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Cameroun : Faut-il tirer à boulets rouges sur l’opposition camerounaise ?
(21/10/2011)
Après que l’opposition ait appelé à manifester pour contester les résultats de l’élection présidentielle, elle a fait l'objet des critiques des plus virulentes venues de toutes parts.
Par Yann Yange
John Fru Ndi, principal leader de l'opposition camerounaise
John Fru Ndi, principal leader de l'opposition camerounaise
Depuis la « déclaration de Yaoundé » et l’appel de sept leaders de partis politiques à des manifestations « pacifiques » en vue de contester les résultats de l'élection présidentielle, l'opposition camerounaise est redevenue la cible de critiques nourries de toutes parts. Absence de projet de société, marketing politique non élaboré, incapacité à porter ensemble un projet commun ou opportunisme financier, les épithètes ne manquent pas pour fustiger cette opposition « irresponsable », « incapable » et « inapte » à fédérer les masses populaires. Mais ces accusations, récurrentes et aussi évidentes qu'elles puissent paraître, ne résistent en réalité pas à une analyse approfondie.


L'absence de projet, argument souvent rabâché par un certain nombre d’observateurs et par les Camerounais en général ne recouvre dans les faits aucune réalité tangible. En effet, la plupart des candidats opposés à Paul Biya lors de ce scrutin du 9 Octobre 2011 avaient des projets de société en bonne et due forme, discutables selon les obédiences des uns et des autres ou selon le degré de précision attendue, mais concrets. Kah Walla, Garga Haman Adji, Esther Dang, Anicet Ekane, Adamou Ndam Njoya, Bernard Muna, Olivier Bilé, Atangana Nsoé ou Jean Jacques Ekindi, pour ne citer que ceux là, ont décliné dans les émissions télévisées où ils sont apparus, sur internet ou dans des ouvrages publiés à l’occasion, à qui voulait bien les écouter ou les lire, leur vision du Cameroun.


Ensuite, concernant le marketing politique et l’incapacité des opposants à aller à la rencontre des Camerounais en dehors des périodes de campagnes électorales, cette question, elle aussi, est bien plus complexe qu’on ne la présente. Être opposant et leader d’un parti n’est pas un métier pour lequel on est rémunéré. Faire vivre sa formation politique avec ses militants, préparer des meetings ou effectuer des déplacements sur toute l'étendue d'un territoire aussi grand que le Cameroun nécessite des moyens financiers tellement importants qu’aucun parti à l’heure actuelle, à part le RDPC et le SDF - qui bénéficie grâce à ses scores aux municipales et aux législatives de quelques leviers de financement public -, ne peut prétendre en disposer.

Contourner cet obstacle aurait été possible par le biais de financements privés. Mais comment y parvenir quand les principaux pourvoyeurs de fonds potentiels, notamment les hommes d'affaires, les élites intellectuelles ou les dirigeants d'entreprises appartiennent de manière ostensible, de leur plein gré, contraints ou par simple opportunisme, au parti au pouvoir ? L’échec marketing de l’opposition n’est donc pas consubstantiel à une inaptitude intrinsèque à se vendre. Se faire connaître dans les contrées les plus reculées du Cameroun relève tout simplement de la gageure si les masses populaires ne participent pas à financer, sur leurs deniers personnels, les formations politiques et si les médias ne jouent pas leur rôle de relai des actions des leaders politiques.

Sur les appels insistants au front commun et à la candidature unique, là encore, on peut en faire plusieurs lectures. Tout d’abord, l'historique des résultats des précédentes élections présidentielles et ceux du scrutin du 09 Octobre dernier démontrent bien, s'il en était, qu'une union de l'opposition n'aurait jamais remis en question la « victoire » de Paul Biya. Ce dernier, hormis en 1992 où le scrutin était bipolarisé, a toujours eu la majorité absolue : en 1997, il gagne avec 92.57%, en 2004 avec 70.9% et en 2011 avec près de 80%. Statistiquement, les chiffres ne permettent donc pas de corroborer l'intuition selon la quelle la multiplicité des candidatures provoquerait un émiettement des voix sur une élection à un tour. Cela n'a jamais été le cas dans notre pays.

D’autre part, cette fragmentation soi disant de l’opposition n’est-elle pas la preuve que ces leaders ne partagent pas comme seul leitmotiv le slogan « Biya must go» et qu’ils disposent de visions de société qu’il est difficile de faire converger ? Parce que parler de candidature unique, c'est aussi de cela qu'il s'agit : rassembler plusieurs visions, plus d'une vingtaine – avec entres autres des pourfendeurs du franc CFA, un panafricaniste, des partisans d’un mandat de transition et un écologiste – vers un seul et unique projet commun pour les Camerounais. Même dans les démocraties les plus avancées, c’est un défi titanesque.

Quelle logique aurait Kah Walla de s'allier avec Fru Ndi alors qu'elle a quitté le SDF pour des raisons de divergences stratégiques ? Ou avec Bernard Muna quand celui-ci propose un gouvernement de transition et que, elle, entend gouverner pleinement et sur la durée ? Se réunir pour contester la légitimité d'un processus électoral – la « déclaration de Yaoundé » – est une chose, mais ce n’est évidemment pas du même registre que se mettre ensemble pour conquérir le pouvoir et diriger le Cameroun. Dans l'un des cas, on partage un objectif commun, transperçant les clivages politiques, qui est d'avoir un jeu électoral sain et équitable. Dans l'autre, chacun présente un programme ancré dans une paroisse idéologique bien précise et dont ne pourrait émerger, en faisant front commun, qu’un projet politique fourre-tout. La candidature unique, tant voulue et tant souhaitée, n'est donc pas forcément la panacée.

Sur les accusations d’opportunisme financier dont se seraient rendus coupables les opposants camerounais, là encore, cela frise le ridicule, en tout cas en ce qui concerne la dizaine de candidats unanimement jugés « respectables » de cette présidentielle. 30 millions de CFA pour une campagne électorale ? Une somme dérisoire au mieux dilapidée en quelques déplacements, des dizaines de scrutateurs et quelques affiches. Expliquer aux Camerounais qu’on finance des candidats à la présidentielle à hauteur de 30 millions de francs CFA quand la moitié de la population vit avec moins de 1 dollar par jour peut en effet provoquer du ressentiment. Sans aucun doute. Mais est-ce une raison suffisamment intelligente pour disqualifier 22 candidats, dont d’anciens hauts fonctionnaires (l’un avait démissionné du gouvernement avec fracas), des élus de la république (l’un encore récemment au sein du parti au pouvoir) et de nombreux autres leaders politiques dans l’opposition au péril de leur vie depuis plus de 20 ans et déjà candidats quand la perspective même du financement public était inenvisageable ?

En réalité, même si on peut lui reconnaître quelques bévues stratégiques, cette opposition camerounaise a bien plus de mérite qu'on ne veut bien le reconnaître. Car elle parvient bon gré mal gré à vivoter dans une des dictatures les plus hypocrites et les plus sophistiquées au monde où l’achat de consciences, les contre-pouvoirs fictifs et les entourloupes électorales sont érigées en stratégies de conquête politique. Et au lieu de demander, comme certains ont pu le faire, aux sept candidats déchus d'annuler des marches légitimes et « pacifiques », autorisées par la législation camerounaise de surcroit, il aurait fallu plutôt demander au « chef de l'État » de contrôler la soldatesque à la gâchette facile qu'il envoie dans les rues de Douala et de Yaoundé pour intimider ses concitoyens. Ces mêmes soldats qui ont tué, dans l'impunité la plus totale, des centaines de jeunes Camerounais pendant les émeutes de février 2008.

Parler d’une déliquescence de l’opposition au lendemain de cette mascarade électorale comme le font quelques aventuriers de la critique facile, ce n'est que mettre en évidence la faillite des « millions de Paul Biya » qui peuplent, dans une forme d’indifférence complice, notre pays. Tantôt incapables de prendre leur destinée en main en se rendant massivement aux urnes, tantôt incapables de se lever comme un seul homme pour réclamer leurs droits dans la rue, les Camerounais ne sont plus que le reflet de l'inertie et de l'apathie d'une société en proie au syndrome de Stockholm. Plus ridicule encore, le chantage à la paix qui leur est fait en permanence et dont le refrain éculé, signe caractéristique des dictatures les plus sournoises et repris en boucle par quelques laudateurs zélés du parti au pouvoir, semble avoir fini de lobotomiser même les esprits les plus endurcis. Comme si la paix était un don du grand divin chef de l'État et que toute manifestation publique, qui devrait être une évidence partout ailleurs, avait vocation à se terminer en guerre civile.

Le constat pour notre pays est de toute évidence sans appel : il n y aura de changement majeur au Cameroun qu’avec des jeunes citoyens s'engageant résolument en politique et non pas de sempiternels spectateurs attendant gaillardement l’arrivée du beau temps du haut des gradins. Entre la voie du déshonneur et celle de l’action, il va bien falloir choisir : une partie de l'opposition a déjà vaillamment choisi la sienne. Reste aux Camerounais de choisir la leur.


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