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Mokolo-lobi: les disciples de la deche/ extrait1

 
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H.T



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MessagePosté le: Fri Oct 12, 2012 1:06 pm    Sujet du message: Mokolo-lobi: les disciples de la deche/ extrait1 Répondre en citant

C’est un tout autre univers ici, Élise. de la boue si noire, on dirait la chiasse du diable. Des égouts à ciel ouvert, des montagnes de détritus qui trônent à l’air libre pendant des mois, voire des années. Des moustiques, gros comme des mouches, elles même grosses comme des abeilles. Mais, des abeilles, ici, il n’y en a guère. Pas folles les bestioles ! Les moustiques ici sont voraces, insatiables et effrontés. Plus rien ne peut les arrêter, ils t’affrontent de face avec l’outrecuidante prétention de te piquer entre les deux yeux. Va donc convaincre les habitants du bidonville que le paludisme tue. Comment !? Ils en font en moyenne trois crises par an et sont toujours là. Ici, les voies qui mènent à l’hôpital sont semblables à celles qui mènent à Dieu : insondables, mais surtout impraticables. Aussi les rebouteux foisonnent. Mais heureusement pour moi, j’ai toujours eu une assez bonne santé et n’aie jamais éprouvé le besoin de recourir à leurs services.

Un rebouteux en particulier rend fréquemment visite à Papa Jean. Il vend écorce et poudre de perlimpinpin à qui en veut. Il prétend se fournir au plus profond de la forêt équatorial ; mais je suis convaincu qu’il ne vient pas de plus loin qu’oyomabang, un quartier à la périphérie de Yaoundé, surtout connu pour ses habitats précaires et les gigantesques inondations qui y font des ravages. Sa tenue de travail consiste en une gandoura d’un passé blanchâtre ; mais d’un présent kaki, têtu et obstiné. Une obstination kaki du tissu qui déplaisait à Malam sans qu’il puisse y remédier. Le vêtement s’avérait rebelle à toute tentative de lui rendre sa glorieuse blancheur passée. Comme un ancien combattant, tirailleur sénégalais, à la mémoire défaillante, qui serait incapable de se remémorer la vigueur avec laquelle il montait à l’assaut des lignes allemandes. Les besoins en santé publique sont énormes ici Élise. Mais la santé publique, il y a bien longtemps que monsieur le président de la république s’est assis dessus. la largeur de son postérieur, posé sur le sujet, annihile tout espoir. Malam accumule la clientèle avec autant d’aisance qu’Homer les morpions. (Je te parlerais plus tard d’Homer, l’un des rares qui me fut cher ici.) Plus personne n’a de quoi se payer les ‘‘médicaments du blanc’’, et les camerounais redécouvrent opportunément et avec enthousiasme les vertus médicinales des plantes. Mais il se trouvera toujours un zèbre pour s’improviser guérisseur et te fourguer plantes et écorces n’ayant au mieux d’autres vertus que celle d’un placebo et au pire capable de t’envoyer de vie à trépas. Malam est un de ces zèbres. Papa Jean est un de ses plus fidèles clients.

Mais Pa ’jean est un pauvre type. C’est malheureux, regrettable à dire, mais véridique et nullement méchant. Il a bâti sa maison dans une espèce de ravin tout ce qu’il y a de pas naturel. Une bicoque formant un angle inquiétant avec l’axe horizontal du plancher des vaches. « Tu dis que koooooaaa ? » lance-t-il de façon intempestive. Le problème avec Papa Jean, c’est qu’il a de sérieux problèmes d’audition qu’il met un point d’honneur à nier énergiquement. Il n’avait donc jamais consulté Malam au sujet de son problème le plus évident. Encore que… qu’aurait bien pu ce dernier y faire ? En outre, la phonétique avait dû lui être inculquée par quelques batraciens de passage. Quand on y ajoutait son peu de maîtrise de la langue de Molière, communiquer avec l’individu relevait du parcours du combattant. Après quelques dizaines de : « tu dis que koooaaa ? », on jetait l’éponge, résigné. Une multitude d’individus peuplent les rues de Yaoundé, dans une vue d’ensemble on a l’impression d’une affreuse homogénéité ; mais il suffit d’en isoler un pour se rendre compte de la singularité du personnage. Le propre du pauvre est d’avoir un broyeur en lieu et place d’un tube digestif. On lui servirait une poubelle qu’il s’en régalerait sans scrupule aucun. Les diarrhées chroniques comme les maux d’estomac ne lui arrache qu’une expression : « ouaiiis, je vais même faire comment ? » le camerounais est résigné.

C’est assis à même la natte effilochée, du charlatan faisant office de guérisseur, que Papa Jean s’adonne à sa tirade préférée : « tu dis que kooaaaa ? » Malam commençait à en avoir assez d’expliquer la posologie et le mode d’emploi de sa poudre magique. Papa Jean, de son côté, persistait dans une double surdité intellectuelle et auditive. « Donc, je mets dans l’eau avant de boiiire ? » Dépité, Malam se contentait de hocher la tête, espérant ainsi se débarrasser de l’importun. C’était mal connaître Papa Jean qui tenait à se faire préciser les choses : « mais je chauffe d’abord l’eau-là ou bien je bois ça comme ça ? » Malam de hausser les épaules, moins pour la température de l’eau que par résignation. Indécrottable, Papa Jean tenait sa proie et n’entendait pas la lâcher : « si c’est amer, je mets le sucreeee ? Parce que souvent ça fait que je vomis heiiin ! »

Homer, un autre locataire de Papa Jean, n’en pouvait plus de rire, ajoutant à mon exaspération. la même poudre, quelque temps auparavant, avait déjà servi à soigner son paludisme, les hémorragies nasales de sa fille et même l’entorse de son petit cousin, voilà à présent qu’elle s’apprêtait à soigner sa diarrhée. Le personnage de Papa Jean mérite que l’on s’y arrête. Il explique pour une bonne part, à lui tout seul, pourquoi la démocratie à tant de mal à prendre racine chez nous Élise. Planton dans un service de l’administration publique, il touche un salaire mensuel de trente mille francs CFA en échange duquel, il obtient le droit de tenir la porte pour les diverses allées et venues. Accessoirement, il peut aussi servir de garçon de course pour les bouteilles d’eau, les amuse-gueules de la secrétaire. Aucune assurance maladie, pas de sécurité sociale : un bonheur parfait ! Pour les fêtes nationales, c’est avec fierté qu’il arbore la tenue à l’effigie du président du parti au pouvoir et président à vie du pays. a toutes les élections, il vote pour reconduire l’administration en place et il s’en explique : « n’est-ce pas que c’est mon frèèère ? Je dois lui voter. » la nation camerounaise, telle que mise en avant dans les discours de politiciens n’est rien d’autre qu’une utopie Élise. Il suffit de discuter un moment avec Papa Jean pour s’en rendre compte. Quand il rentre le soir, Papa Jean est si épuisé qu’il renonce à faire l’appel. Il laisse ses filles et le petit cousin dont il a la charge et qui dort dans son salon, errés à leur guise dans les ruelles du bidonville. « C’est les enfants-là qui vont me pleurer. » explique-t-il souvent. Il faut par-là comprendre, que se sont-elles qui le mettront en terre à sa mort. Peu importe sa misère, du moment qu’à son enterrement, il se trouve des gens pour verser une larme. En attendant cette mort, pour les prochaines élections, il ira de nouveau introduire dans l’urne, le bulletin d’un parti qui, depuis plus d’un quart de siècle, le maintien dans une misère absolue : ce sont ses ‘‘frères’’, c'est-à-dire du même groupe tribale que lui. Une fois, irrité au plus haut point par ce discours, j’ai fini par lui demander : « mais Papa Jean, ton frère t’affame sans que tu ne réagisses ? » « Ouaiiiis ! S’époumona-t-il, je vais alors faire comment ? Les autres-là ne nous aiment pas. » En attendant, c’est nous autres jeunes qui subissons les conséquences néfaste de tout cela. Aucunes perspectives, aucunes opportunités, et pas le moindre espoir d'un changement politique à court, moyen ou long terme.

Il existe Élise, en ce bas monde, une double malédiction. la pire de toutes celles qui ont jamais frappé ceux qui marchent debout. Elle consiste à être de race noire et à vivre en Afrique. de race noire, où que nous vivions, nous sommes maudits et marginalisés. Mais c’est au Cameroun que l’on comprend le mieux pourquoi vivre en Afrique est une malédiction à part entière. Dans quel pays les borgnes sont-ils rois ? Dans celui des aveugles évidemment. Mais alors, les aveugles à leur tour, où peuvent-ils se faire roi ? Au Cameroun bien sûr!

en lecture libre sur: http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre41204.html
_________________
http://www.editions93.com/auteurs/herve_tadie.html


Dernière édition par H.T le Fri Oct 12, 2012 5:37 pm; édité 1 fois
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Waddle



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Messages: 17412

MessagePosté le: Fri Oct 12, 2012 1:30 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Tel que copié ici, c'est assez illisible...

Il faut espacer un peu.
_________________
la vie c'est le ludo. Parfois tu peux jouer un, parfois tu peux jouer deux chaines quatre comme ca...

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