée. Allez chercher Serigne Dam et vos hommes.
 
 Les femmes sortent.
 
 Scène III
 
 AWA et MOUSSA MBAYE , dans la cour.
 
 Le cadavre de MOR LAM , dans la case.
 
 AWA,
 
 Rentre dans la case. Elle se penche sur le lit.
 
 Mor Lam, djogueul, lève-toi. la chose devient sérieuse et va nous déborder des mains. Tout le village va venir dans la maison.
 
 MOR LAM
 
 Où est l’os ?
 
 AWA
 
 L’os est là-bas.
 
 MOR LAM
 
 S’est-il amolli ?
 
 AWA
 
 Il s’est amolli ?
 
 MOR LAM
 
 S’est-il bien amolli ?
 
 AWA
 
 Il s’est bien amolli.
 
 MOR LAM
 
 Et Moussa, où est-il ?
 
 AWA
 
 Moussa est toujours là.
 
 MOR LAM
 
 Laisse venir le village.
 
 Scène IV
 
 SERIGNE DAM et les NOTABLES ? entrent dans la cour.
 
 SERIGNE DAM
 
 Assalamou aleykoum !
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Malikoum Salam.
 
 SERIGNE DAM
 
 Que venons-nous d’apprendre ? Que Mor Lam est mort ?
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Djabar djè ko vax dé. C’est sa femme qui dit qu’il est mort, qu’il est mort avant le premier chant du coq. Je n’ai pas assisté à son agonie.
 
 J’étais dans la cour en train d’égrener mon chapelet, là où nous nous tenons.
 
 SERIGNE DAM
 
 Khalo nari lahi !
 
 AWA, sortant de la case
 
 Serigne dam Hi-hi ! Vouye mane ! Mon mari est mort vouye ! Que vais-je devenir ?
 
 LES NOTABLES
 
 Cela s’est bien vite passé.
 
 Ndéyssane !
 
 Vaye vaye, Mor vaye !
 
 Bismilahi djam.
 
 SERIGNE DAM
 
 Khalo ! Que Dieu ait pitié de lui. Nous allons lui faire sa toilette.
 
 Il se dirige vers la case.
 
 AWA, lui barrant le chemin
 
 Oui, Serigne dam, oui ! Mais attendez Serigne que je range, que je mette de l’ordre dans la case.
 
 Elle rentre dans la case, se penche sur le lit.
 
 Mor Lam lève-toi, djogal. L’affaire devient trop grave, Serigne Dam est là avec les hommes. Ils vont venir te laver.
 
 MOR LAM
 
 Où est l’os ?
 
 AWA
 
 L’os est là-bas.
 
 MOR LAM MOR LAM
 
 S’est-il amolli ?
 
 AWA
 
 Il s’est amolli .
 
 MOR LAM
 
 Fongg na bou bax ?
 
 AWA
 
 Il s’est bien amolli.
 
 MOR LAM
 
 Où est moussa Mbaye ?
 
 AWA
 
 Moussa Mbaye est encore là.
 
 MOR LAM
 
 Qu’ils viennent me laver.
 
 AWA, sort de la case en larmes
 
 Serigne Dam, bismila, entrez.
 
 SERIGNE DAM et DEUX HOMMES entrent dans la case.
 
 AWA, ferme la porte
 
 Conversations à voix basse des Notables avec moussa Mbaye.
 
 Scène V
 
 OUMI GUEYE et des FEMMES, entrent dans la cour.
 
 LES MEMES.
 
 OUMI GUEYE
 
 Hier encore il était droit comme un piquet… Un piquet d’épineux.
 
 PREMIERE FEMME
 
 Il est bien vite parti.
 
 DEUXIEME FEMME
 
 Quel homme généreux c’était !
 
 OUMI GUEYE, toisant la femme
 
 Tu le connaissais bien, toi ? parler de sa générosité. Il est vrai que tous les morts emportent avec eux tous leurs défauts et leurs vices et ne nous laissent que leurs vertus et leurs qualités.
 
 Elles entourent Awa Ndiaye.
 
 PREMIERE FEMME
 
 Le Bon Dieu ne fait que ce qui lui plait, Karim là.
 
 OUMI GUEYE, LES FEMMES
 
 Nos condoléances, Awa, sighil ndighalé Ndiaye, Massa Ndiaye, courage Awa !
 
 SERIGNE DAM, sortant de la case, suivi des Hommes
 
 Donne-nous le linceul.
 
 AWA
 
 Oui, Serigne. Il y a une pièce de percale dans la grande malle de mon pauvre mari. Il l’avait achetée à un dioula il y a longtemps. Il attendait toujours pour s’en faire un boubou. Je vous l’apporte.
 
 SERIGNE DAM
 
 Dieu seul sait ce qu’il veut. Mais il n’en faut que sept coudées.
 
 AWA
 
 Oui Serigne DAM.
 
 Elle rentre dans la case. Se penche sur le lit.
 
 Mor Lam, lève-toi, tu exagères, djogal ! Ils vont venir t’ensevelir katt ! Ya nghi heupeul sollo bi !
 
 MOR LAM
 
 Où est l’os ?
 
 AWA
 
 L’os est là-bas.
 
 MOR LAM
 
 S’est-il amolli ?
 
 AWA
 
 Fongg na.
 
 MOR LAM
 
 Fongg na bou bax ?
 
 AWA
 
 Il s’est bien amolli.
 
 MOR LAM
 
 Et où est Moussa Mbaye ?
 
 AWA
 
 Moussa MBAYE est toujours là.
 
 MOR LAM
 
 Laisse qu’il m’ensevelissent.
 
 AWA, sort de la case
 
 Serigne Dam, bismila, entrez.
 
 Serigne et les Hommes entrent dans la case.
 
 Un temps.
 
 Ils ressortent.
 
 SERIGNE DAM, aux hommes
 
 Allez chercher la planche et le cercueil.
 
 AWA, courant vers Serigne Dam
 
 Serigne Dam, Serigne, attendez, xar lène, nèk lène touti, attendez un peu.
 
 Serigne, mon mari m’avait recommandé de réciter sur son cadavre si par malheur il mourrait avant moi, une sourate qu’il m’avait apprise, pour que Dieu ait encore davantage pitié de lui.
 
 SERIGNE DAM
 
 Va mon enfant, va prier pour lui. Va prier pour lui. Les morts ont toujours besoin de nos prière. Nul ne sait ce qui les attend. Ni ce qui nous attend.
 
 AWA,
 
 Rentre dans la case, se penche sur Mor Lam.
 
 Mor Lam lève-toi, leuf li heuppeu neu, c’est trop ! tu dépasses les bornes ! Ils vont venir te mettre sur la planche. Ils vont te couvrir avec le cercueil et mon pagne de tjavali que je vais leur donner.
 
 Elle fouille dans la malle.
 
 Ils vont t’emporter. Ils vont prier sur toi… Ils vont t’emporter au cimetière… Ils vont t’enterrer !…
 
 MOR LAM , à travers son linceul
 
 Où est l’os ?
 
 AWA, sanglotant
 
 L’os est là-bas.
 
 MOR LAM
 
 S’est-il amolli ?
 
 AWA
 
 Il s’est amolli.
 
 MOR LAM
 
 S’est-il bien amolli ?
 
 AWA
 
 Il s’est bien amolli. Fongg na bou bax.
 
 MOR LAM
 
 Et où est Moussa Mbaye ?
 
 AWA
 
 Moussa Mbaye est encore là.
 
 MOR LAM
 
 Laisse qu’on me mette sur la planche. Laisse qu’on me couvre du cercueil et de ton pagne de tjavali. Laisse qu’on prie sur moi. Laisse qu’on m’emporte au cimetière…J’espère que ce fils de malheur, que ce !censuré!, ce fils de chien partira enfin de ma maison.
 
 RIDEAU
 
 Le temps de la levée du corps.
 
 Scène VI
 
 Même décor.
 
 Dans la cour AWA en deuil, tête voilée d’un pagne.
 
 LES FEMMES autour de AWA, OUMI GUEYE.
 
 En coulisse : fin de la prière des morts, litanies, bruits, murmures.
 
 OUMI GUEYE, venant de dehors
 
 Presque tous les hommes du village sont venus. Ils ont fini de faire la prière sur la place devant la maison. Ils vont maintenant l’emporter au cimetière.
 
 AWA se lève, bouscule les femmes et court en hurlant.
 
 Serigne Dam ! Serigne Dam ! Serigne !
 
 SERIGNE DAM, apparaît à la porte
 
 Qu’y a-t-il Awa Ndiaye mon enfant ?
 
 AWA
 
 Serigne, Serigne Dam, Khare lène, attendez. Serigne Kharal ! Mon mari m’avait suppliée de dire sur son cercueil après la prière de tout le monde, une dernière sourate, une dernière prière qu’il m’avait fait apprendre, pour que Dieu nous pardonne lui et moi tout le mal que nous aurions pu faire sur terre ; tous les manquements que nous aurions pu commettre ici-bas. Il m’avait assuré qu’il en aurait fait autant pour moi, si j’étais partie avant lui.
 
 SERIGNE DAM
 
 Viens mon enfant.
 
 Serigne Dam soutient Awa. Ils sortent.
 
 Un temps.
 
 VOIX de AWA , en coulisse
 
 Mor Lam lève-toi ! Mor Lam djogheul ! Lève-toi Mor LAM, tu exagères !
 
 OUMI GUEYE
 
 Mô yène mais Awa Ndiaye devient folle katt ! Voilà qu’elle parle à un cadavre. Doff na katt !
 
 VOIX de AWA, en coulisse
 
 L’os est là-bas…
 
 Il s’est amolli…
 
 Il s’est bien amolli…
 
 Moussa est toujours là…
 
 LES FEMMES
 
 Ndeyssane ! la pauvre !
 
 OUMI GUEYE
 
 Awa Ndiaye reviens ici, les femmes ne suivent pas les enterrements dé !
 
 AWA, revient en sanglotant
 
 Vouye mane, voye èye !
 
 Rideau
 Quatrième tableau
 
 la tombe de MOR LAM
 
 Scène unique
 
 Obscurité. Puis bruits de tonnerre et des éclairs.
 
 VOIX de MOR LAM, couché, dans son linceul
 
 Mô vaye ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Li lane la ?
 
 Une apparition.
 
 Bruits de tonnerre. Eclairs.
 
 VOIX de MOR LAM, pleine de terreur
 
 Ki kana, ki kane la ? Qui es-tu , Ki ka na ? Voye sa ndèye ! Qui es-tu u uu !?
 
 UNE VOIX FORTE, PROFONDE, tombant du ciel
 
 C’est moi Abdou Djambar ! Abdou Djambar, l’Ange de la mort.
 
 MOR LAM, déchirant son linceul
 
 Abdou Djambar ! L’Ange de la Mort ? Mais je ne suis pas mort kaat, hein ! C’est un os qui m’emmène ici ! Lâche ce gourdin, lâche ton boldé. Un os.
 
 ABOU DJAMBAR, le poursuivant à coups de gourdin
 
 Un os ?
 
 MOR LAM, se cognant à tous les coins de sa tombe.
 
 Je te dis que c’est un os ! Un OSS ! un OSSSSSSSS.
 
 Rideau
 Epilogue
 
 Même décor. la cour de la demeur de Feu MOR LAM . MOUSSA MBAYE , SERIGNE DAM, LES NOTABLES debout dans la cour. AWA NDIAYE, OUMI GUEYE, DES FEMMES dans la case de gauche.
 
 Scène I
 
 SERIGNE DAM, MAME MAGATTE et MBAR DIAGNE s’écartent du groupe et au fond de la cour se concertent un instant.
 
 SERIGNE DAM, revient auprès de Moussa Mbaye
 
 Moussa Mbaye !
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Nam, waw Serigne !
 
 SERIGNE DAM
 
 Moussa Mbaye, tu fus le frère, plus que le frère, le plus-que-frère de feu Mor Lam…
 
 LES NOTABLES, qui les ont rejoints
 
 - Deug-leu.
 
 - C’est vrai !
 
 - Ate satt !
 
 - C’est la vérité.
 
 SERIGNE DAM
 
 Awa Ndiaye est encore jeune. Elle ne peut pas, elle ne doit pas rester toute seule…
 
 LES NOTABLES
 
 C’est vrai, Serigne Dam, c’est la vérité, deug leu…
 
 SERIGNE DAM
 
 Elle ne peut pas passer en de meilleures mains que les tiennes. Elle ne peut avoir d’abri plus sûr que ton toit.
 
 LES NOTABLES
 
 Ate satt, c’est vrai, deug leu Serigne Dam !
 
 SERIGNE DAM
 
 Donc son veuvage terminé, c’est à dire dans soixante jours, tu la prendras pour femme. Elle sera pour toi, nous en sommes sûrs, une très bonne épouse, une excellente compagne. Qu’en dites-vous mbok yi ?
 
 MAME MAGATTE
 
 Rien que du bien, lou bax rék.
 
 MBAR DIAGNE
 
 Lo lo wara am, c’est ce qui doit être, donc ce qui doit se faire.
 
 LES NOTABLES , s’en allant
 
 Waw kaye . C’est parfait ainsi.
 
 C’est très bien ainsi… Lo lo bax vaye…
 
 Salaw... Amine vaye...
 
 Scène II
 
 MOUSSA MBAYE , maintenant tout seul dans la cour.
 
 Appelle d’une voix forte.
 
 Awa Ndiaye yo !
 
 AWA, dans la case avec les femmes
 
 Nam, Mbaye.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Viens ici, kaye fi !
 
 AWA, sort de la case, le pagne de deuil sur la tête et les épaules.
 
 Me voici Mbaye, ma nghi Mbaye.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Où est l’os ?
 
 AWA, indiquant de la main la case de droite
 
 L’os est là-bas.
 
 MOUSSA MBAYE
 
 Apporte-le et qu’on en finisse.
 
 Rideau
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