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Mokolo-lobi: les disciples de la deche/ extrait2

 
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H.T



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MessagePosté le: Fri Oct 12, 2012 1:12 pm    Sujet du message: Mokolo-lobi: les disciples de la deche/ extrait2 Répondre en citant

la nuit tombe dans les rues de mon cœur Élise, et soudain il se met à y pleuvoir, de grosses gouttes de pluie qui martèlent mon âme et me plonge dans la détresse. Si tu savais comme je l’aime, comme j'ai besoin d'elle, de sa présence, de sa chaleur et de sa douceur infinie. Si tu savais comme je me sens seul ! la solitude me ronge comme un cancer. Si elle savait comme je l’aime. Mais elle s’en va, elle s’éloigne de moi. Comment lui en vouloir ? Me sentir mourir à l’idée de l’avoir eu entre mes bras hier et de la voir s’éloigner aujourd’hui. Je souffre d’aimer, le constat se fait, plus pénible à chaque fois. Que de souvenirs dans ma mémoire, de mauvais souvenirs... Comment lui dire ? Elle a connu tant d'hommes, elle croit tout savoir. Mais je ne ressemble en rien à ceux qu’elle a pu connaitre par le passé. Je suis bien incapable de me comporter comme eux.

Trop de blessures non cicatrisées subsistent dans mon âme. J'ai vécu trop de choses horribles ! Mais comment lui dire ? Jamais je n’ai trouvé la force d’en parler, de me raconter. Elle m’a condamné. J'ai fait tant d’erreurs et elle m’a condamné. Il ne me reste que mes larmes pour pleurer. Elle m’a puni et j'ai savouré ma punition. Dieu fasse que mon cœur ne la haïsse pas. C’est tout au fond de ce bidonville malfamé, au milieu des mares d'eaux stagnantes, des rigoles naturelles issues de l'érosion, que je l'ai rencontrée. C'était sans doute la dernière à croire encore qu'un étudiant était promis à un bel avenir grâce à ses diplômes. Elle s'appelait Diana et gérait ce qui était censé être un pressing. Il y avait marqué à l'entrée : « lavage à sec » et, à l'intérieur, on pouvait voir une machine à laver datant de Mathusalem. Dans l'arrière-cour, les vêtements étaient trempés pêle-mêle dans de grandes bassines avec de la lessive ordinaire, pour être ensuite lavés à la main et séchés au soleil sur des cordes à linges. C'est en lui portant mon linge justement que j'ai fait sa connaissance. Je suis parfois trop fainéant pour faire moi-même ma lessive. Elle trônait derrière son comptoir de bois, belle et de teint noir. Elle prit rapidement l'habitude, tous les soirs à la fin de son service, de venir me voir. C’était un instant merveilleux que j'attendais avec impatience. Attablé devant les notes de cours prise dans la journée, je ne parvenais plus à me concentrer. L’ouïe en éveil, je guettais le '' toc-toc'' de ses doigts effilés sur la porte. Elle arrivait claudicante sur ses jambes arquées, à la Lucky Luck, et j'avais le cœur qui s'emballait, un coup de chaud qui me faisait transpirer. Elle avait une bouche grande comme ma main et des dents d'un blanc si blanc... un sourire carnassier.

Certains soirs, elle arrivait avec un poulet confectionné de ses mains et que j’engloutissais avec délectation. C’était les seuls moments ou mon régime alimentaire pouvait varier. Quand ça n’était pas du poulet, c’était un quelconque autre met raffiné que je n’aurais pu m’offrir par mes propres moyens. Ça me changeait de l’éternel beignet-haricot-bouilli que je suis contraint d’ingurgiter tous les matins, le petit-déjeuner du pauvre par ici. À midi comme le soir par contre, c’est une moitié de maquereau accompagnée de bâtons de manioc : le fameux bobolo, fait avec de la pâte de manioc que l’on fait bouillir emballé dans des feuilles de bananier et, dont la sagesse populaire dit qu’il donne le kwashiokor. C’est en tous les cas, un aller simple pour une constipation chronique. Je regrette Élise, de ne t’avoir pas écoutée, suivie, lorsque tu insistais pour m’apprendre à cuisiner. J’aurais dû éviter de m’enfuir de la maison, à chaque fois que tu revenais de ton marché et entrait dans ta cuisine. Si au moins je savais faire une sauce, une soupe… Certains jours, faute de mieux, j’achète un peu de riz, et je le mange blanc ou avec un peu de sel lorsque j’ai la chance d’en trouver.


Parfois, certains soirs, Diana et moi sortions nous balader main dans la main dans les ruelles du ghetto. On tachait d’en ignorer les mauvaises odeurs, les tas d’immondices qui à certains endroits encombrent le chemin. Ou encore, les mares d’eau stagnantes que l’on était contraint d’enjamber avant de pouvoir s’octroyer quelques instants de romantisme tout à fait fictif. Une illusion de paix, de bonheur et d’amour fusionnel, troublés de temps à autres par quelques chiens errants dont elle avait une peur bleue, ou par quelques badauds ne digérant guère les effusions de baisers auxquelles elle se laissait volontiers aller. a la vérité, le ghetto n’est guère un endroit pour le romantisme. Elle m’invitait quelques fois à terminer la soirée dans une de ces cabanes dont je t’ai parlé et où elle m’offrait quelques verres de vin de palme. J’ai toujours aime le vin de palme, mais celui qu’il m’a été donné de déguster ici, n’a rien à voir avec le gentil jus sucré qu’il t’arrivait de me servir. Il est d’une aigreur qui se teinte même d’amertume et est fortement alcoolisé. Diana elle, ne boit jamais d’alcool, elle essaye juste par tous les moyens de me faire plaisir, de me sortir de cette déprime, qui peu à peu menace d’envahir tout mon être. Diana, c'était des épaules carrées et la tête sur les épaules. Elle avait pris sa vie en main et menait sa barque sans hésitation. Mais le plus loin qu'il lui puisse être possible de la mener n'aurait jamais été qu'un résultat médiocre à mes yeux, ne méritant même pas le quart des efforts consentis. Elle si terre-à-terre et moi si triste : c'était une équation difficile à équilibrer. Sa poitrine plate, flétrie et si attendrissante. Un corps fané, une jeunesse passée et une incroyable maturité. Pourquoi je l'aime? Je me rappelle encore cette façon déchaînée qu'elle avait de me recevoir dans ses reins, avec des cris qui rameutaient tout l'environ. Elle avait connu tant d'hommes, elle croyait tout savoir, avoir tout vu. Elle ne se doutait pas qu'à moi tout seul, je puisse constituer une nouvelle espèce, différente des autres. J'ai appris très tôt à ne pas me dévoiler, à masquer qui je suis et quoi je pense. C'est comme de vivre au milieu des autres en perpétuel étranger. Le pire n'étant pas d'être étranger aux autres mais, de l'être à sois même. Pour elle, je suis resté une énigme. Elle a fini par me quitter, lasse de me voir broyer du noir, mais surtout, lasse certains soirs de toquer à la porte de ma chambre sans obtenir de réponse bien que je sois enfermé à l’intérieur. Cacher sa misère Élise, par pudeur, par honte : au fond, quelle différence ?

Une telle misère Élise, comment cela se peut-il ? Elle n’est pas seulement matérielle, si ce n’était que cela… mais une telle misère moral, un tel vide intérieur, comment y faire face ? Diana est donc partie, et souvent, dans la nuit, la sensation onirique de son corps chaud, pelotonné tout contre moi, me raidit. Il m'arrivait d'espérer qu'elle déteigne sur moi, que j'y trouve la force de caractère pour ne pas sombrer. Elle est partie, et jusqu'à lors, je ne me doutais pas que je tenais tant à elle. Maintenant qu’elle s’en va, qu’elle n’est plus là, je me rends compte à quel point je l’aime, à quel point elle va me manquer ; et je n’ai eu ni la force, ni le courage de la dissuader de partir. Je suis resté là, telle une momie à regarder, à constater ; sans rien faire, sans rien dire, sans même aller la voir pour m’excuser ou m’expliquer. Je ne trouve même pas la force de me battre pour mon propre bonheur. Pourquoi je l’aime tant ? Peut-être parce qu’elle s’en va justement.

en lecture libre sur: http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre41204.html
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http://www.editions93.com/auteurs/herve_tadie.html
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