Rechercher
Rechercher :
Sur bonaberi.com   Google Sur le web Newsletter
S'inscrire à la newsletter :
Bonaberi.com
Accueil > News > Points de Vue
Yves Tsala : « En matière de fuite de cerveaux, le Cameroun ne peut pas encore s’inquiéter »
(02/12/2008)
Interview d'Yves Tsala, président de l'ONG SMIC se prononce sur l'immigration et la fuite de cerveaux au Cameroun.
Par Redaction

Président de l’ONG SMIC (Solutions aux Migrations clandestines) - voir l'article Lucina Soguia nous présente le SMIC -, Yves Tsala prépare un doctorat en Sciences Economiques à l’université de Yaoundé II. L’Ong dont il est le promoteur a entrepris de nombreuses activités de lutte contre les migrations clandestines. Il nous dit ici de quoi cela retourne.

SMIC c’est quoi exactement ?

SMIC c’est un groupe de jeunes qui ont décidé de se mettre ensemble pour réfléchir aux problèmes liés aux migrations notamment l’émigration clandestine. Nous avons commencé à nous réunir en 2004 et nous sommes actuellement une quarantaine au siège avec des démembrements dans les diverses provinces du Cameroun. Notre plan d’action peut se résumer à deux points essentiels : la sensibilisation et la recherche d’alternatives à la clandestinité. Enfin, il est important de mentionner que nous ne luttons pas contre les migrations mais bien contre les migrations clandestines.

Quels sont les chiffres de l’émigration africaine vers l’Occident ? Quelle est le niveau de gravité de la situation dont vous faites état d’après vous ?

C’est vrai qu’il se passe difficilement un jour sans qu’on parle de drame de l’émigration clandestine, de bateaux renversés sur la route des Canaries ou des jeunes africains morts dans le désert. Cette amplification du phénomène par les médias pourrait laisser penser que la plus part des africains vont en occident mais en réalité ce n’est pas encore l’invasion annoncée. En effet, selon l’Office des Migrations Internationales (2006), à peu près 92% des africains choisissent de s’installer dans un autre pays d’Afrique, 5% vont en Amérique, et seulement 1% partent vers l’Europe. L’émigration des africains est donc en majorité intra-africaine.

Quelle est la situation pour le Cameroun ?

Il n’existe pas de chiffres clairs au Cameroun que ce soit pour l’émigration clandestine ou légale. Le gouvernement camerounais n’a pas une politique claire dans le domaine. Ainsi quatre voir cinq entités interviennent (le MINREX, le MINADT, les renseignements, la présidence) ce qui ne facilite pas les recoupements. Néanmoins, le Cameroun présente à l’image des autres pays africains un risque potentiel migratoire élevé avec 49,9% des jeunes entre 15 et 24 ans sans emploi(1) et une forte croissance démographique. Autre trait commun, la féminisation de l’émigration notamment clandestine, source de nombreux problèmes sur place comme dans les pays d’accueil.

Quelles peuvent en être les causes ?

Les causes sont essentiellement économiques mais aussi psychologiques, sociales ou idéologiques. Comme le dit si bien le Professeur Tjade Eone (2), le sous-développement est à lui tout seul générateur d’émigration clandestine. De plus, il y a cette incapacité des gouvernements africains à aider les jeunes à trouver des opportunités. Ils sont estimés au Cameroun par exemple à 75 400 nouveaux chaque année sur le marché de l’emploi (3). Tout ceci est renforcé par l’imaginaire migratoire comme le souligne si bien Catherine Withol de Weden pour ce qui concerne l’Europe « les mouvements migratoires vers l’Europe sont amplifiés par une envie d’Europe que favorise l’essor des moyens de communication, mais qui n’est pas toujours fondée sur une vision réaliste de la condition des émigrés dans le pays d’accueil ».(4)

Avez-vous des solutions que vous préconisez pour juguler le phénomène ?

Nous sommes conscients que ce problème est très complexe pour être solutionné par nous seuls. Nous voulons impulser une dynamique, un cercle vertueux. Le sous-développement est un défi à la science économique et la solution à long terme serait le développement économique, mais comme l’a si bien indiqué l’économiste américain J.M. Keynes, à long terme, nous serons tous morts. C’est pourquoi SMIC décide d’agir maintenant à son modeste niveau selon son plan d’action défini plus haut. Nous descendons sur le terrain pour sensibiliser les jeunes des lycées et universités, notre cible principale, en diffusant des films documentaires sur la vie des clandestins, suivis d’échanges avec les jeunes et, enfin, s’ils le désirent, nous créons des clubs sur place pour continuer notre action.

L’impact des images est intéressant, on dit bien qu’une image vaut 10 000 mots. Nous avons d’ailleurs en partenariat avec l’institut Goethe de Yaoundé fait projeter le 23 avril dernier puis dans le cadre des écrans noirs le film documentaire intitulé « Plus fort que la peur » dans lequel un jeune camerounais meurt dans le train d’atterrissage d’un avion de la réalisatrice allemande U. Westerman. Il sera également programmé pour une plus large diffusion lors de nos descentes à venir début d’année 2009. Ceci dit, nous ne pouvons plus nous contenter de sensibiliser, nous encadrons les jeunes vers l’auto-emploi en les aidants à monter des projets.

La semaine dernière nous avons participé à un séminaire-atelier organisé par l’Aiesec dans ce sens. Lorsque les projets sont montés, nous travaillons à rechercher des financements pour les mettre en œuvre. Exemple en cours, le projet de l’encadrement des chauffeurs et propriétaires de taxis avec l’APROMSI (Association pour la promotion du secteur informel) qui devrait à terme fournir à peu près 5000 emplois définitifs et temporaires d’ici 10 ans .

Le projet vise à résoudre le problème d’asymétrie d’informations qui existe entre les chauffeurs de taxi et les propriétaires, le comportement réel ou supposé de « tireurs au flanc » des premiers cités, en mettant sur pied des garages privés et des centrales de pièces détachées. Le propriétaire d’une voiture n’aurait donc qu’à mettre sa voiture jaune, produire les papiers et attendre la recette à la fin du mois.

Nous travaillons également avec l’association Kossengwe dans le programme sport-études depuis 2004 qui a permis dans le cadre des soutiens aux migrations légales d’envoyer une cinquantaine de Camerounais aux USA . Ce programme est encore très sélectif puisqu’il ne concerne que les jeunes basketteurs scolarisés mais devrait s’étendre à d’autres acteurs. Néanmoins, il produit déjà des résultats puisque la génération de la première édition a constitué l’ossature de l’équipe nationale du Cameroun vice championne d’Afrique à Dakar au Sénégal en 2004. Dans la même lignée, quatre sont présents dans l’actuelle équipe nationale sénior vice championne 2007 et qui s’est bien comportée pendant le tournoi pré-olympique qualificatif pour les J.O de Pékin.

Nous voulons aussi produire en 2009 un document qui présente tous les programmes mis sur pied par les différentes institutions publiques pour les jeunes tant il est vrai qu’ils sont perdus entre les programmes du MINJEUN, du Ministère des petites et moyennes entreprises et l’artisanat, du FNE... Dans l’impossibilité de citer toutes nos actions voilà résumées quelques unes en cours.




Quelle peut être l’apport de la diaspora camerounaise ou africaine en général dans cette procédure ?

La diaspora pourrait avoir un rôle important à jouer. Malheureusement, les relations entre cette dernière et les gouvernements sont très souvent exécrables. Les uns sont convaincus de l’incompétence et la corruption des autres qui, en retour, soupçonnent la diaspora de vouloir renverser les régimes. Ce schéma est peut-être un peu réducteur mais traduit l’ambiguïté de la relation entre les deux entités. L’apport de la diaspora se réduit alors pour le Cameroun par exemple à quelques actions réduites à l’aide à la famille ou des projets communautaires initiés par des associations régionales le plus souvent. Pour que l’apport de la diaspora soit notable, nous pensons que le MINREX devrait avoir la charge d’impulser la dynamique. Comment ? En ré ouvrant les missions économiques dans les ambassades camerounaises à l’étranger afin de produire toute l’information pertinente à la diaspora intéressée par l’investissement au Cameroun. Recruter des experts en matière de migrations dans la société civile qui devraient travailler en synergie avec les hommes en charge de ces dossiers au MINREX pour recenser toutes les associations, ONG, individus et autres intéressés par la perspective d’investir au Cameroun, établir une plate-forme de travail et faire des propositions concrètes au gouvernement. Voila juste quelques pistes.

Que pensez-vous du sommet euroafricain sur l’émigration clandestine qui vient de se dérouler à Paris ?

Dans l’initiative, il s’agit d’une bonne chose puisqu’il est question ici de consulter tous les pays qui sont concernés par les migrations à savoir les pays de départ, de transit et d’accueil. Cependant, le plan tri annuel (2009-2011) annoncé risque de ne pas avoir l’impact attendu. D’un coté on a l’Union Européenne qui a essayé de transgresser ses divergences en matière migratoire pour proposer un plan commun, de l’autre l’Afrique qui n’arrive toujours pas à adopter une position commune. Nous pensons qu’il aurait fallu au moins regrouper par zones (Cemac, Cedeao...) les institutions étatiques, la société civile et tous ceux qui peuvent être concernés par le problème pour réfléchir de façon macro-économique sur les solutions communes et recenser les projets les plus importants au niveau régional qui peuvent aider à mettre la structure ou l’infrastructure propice au décollage économique. Tant qu’on ne mettra pas l’accent sur le troisième volet de cet accord qui est le renforcement des synergies migration-développement soit ce que l’on appelle co-développement, tant qu’on ne s’organisera pas nous-mêmes au niveau régional, puis africain pour cibler les priorités afin que l’aide soit plus efficace, on aura de plus en plus du mal à fixer les populations sur place. L’impression générale serait alors qu’on privilégie la lutte contre l’émigration clandestine par les expulsions, la construction des murs, bref l’approche sécuritaire. A notre sens, l’approche bilatérale, la négociation pays par pays ne pourra pas résoudre le problème de façon efficace ; il faudra essayer de prendre le problème globalement.

Le premier point de l’accord dont s’agit renvoie à l’immigration choisie… Un concept controversé…

Immigration choisie ou concertée, nous ne pensons pas que ce soit toujours une mauvaise chose. Le plus important c’est de pouvoir contrôler. En ce sens, l’émigration légale doit être plus importante que l’émigration clandestine. De toute façon, le seuil admis par tous pour parler de fuite de cerveaux est 11% en montant des diplômés. Le Cameroun est encore loin de s’inquiéter. Le vrai problème est d’entretenir avec ceux qui partent des rapports de confiance et de travailler à mettre un cadre attrayant pour qu’ils puissent se sentir concernés par l’évolution de leur pays d’origine et que ceux qui sont allés se former soient incités au retour. En cela, le programme d’appui au retour des immigrés camerounais (Paric) est un bon début. Il mérite d’être développé.

Entretien avec Jean Marc Soboth

(1°) source document projet DSRP JEUNESSE 2005

(2) TJADE EONE, migration africaine et médias : jeu d’ombres et de lumières dans IMMIGRATION ET DIASPORA UN REGARD AFRICAIN ouvrage collectif sous la direction de Jean-Emmanuel PONDI, Africaine d’édition 2007, pp 214

(3)Document DSRP JEUNESSE op cité

(4)Catherine WIHTOL DE WEDEN, L’EUROPE ET SES MIGRATIONS, 1999

A voir aussi :

Lucina Sonia présente le SMIC

Immigration Clandestine : comment décourager les élèves








Partager l'article sur Facebook
 
Classement de l'article par mots clés Cet article a été classé parmi les mots-clé suivants :
yves tsala  smic  immigration  points de vue  
(cliquez sur un mot-clé pour voir la liste des articles associés)
Discussions Discussion: 1 bérinautes ont donné leur avis sur cet article
Donnez votre opinion sur l'article, ou lisez celle des autres
Sur copos Sur Copos
Les vidéo clips Les vidéos clips
Récents Récents


Accueil  |  Forum  |  Chat  |  Galeries photos © Bonaberi.com 2003 - 2024. Tous droits de reproduction réservés  |  Crédit Site