Son père est camerounais et sa mère française. Mais pour Elizabeth Tchoungui, le
métissage n’est pas qu’une histoire de pigments. Ses parents, une professeure de
maths et un diplomate, sont des purs produits de la méritocratie : « Tous mes
grands-parents sont des paysans ; les parents de mon père, dans la brousse
camerounaise, ceux de ma mère, au fin fond du Tarn. » Quand Elizabeth naît, en
1974 à Washington, c’est donc dans un milieu privilégié, mais conscient du
chemin parcouru. Elle n’a que 3 ans quand sa famille quitte la sérieuse capitale
fédérale des États-Unis pour le joyeux capharnaüm de Yaoundé. « Nous n’avions
pas encore la télévision au Cameroun, alors, quand je venais ici pour les
vacances, je passais mon temps devant la vieille télé en noir et blanc de mes
grands-parents, se souvient-elle. Je regardais tout, de “Croque Vacances” à
La Croisière s'amuse ! »
Pendant son adolescence, la famille déménagera en Belgique et en Italie. Quand
Elizabeth revient passer son bac à Yaoundé, le petit écran est arrivé en Afrique
: « Il y avait un poste pour tout le quartier et tout le monde s’agglutinait
devant. C’est là que j’ai pris conscience que ça pouvait être une vraie fenêtre
sur le monde. »
Quand elle entre à l’École supérieure de journalisme de Lille, en 1993, sa
spécialisation est vite choisie. Son stage de fin d’études à TF1 la confronte à
la réalité du PAF : « Je débarquais la bouche en cœur
dans le monde de la télé, mais les gens me regardaient comme un ovni. J’étais
jeune, femme et noire. J’allais devoir apprendre à gérer ça. » C’était compter
sans la chance. « Un jour, j’achète Libé et j’y trouve une petite annonce :
“Chaîne cherche présentateur pour programme d’informations jeunesse.” » Elle
passe aux commandes du JTJ,
journal télévisé à destination des enfants sur Canal J, y reste deux saisons
avant de rejoindre le service public pour un autre programme destiné au jeune
public : « Rince ta baignoire ! », sur France 2, où elle remplace Marie Drucker.
Une part de chance, mais juste ce qu’il faut de culot aussi. Fin 2000, alors
qu’elle vient d’arriver France 5 pour présenter le très reconnu magazine
culturel « Ubik », elle participe à une émission de « Ça se discute » sur le
sujet : « Les femmes ont-elles conquis le petit écran ? » « Et là, j’explique
que, pour faire de la télé, oui, une femme doit être un minimum jolie, alors que
chez les hommes, il y a des vrais thons… » Hilarité générale, Elizabeth
Tchoungui fait le « Zapping », ses propos sont repris dans la presse. Tant et si
bien qu’elle suscite l’intérêt de la directrice des programmes de TV5 Monde, qui
lui propose la présentation, en joker, du journal télévisé. |
Dans sa vie à 100 à l’heure, Elizabeth Tchoungui trouve quand même le temps
d’écrire. Une vieille envie inconsciente, un délire de copines trentenaires : «
Avec six amies de l’école de journalisme, on se retrouvait régulièrement pour
faire le point sur le marasme de nos vies sentimentales. À la fin de l’un de ces
dîners, on a décidé d’en faire un bouquin, une compilation de râteaux en quelque
sorte ! » Et c’est en démarchant les éditeurs pour ce projet qu’Elizabeth se
fait repérer en tant qu’auteure. Elle commence à écrire seule. Dans Je
vous souhaite la pluie, publié
chez Plon en 2006, elle raconte l’histoire d’amour d’une Camerounaise avec un
Français.
« J’avais surtout envie de jouer avec la langue. Selon moi, c’est grâce à
l’Afrique que le français reste une langue vivante. » Le recueil collectif sur
les goujats en série n’est pas enterré pour autant : Sept
filles en colère paraît en 2007 aux éditions Les Petits Matins. Dans la
foulée, la journaliste se lance dans un deuxième roman en solo qui sortira cet
hiver. Là encore, il sera question de métissage, « mais l’accouchement est
beaucoup plus difficile que pour le premier ».
Il faut dire qu’en parallèle, Elizabeth a présenté trois saisons durant « Le
Journal de la Culture » sur France 24, une émission quotidienne dont elle était
rédactrice en chef. « Nous avons tout créé à partir de zéro. Mon premier
entretien professionnel s’est tenu dans des locaux provisoires, au milieu des
cartons. Ça a été très exaltant de voir le bébé prendre son envol. » Elle avoue,
avec un sourire mutin, un faible pour une interview en particulier : « Mes douze
minutes en tête à tête avec George Clooney… Je m’en souviendrai avec une
certaine acuité tout au long de ma carrière. » |
Point de George en cette rentrée, mais les rênes d’une émission en or, qui entre
dans sa neuvième saison avec davantage de références à l’actualité et de
nouveaux chroniqueurs. « J’aime la convivialité des “Maternelles”, à l’heure où
beaucoup de programmes fonctionnent sur l’agressivité. » Il faut dire que depuis
une dizaine de mois, la journaliste qui se lamentait avec ses copines sur
l’inconséquence des hommes est devenue
maman : « Je pense que l’on ne peut pas présenter un programme comme celui-ci
sans être mère soi-même. On ne peut pas être dans la distance. »
Quand elle n’enregistrera pas, Elizabeth Tchoungui continuera à décortiquer avec
délectation des piles de synopsis, dans le cadre de la commission Images de la
diversité du CNC. Entre
les murs, de Laurent Cantet, ou
le téléfilm Aïcha, de Yamina Benguigui, ont fait partie
des projets récemment sponsorisés.
« Il faut faire attention à l’effet cosmétique. Certes, il y a plus de têtes
colorées sur les écrans, mais pas dans l’organigramme des chaînes. » Elizabeth
est persuadée que le blocage vient des élites et non de la base, « sinon Audrey
Pulvar et Harry Roselmack ne seraient pas les présentateurs préférés des
Français ». Elle-même, dans sa carrière, a déjà dû passer son tour pour excès de
pigments. « En 1999, suite à un casting pour présenter le journal télévisé d’une
chaîne d’info, le patron m’a dit : “Vous avez fait un très bon test, mais vous
êtes une prise de risque pour moi.” » D’autres l’ont pris. Et ne l’ont pas
regretté. |