Nous vous écrivons pour exprimer notre vive inquiétude quant à l’emprisonnement
au Cameroun depuis septembre dernier de quatre directeurs de publication de
journaux suite à des reportages politiques. En effet, votre pays est
actuellement le deuxième pays qui emprisonne le plus les journalistes en
Afrique, selon nos recherches.
Nous vous appelons ainsi à la dépénalisation de la diffamation et des délits par
voie de presse. Nous estimons que les affaires de diffamation devraient être
réglées au sein des juridictions civiles. Le 7 janvier dernier, un juge
d’instruction de Douala a condamné Lewis Medjo, le directeur de publication de
l’hebdomadaire La Détente Libre, à trois ans de prison ferme assortis
d’une amende de 2 millions de francs CFA (environ 4200 dollars américains) pour
publication de fausses nouvelles, selon des journalistes et des médias locaux.
Ces accusations sont liées à un article paru en août 2008 portant sur un décret
présidentiel qui aurait accordé une prolongation d’activité à certains hauts
magistrats approchant l'âge de la retraite, selon le rédacteur en chef de La
Détente Libre, Michée Medjo Gatheu. Les avocats de la défense ont fait appel,
mais M. Medjo est toujours en détention à la prison de New Bell à Douala, où il
affirme avoir eu deux attaques cardiaques et des problèmes respiratoires depuis
son emprisonnement le 26 septembre dernier, a dit au CPJ M. Gatheu qui a aussi
déclaré que le journal n’est pas paru depuis lors. M. Medjo a été arrêté le 22
septembre dernier et interrogé pendant plusieurs jours par la police, selon des
journalistes locaux.
Les policiers auraient également fait pression sur le journaliste pour qu’il
révèle ses sources à propos d'un article exclusif portant sur le sujet sensible
de l’affaire «Albatros», relatif à l'achat frauduleux d'un avion présidentiel
défectueux en 2004, a dit M. Gatheu. Par ailleurs, trois autres directeurs de
publication de journaux, Michel Mombio, Armand Ondoa et Flash Zacharie Ndiomo
ont été incarcérés à la prison centrale de Nkondengui dans la capitale
camerounaise, Yaoundé, depuis plus de trois mois. Ils font l’objet d’accusations
pénales pour des reportages critiques à l’égard de hauts responsables
camerounais, selon des recherches du CPJ. |
Ainsi, Michel Mombio du bimestriel L'Ouest Républicain sis à Bafoussam,
une ville à l’ouest du Cameroun, a été arrêté le 4 septembre dernier et inculpé
de tentative d’escroquerie, d’outrage à corps constitué et de chantage sur la
base d’un article portant sur la ministre de la Recherche scientifique et de
l’Innovation intitulé « Pouvoirisme, affairisme et ingratitude: les crimes de
Madeleine Tchuinté » selon l'avocat de la défense, Me. Blanche Renée Mbenoun. M.
Mombio n’a pas pu bénéficier d’une liberté provisoire en novembre dernier, faute
de ne pouvoir payer la caution fixée à 15 millions de francs CFA (environ 31.000
dollars américains). Son procès devrait reprendre le 19 janvier prochain, selon
des journalistes locaux.
Quant à Armand Ondoa, le directeur de publication de l'hebdomadaire Le
Régional sis à Yaoundé, il a été arrêté le 15 octobre dernier à son arrivée
au bureau de Patrice Tsele Nomo, le directeur de l'École nationale
d'administration et de magistrature du Cameroun (ENAM), pour Il avait adresse à
Mr. Nomo un protocole d’interview à propos d’allégations de versements de
pots-de-vin pour le concours d’entrée à l’ENAM, selon des journalistes locaux.
Son collègue Max Mbida, du bimensuel Le Ténor de L'information, qui était
avec lui au moment de l'arrestation, a aussi été détenu pendant plusieurs jours,
a-t-il dit au CPJ. Le lendemain, Flash Zacharie Ndiomo, le directeur de
publication de l'hebdomadaire Zénith, a également été arrêté à son
arrivée au bureau de M. Nomo qu’il devait interviewer pour les mêmes raisons.
Un procureur de la République a inculpé M. Ondoa et M. Ndiomo de tentative de
chantage et d'atteinte à l’honneur, sur la base d'une plainte déposée par M.
Nomo, selon des médias. Leur procès devrait reprendre le 22 janvier, ont déclaré
des journalistes locaux au CPJ. Ces journalistes n’auraient jamais du faire
l'objet de poursuites criminelles, et nous vous demandons de veiller à ce qu'ils
soient libérés. Le fait de jeter les journalistes en prison et de les harceler
avec des poursuites pénales pour avoir enquêté sur des scandales de corruption,
les intimide et les contraint à l'autocensure. A la longue, cela risquerait de
saper les efforts que votre gouvernement mène pour éradiquer la mauvaise
gouvernance dans l'intérêt national. Nous pensons que les journalistes ne
devraient pas être emprisonnés pour leur travail et que la diffamation relève du
droit civil et non du droit pénal. Nous vous exhortons donc à abroger les
dispositions pénales sur la diffamation et les delits de presse, qui sont
souvent utilisées pour poursuivre et emprisonner les journalistes enquêtant sur
les sujets sensibles et les responsables publiques. Veuillez agréer, Monsieur le
président, l’expression de nos sentiments distingués.
Joël Simon
Directeur exécutif |