Ce 17 septembre, Sylvie W. la trentaine passée, se sert d’une éponge pour
nettoyer deux grands récipients de 50 litres chacun. Dans un seau à côté d’elle,
se trouvent des calebasses qui baignent dans de l’eau. Dans les récipients,
apparaît tout d’abord de la mousse puis un liquide jaunâtre : c’est du
bili-bili, une boisson alcoolisée locale fabriquée à base de maïs et de mil.
Sylvie est vendeuse de bili-bili et vend une fois par semaine au marché de
bili-bili du quartier Melen à Yaoundé.
100 Fcfa pour une calebasse de bili-bili
Le bili-bili est une boisson très prisée notamment pour sa forte concentration
en alcool. « Quand tu bois une calebasse de bili-bili, c’est comme si tu as
bu trois bouteilles de bière », confirme Ina, une cliente rencontrée à la
buvette de bili-bili. Il y a tout un rituel pour boire le bili-bili qui se boit
toujours dans une calebasse. A l’approche d’un client, Sylvie lui sert une
portion de bili-bili : il s’agit de la dégustation. Si le client apprécie cette
manière de fabriquer le vin, il achète la quantité qui lui plaît, à raison de
100 Fcfa la calebasse. Sinon il déguste ailleurs. En fait, la manière de
fabriquer le bili-bili diffère d’une tribu à l’autre, la couleur aussi. Le
bili-bili se présente sous la couleur ocre rouge lorsqu’il est fait à base de
mil rouge et jaune lorsqu’il est fait avec du mil jaune. A Yaoundé, trois
principales tribus se partagent le marché du bili-bili. Les Moundang qui se
regroupent au quartier Melen, les Toupouri à Mokolo et les Guizigui au
centre-ville. Les femmes ici se partagent les jours de vente. Tout simplement
parce que la fabrication du bili-bili est longue et le point de vente doit
toujours être approvisionné. |
Une activité à risque
La fabrication et la vente de bili-bili ne sont pas des activités de tout repos.
Lorsque le bili-bili passe la nuit sans être vendu, il faut le verser car il
aura tourné, à l’exemple du lait qui devient acide après un certain temps.
Alors, lorsqu’il pleut, les vendeuses courent le risque de perdre leur
marchandise. « On se sent fiévreux lorsqu’on boit le bili-bili quand il fait
froid. Le bili-bili se boit idéalement en période de grosse chaleur »,
explique Sylvie W. En plus de pouvoir perdre sa marchandise à tout moment, les
vendeuses de bili-bili sont confrontées à la violence. Lorsqu’une bagarre éclate
entre deux ou plusieurs clients éméchés, la vendeuse court le risque de voir sa
marchandise détruite, à défaut de recevoir des coups perdus. « On supporte
seulement. L’essentiel pour nous est qu’à la fin de la journée nous puissions
vendre tout le vin afin de récupérer les fonds investis », dit Sylvie d’un
ton résigné. L’autre danger est celui des « serial goûteurs ». Des petits malins
qui passent de buvette en buvette pour déguster le bili-bili et partir sans
payer sous le prétexte que le vin ne corresponde pas à leur goût. Certains
clients se laissent aguicher par des prostituées qui rôdent autour des buvettes
de bili-bili. Pendant qu’elles proposent leurs services, ces prostituées
soutirent l’argent des clients ivres et disparaissent ensuite sans que les
messieurs n’aient pu profiter d’elles. Il arrive alors que le client arnarqué
revienne s’en prendre à la vendeuse en l’accusant d’être une complice : ce sont
des histoires qui se règlent parfois au poste de police du coin. Sylvie qui
exerce ce métier depuis trois ans se plaint également d’avoir de violents maux
de dos depuis presqu’un an. Elle dit avoir en plus, des toux fréquentes du fait
de l’inhalation des fumées et des effluves d’alcool.
Six jours de fabrication
Pour obtenir 45 litres de bili-bili, il faut du maïs pour environ 15.000 Fcfa.
Du mil, de l’eau, de la levure, du bois de feu. Le maïs et le mil sont trempés
et on laisse germer le mélange pendant environ trois jours. Après avoir écrasé
la patte obtenue on la porte à ébullition pendant 5h de temps environ. On y
ajoute de la levure et on laisse à nouveau fermenter pendant deux jours. Les
fabricantes de bili-bili se servent de leur seul instinct pour la quantité de
levure à incorporer. La levure conditionne le degré d’alcoolisation de la
boisson. Il faut à cet effet savoir la doser pour obtenir le type de boisson que
les clients apprécieront. Au sixième jour, le mélange de maïs et de mil se
transforme en bili-bili : une boisson qui rivalise de notoriété avec les bières
des grandes sociétés brassicoles. Le bili-bili se consomme aussi bien par les
hommes que par les femmes. On est d’ailleurs surpris de trouver plus de femmes
que d’hommes au marché de bili-bili de Melen ce 16 septembre.
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