Président de l’ONG SMIC (Solutions aux
Migrations clandestines) - voir l'article
Lucina Soguia nous présente le SMIC -, Yves Tsala prépare un doctorat en Sciences Economiques
à l’université de Yaoundé II. L’Ong dont il est le promoteur a entrepris de
nombreuses activités de lutte contre les migrations clandestines. Il nous dit ici de quoi cela
retourne.
SMIC c’est quoi exactement ?
SMIC c’est un groupe de jeunes qui ont décidé de se mettre ensemble pour
réfléchir aux problèmes liés aux migrations notamment l’émigration clandestine. Nous avons commencé à nous réunir en
2004 et nous sommes actuellement une quarantaine au siège avec des démembrements
dans les diverses provinces du Cameroun. Notre plan d’action peut se résumer à
deux points essentiels : la sensibilisation et
la recherche d’alternatives à la clandestinité. Enfin,
il est important de mentionner que nous ne luttons pas contre les migrations
mais bien contre les migrations clandestines.
Quels sont les chiffres de l’émigration africaine vers l’Occident ? Quelle est
le niveau de gravité de la situation dont vous faites état d’après vous ?
C’est vrai qu’il se passe difficilement un jour sans qu’on parle de drame de
l’émigration clandestine, de bateaux renversés sur la route des Canaries ou des
jeunes africains morts dans le désert. Cette amplification du phénomène par les
médias pourrait laisser penser que la plus part des africains vont en occident
mais en réalité ce n’est pas encore l’invasion annoncée. En effet, selon
l’Office des Migrations Internationales (2006), à peu près 92% des africains
choisissent de s’installer dans un autre pays d’Afrique, 5% vont en Amérique, et
seulement 1% partent vers l’Europe. L’émigration des africains est donc en
majorité intra-africaine.
Quelle est la situation pour le Cameroun ?
Il n’existe pas de chiffres clairs au Cameroun que ce soit pour l’émigration
clandestine ou légale. Le gouvernement camerounais n’a pas une politique claire
dans le domaine. Ainsi quatre voir cinq entités interviennent (le MINREX, le
MINADT, les renseignements, la
présidence) ce qui ne facilite pas les recoupements. Néanmoins, le Cameroun
présente à l’image des autres pays africains un risque potentiel migratoire
élevé avec 49,9% des jeunes entre 15
et 24 ans sans emploi(1) et une forte croissance démographique. Autre trait
commun, la féminisation de l’émigration notamment clandestine, source de
nombreux problèmes sur place comme dans les pays d’accueil.
Quelles peuvent en être les causes ?
Les causes sont essentiellement économiques mais aussi psychologiques, sociales
ou idéologiques. Comme le dit si bien le Professeur Tjade Eone (2), le
sous-développement est à lui tout seul générateur d’émigration clandestine. De plus, il y a cette incapacité des
gouvernements africains à aider les jeunes à trouver des opportunités. Ils sont
estimés au Cameroun par exemple à 75 400 nouveaux chaque année sur le marché de
l’emploi (3). Tout ceci est renforcé par l’imaginaire migratoire comme le
souligne si bien Catherine Withol de Weden pour ce qui concerne l’Europe « les
mouvements migratoires vers l’Europe sont amplifiés par une envie d’Europe que
favorise l’essor des moyens de communication, mais qui n’est pas toujours fondée
sur une vision réaliste de la condition des émigrés dans le pays d’accueil ».(4)
Avez-vous des solutions que vous préconisez pour juguler le phénomène ?
Nous sommes conscients que ce problème est très complexe pour être solutionné
par nous seuls. Nous voulons impulser une dynamique, un cercle vertueux. Le
sous-développement est un défi à la science économique et la solution à long
terme serait le développement économique, mais comme l’a si bien indiqué
l’économiste américain J.M. Keynes, à long terme, nous serons tous morts. C’est
pourquoi SMIC décide d’agir maintenant à son modeste niveau selon son plan
d’action défini plus haut. Nous descendons sur le terrain pour sensibiliser les
jeunes des lycées et universités, notre cible principale, en diffusant des films
documentaires sur la vie des clandestins, suivis d’échanges avec les jeunes et,
enfin, s’ils le désirent, nous créons des clubs sur place pour continuer notre
action.
L’impact des images est intéressant, on dit bien qu’une image vaut 10 000 mots.
Nous avons d’ailleurs en partenariat avec l’institut Goethe de Yaoundé fait
projeter le 23 avril dernier puis
dans le cadre des écrans noirs le film documentaire intitulé « Plus fort que la
peur » dans lequel un jeune camerounais meurt dans le train d’atterrissage d’un
avion de la réalisatrice allemande U. Westerman. Il sera également programmé
pour une plus large diffusion lors de nos descentes à venir début d’année 2009.
Ceci dit, nous ne pouvons plus nous contenter de sensibiliser, nous encadrons
les jeunes vers l’auto-emploi en les aidants à monter des projets.
La semaine dernière nous avons participé à un séminaire-atelier organisé par
l’Aiesec dans ce sens. Lorsque les projets sont montés, nous travaillons à
rechercher des financements pour les mettre en œuvre. Exemple en cours, le
projet de l’encadrement des chauffeurs et propriétaires de taxis avec l’APROMSI
(Association pour la promotion du secteur informel) qui devrait à terme fournir
à peu près 5000 emplois définitifs et temporaires d’ici 10 ans .
Le projet vise à résoudre le problème d’asymétrie d’informations qui existe
entre les chauffeurs de taxi et les propriétaires, le comportement réel ou
supposé de « tireurs au flanc » des premiers cités, en mettant sur pied des
garages privés et des centrales de pièces détachées. Le propriétaire d’une
voiture n’aurait donc qu’à mettre sa voiture jaune, produire les papiers et
attendre la recette à la fin du mois.
Nous travaillons également avec l’association Kossengwe dans le programme
sport-études depuis 2004 qui a permis dans le cadre des soutiens aux migrations
légales d’envoyer une cinquantaine de Camerounais aux USA . Ce programme est
encore très sélectif puisqu’il ne concerne que les jeunes basketteurs scolarisés
mais devrait s’étendre à d’autres acteurs. Néanmoins, il produit déjà des
résultats puisque la génération de la première édition a constitué l’ossature de
l’équipe nationale du Cameroun vice championne d’Afrique à Dakar au Sénégal en
2004. Dans la même lignée, quatre sont présents dans l’actuelle équipe nationale
sénior vice championne 2007 et qui s’est bien comportée pendant le tournoi
pré-olympique qualificatif pour les J.O de Pékin.
Nous voulons aussi produire en 2009 un document qui présente tous les programmes
mis sur pied par les différentes institutions publiques pour les jeunes tant il
est vrai qu’ils sont perdus entre les programmes du MINJEUN, du Ministère des
petites et moyennes entreprises et l’artisanat, du FNE... Dans l’impossibilité
de citer toutes nos actions voilà résumées quelques unes en cours.
Quelle peut être l’apport de la diaspora camerounaise ou africaine en
général dans cette procédure ?
La diaspora pourrait avoir un rôle
important à jouer. Malheureusement, les relations entre cette dernière et les
gouvernements sont très souvent exécrables. Les uns sont convaincus de
l’incompétence et la corruption des autres qui, en retour, soupçonnent la
diaspora de vouloir renverser les régimes. Ce schéma est peut-être un peu réducteur mais traduit l’ambiguïté de la
relation entre les deux entités. L’apport de la diaspora se réduit alors pour le
Cameroun par exemple à quelques actions réduites à l’aide à la famille ou des
projets communautaires initiés par des associations régionales le plus souvent.
Pour que l’apport de la diaspora soit notable, nous pensons que le MINREX
devrait avoir la charge d’impulser la dynamique. Comment ? En ré ouvrant les
missions économiques dans les ambassades camerounaises à l’étranger afin de
produire toute l’information pertinente à la diaspora intéressée par
l’investissement au Cameroun. Recruter des experts en matière de migrations dans
la société civile qui devraient travailler en synergie avec les hommes en charge
de ces dossiers au MINREX pour recenser toutes les associations, ONG, individus
et autres intéressés par la perspective d’investir au Cameroun, établir une
plate-forme de travail et faire des propositions concrètes au gouvernement.
Voila juste quelques pistes.
Que pensez-vous du sommet euroafricain sur l’émigration clandestine qui vient de
se dérouler à Paris ?
Dans l’initiative, il s’agit d’une bonne chose puisqu’il est question ici de
consulter tous les pays qui sont concernés par les migrations à savoir les pays
de départ, de transit et d’accueil. Cependant, le plan tri annuel (2009-2011)
annoncé risque de ne pas avoir l’impact attendu. D’un coté on a l’Union
Européenne qui a essayé de transgresser ses divergences en matière migratoire
pour proposer un plan commun, de l’autre l’Afrique qui n’arrive toujours pas à
adopter une position commune. Nous pensons qu’il aurait fallu au moins regrouper
par zones (Cemac, Cedeao...) les institutions étatiques, la société civile et
tous ceux qui peuvent être concernés par le problème pour réfléchir de façon
macro-économique sur les solutions communes et recenser les projets les plus
importants au niveau régional qui peuvent aider à mettre la structure ou
l’infrastructure propice au décollage économique. Tant qu’on ne mettra pas
l’accent sur le troisième volet de cet accord qui est le renforcement des
synergies migration-développement soit ce que l’on appelle co-développement,
tant qu’on ne s’organisera pas nous-mêmes au niveau régional, puis africain pour
cibler les priorités afin que l’aide soit plus efficace, on aura de plus en plus
du mal à fixer les populations sur place. L’impression générale serait alors
qu’on privilégie la lutte contre l’émigration clandestine par les expulsions, la
construction des murs, bref l’approche sécuritaire. A notre sens, l’approche
bilatérale, la négociation pays par pays ne pourra pas résoudre le problème de
façon efficace ; il faudra essayer de prendre le problème globalement.
Le premier point de l’accord dont s’agit renvoie à l’immigration choisie… Un
concept controversé…
Immigration choisie ou concertée, nous ne pensons pas que ce soit toujours une
mauvaise chose. Le plus important c’est de pouvoir contrôler. En ce sens,
l’émigration légale doit être plus importante que l’émigration clandestine. De
toute façon, le seuil admis par tous pour parler de fuite de cerveaux est 11% en
montant des diplômés. Le Cameroun est encore loin de s’inquiéter. Le vrai
problème est d’entretenir avec ceux qui partent des rapports de confiance et de
travailler à mettre un cadre attrayant pour qu’ils puissent se sentir concernés
par l’évolution de leur pays d’origine et que ceux qui sont allés se former
soient incités au retour. En cela, le programme d’appui au retour des immigrés
camerounais (Paric) est un bon début. Il mérite d’être développé.
Entretien avec Jean Marc Soboth
(1°) source document projet DSRP JEUNESSE 2005
(2) TJADE EONE, migration africaine et médias : jeu d’ombres et de lumières dans
IMMIGRATION ET DIASPORA UN REGARD AFRICAIN ouvrage collectif sous la direction
de Jean-Emmanuel PONDI, Africaine d’édition 2007, pp 214
(3)Document DSRP JEUNESSE op cité
(4)Catherine WIHTOL DE WEDEN, L’EUROPE ET SES MIGRATIONS, 1999
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