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Ens Maroua - James Mouangue Kobila : "une réponse juridiquement fondée"
(23/12/2008)
James Mouangue, enseignant à l'Université de Douala et Docteur en droit public, revient sur l'affaire de l'Ens de Maroua et la décision du Gouvernement.
Par James Mouangue Kobila
Le Docteur James Mouangue
Le Docteur James Mouangue

Le 18 décembre 2008, le Ministre de l’Enseignement Supérieur a publié une liste additive d’admis au concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure de Maroua. L’on devrait parler de « la » liste additive, car la liste additive du 18 décembre 2008 n’est pas une liste additive banale. Elle répond à une demande sociale insistante et assortie de manifestations et de projets de manifestations de plus en plus inquiétantes des élites et élus des trois régions septentrionales du Cameroun, souvent désignées comme le Grand Nord. La publication de cette liste était aussi la condition posée par les élites et élus du septentrion pour mettre fin à leurs manifestations.

Cette publication a donné satisfaction aux élites des régions concernées qui exigeaient 1420 places supplémentaires représentant un quota de 60% des places pour les candidats originaires de cette partie du pays, alors que 760 places leur avaient été accordées sur les 2254 initialement attribuées. Avec 4855 candidats de plus, dont la quasi-totalité des candidats du Grand Nord, la publication de la liste additive apparaît comme une réponse qui extrapole les demandes des élites du Grand Nord visant à corriger les injustices historiques dont ces régions sont victimes sur le terrain de la mise en œuvre du droit à l’éducation. Mieux qu’une réponse à un « chantage » (a-t-on jamais vu la victime d’un chantage offrir plus qu’il n’a été demandé ?), il s’agit assurément d’une réponse politique à la demande sociale légitimement exprimée par les élites et élus du Grand Nord depuis quelque deux semaines, à la suite de la publication des résultats de concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure de Maroua.

Dès que ce problème a été soulevé, nombre de camerounais et d’observateurs se sont interrogés sur la pertinence de la demande de réviser le nombre d’admis originaires des régions septentrionales. Mais sitôt que l’on a eu connaissance des prescriptions du président de la République pour y répondre, les critiques se sont substituées aux interrogations. La demande sociale des élites et élus du grand Nord a été disqualifiée par certains comme : relevant du « chantage » ; à classer dans le répertoire des « pressions les plus sombres » ou comme correspondant à une entreprise de « maquillage et [de] tripatouillage pour contourner la démocratie ». Quant à la réponse qui y a été donnée par le pouvoir, saluée par quelques certains, elle est dénoncée ici et là comme constitutive : de l’« institutionnalisation de la médiocrité et [d]’éclatement de la République » ; du piétinement du mérite, voire d’« un dangereux précédent » susceptible d’inspirer les élites d’autres régions du pays. D’autres se veulent subtils ou équilibristes, en soutenant que le problème soulevé par les élites du « Grand Nord » est légitime, mais la réponse mauvaise. Des arguments juridiques sont mêmes convoqués : la violation alléguée de l’objectif d’excellence qui doit guider l’enseignement supérieur en vertu de la Loi d’orientation de l’Enseignement supérieur du 16 avril 2001 (article 6) et la violation du principe d’égal accès à l’enseignement supérieur prévu à l’article 11 du même texte.

Le ton des prises de position témoigne de la passion et de l’émotion avec lesquels la question du droit de participation des communautés qui constituent le substrat humain de l’Etat à la vie nationale est généralement abordée. Ce n’est pas le propre du Cameroun. Le Rapport Veil sur la diversité qui a récemment été remis au Président de la République française, souligne pertinemment que « la concorde n’est pas à portée de la main. Les points de vue et les perceptions des uns et des autres sont trop écartés, trop incompatibles et souvent trop lestés d'une forte charge passionnelle »[1].




L’on essaiera de se ternir à l’écart des passions pour constater sereinement qu’au-delà des dividendes politiques que les élites réclamantes et le pouvoir peuvent tirer de cette revendication, et au-delà des stratégies de communication qui ont probablement pesé pour leur part dans la détermination du chiffre final de candidats retenus à l’issue de la délibération spéciale prescrite par le président de la République, aussi bien le problème soulevé par les élites et élus du Grand Nord que la réponse institutionnelle qui leur a été réservée sont conformes au droit interne du Cameroun et au droit international. Il s’agit en effet d’une saine application des textes et instruments régissant le droit à l’éducation et d’une mise en œuvre efficace de la protection des minorités nationales et des groupes vulnérables.

C’est en premier lieu le droit à l’éducation qui est au cœur de la revendication des élites du Grand Nord. Ces élites ont fait le constat de la désertion des postes, depuis plusieurs décennies, par les enseignants non originaires de cette région. Cette désertion a pour effet une proportion dramatique d’établissements de formations ne comptant qu’un ou deux enseignants, voire aucun enseignant. Ces faits prennent un relief particulier lorsqu’ils sont lus avec les statistiques révélés par le ministre de l’Enseignement supérieur. Ce dernier a en effet mis en lumière le gap qui existe entre le potentiel de formateurs disponibles dans les trois régions et ce qui en était tiré, en relavant qu’ « en dix (10) ans, entre 1998 et 2008, le Grand Nord a présenté seulement 2000 candidats pour les différents concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure de Yaoundé, alors qu’en une seule édition, l’Ecole normale supérieure en gestation de Maroua a reçu 4000 postulants issus de ces trois régions ».

C’est dire qu’en plus du problème de l’abandon de poste par des enseignants originaires des régions méridionales, les candidats du Grand Nord à la fonction d’enseignant ont souffert de l’éloignement du lieu de formation des formateurs. De sorte que le droit à l’éducation que « l’Etat garantit à tous les citoyens de l’un et l’autre sexes » au même titre que les autres droits et libertés énumérés au préambule de la Constitution était largement nominal ou formel pour les filles et fils de ces régions. Les élites des régions concernées étaient par conséquent fondées à demander, voire à exiger que le droit à l’éducation, qui est peu ou prou réel pour les habitants des sept autres régions du pays, devienne aussi une réalité tangible pour les trois régions dites du « Grand Nord ».

Sous l’angle juridique, le droit à l’éducation est consacré par le 18ème tiret du préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 aux termes duquel « l’Etat assure à l’enfant le droit à l’instruction. […] L’organisation et le contrôle de l’enseignement à tous les degrés sont des devoirs impérieux de l’Etat. » Le droit à l’éducation se trouve également consacré par divers instruments internationaux des droits de l’homme incorporés au préambule de la Constitution, à l’instar de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dont l’alinéa 1 de l’article 17 stipule sans ambiguïté que «toute personne a droit à l'éducation ». L’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, est encore plus explicite : « toute personne a droit à l’éducation. […] L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ». L’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, souligne spécifiquement que « l’enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l’enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés […] ». Il s’en déduit que la formation à l’ENS de Maroua visant à procurer des professeurs aux établissements de l’enseignement secondaire, tout moyen visant à atteindre cet objectif est légal et légitime, au vu de la situation spécifique des régions concernées qui ne fait l’objet d’aucune contestation.

Ensemble les revendications des élites du Grand Nord et la réponse institutionnelle qui leur a été réservées sont par conséquent légaux et légitimes, sous l’angle du droit à l’éducation consacré en tant que droit fondamental en droit constitutionnel camerounais et en droit international des droits de l’homme. L’on verra à présent que ces revendications et la réponse qui leur a été réservée sont également conformes à la partie du droit interne et du droit international des droits de l’homme relatif à la protection des minorités et des groupes vulnérables.

Le propos peut paraître incongru, voire saugrenu. Quoi donc, le complexe ethnique du « Grand Nord » - dont l’on sait par ailleurs qu’il masque d’importants clivages internes - serait-il une minorité alors qu’il compte parmi les trois grand complexes ethniques du Cameroun ? La réponse est pourtant affirmative. Des grands groupes ou des groupes majoritaires peuvent en effet être socialement et économiquement ou politiquement désavantagés, ce qui en fait des groupes ‘minorisés’[2]. Dès lors, sous l’angle de la sociologie de la représentation, et en dépit du fait qu’elles constituent des composantes des grands « complexes ethniques » du Cameroun du point de vue numérique, les communautés composant les trois Régions septentrionales du Cameroun peuvent être considérées comme « minorisées » c'est-à-dire vulnérables. Elles sont de ce fait éligibles aux protections comparables à celles des minorités, en raison de leur fragilité, résultat des retards enregistrés dans la scolarisation de ces parties du pays.

De ce fait, elles sont naturellement éligibles à la protection des minorités prévue dès le deuxième tiret du préambule de la Constitution du 18 janvier 1996. Il ne s’agit pas d’une option arbitrairement choisie par le Cameroun, car la protection des minorités ainsi consacrée n’est que la mise en œuvre "des nouveaux droits que notre époque appelle", selon la belle formule de Nicolas Sarkozy. C’est tellement vrai que dès 1992, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies a adopté la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques. L’alinéa 5 de l’article 4 de cet instrument fondateur engage les Etats à « envisager des mesures appropriées pour que les personnes appartenant à des minorités puissent participer pleinement au progrès et au développement économiques de leur pays ». Plus récemment, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée le 31 janvier 2007 oblige les Etats membres de l’Union africaine à adopter « des mesures législatives et administratives pour garantir les droits des femmes, des minorités ethniques, des migrants et des personnes vivant avec un handicap, des réfugiés et des personnes déplacées et de tout autre groupe social, marginalisé et vulnérable ». Du point de vue de la scolarisation, les trois régions septentrionales sont indubitablement des communautés minorisées, marginalisées et vulnérables. A ce titre, elles sont éligibles à toutes les mesures prescrites en vue de la protection des minorités.

En réponse à ceux qui hurlent à la discrimination ou à la violation du principe d’égalité ou à l’institutionnalisation des discriminations, l’alinéa 3 de l’article 8 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des personnes appartenant à des minorités pose clairement que « les mesures prises par les Etats afin de garantir la jouissance effective des droits énoncés par la présente Déclaration ne doivent pas a priori être considérées comme contraires au principe de l’égalité contenu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. » Dans le domaine spécifique de l’éducation, la Convention de l’UNESCO en matière d’enseignement de 1961 précise en son article 2 que des mesures de discrimination positive « ne sont pas considérées comme constituant des discriminations ». A plusieurs reprises, la jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations Unies a aussi indiqué que la jouissance des droits et des libertés dans des conditions d’égalité n’implique pas, dans tous les cas, un traitement identique.

En réalité, les mesures dérogatoires qu’un Etat peut être amené à prendre afin de protéger les droits des minorités sont analysées comme un moyen de concrétiser le principe d’égalité, c'est-à-dire une manière d’approfondir l’égalité, en passant de l’égalité abstraite à l’égalité réelle. C’est en ce sens que, dès 1935, la Cour permanente de justice internationale a précisé que « l’égalité en droit exclut toute discrimination : l’égalité en fait peut, en revanche, rendre nécessaire des traitements différents en vue d’arriver à un résultat qui établisse l’équilibre entre des situations différentes. On peut facilement imaginer des cas dans lesquels un traitement égal de la majorité et de la minorité, dont la condition et les besoins sont différents, aboutirait à une égalité de fait […] L’égalité entre majoritaires et minoritaires doit être une égalité effective, réelle. »[3]

La politique des quotas, qui se fonde sur des critères explicitement ethniques ou raciaux, fait partie des mesures généralement appliquées par les gouvernants de par le monde pour donner effet au droit à l’égalité et au droit de participation des communautés et entités qui composent les Etats à tous les aspects de la vie nationale. Les quotas sont finalement utilisés pour… diminuer le sentiment d’appartenance ethnique à long terme en gommant les inégalités réelles. Il s’agit de mesures énergiques qui viennent pallier l’échec des mesures plus tièdes telles que l’ « équilibre régional » bien connu des Camerounais ou la difficulté pratique de mettre en œuvre des encouragements spécifiques aux enseignants affectés dans les zones difficiles, dans le cas spécifique de la mise en œuvre du droit à l’éducation pour tous les Camerounais. Ces mesures peuvent à première vue paraître choquantes, il faut en convenir. Mais comme l’observe pertinemment Ronald Dworkin, si « des critères explicitement liés à la race sont déplaisants […] c’est certainement parce que les réalités sociales que combattent ces programmes sont plus déplaisantes encore »[4]. De même, l’on admettra avec John Rawls que l’inégalité est acceptable si elle améliore la situation d’ensemble du groupe le moins favorisé.

Dans ce contexte, qualifier la première promotion de l’ENS de Maroua de « promotion de pacotille » ou de « candidats non méritants » est une forme d’oppression particulièrement cynique. Ces épithètes visent à stigmatiser les bénéficiaires de la mesure présidentielle et à donner aux groupes et personnes auxquels elles sont destinées l'image de leur propre infériorité, ce qui condamnerait leurs membres à subir la torture d'une mauvaise estime de soi. Cette auto-dépréciation devient alors l'une des armes les plus efficaces de leur propre oppression. N’oublions pas qu'historiquement, les Noirs et les indigènes colonisés ont été victimes de telles politiques de la part des Européens[5].

L’accès aux différents cycles de l’ENS étant conditionné par l’obtention de certains diplômes et la sortie devant être sanctionnée par un examen exigeant, en quoi un candidat titulaire du diplôme requis pour accéder à une grande école, et qui y est effectivement admis doit-il se considérer comme médiocre ? D’autant qu’il s’agit d’un concours sur titre ? Pour s’en tenir à quelques exemples, peut-on sérieusement prétendre que les Etats-Unis d’Amérique, la Chine, l’Afrique du Sud ou le Bénin qui pratiquent la protection des minorités à travers la politique des quotas sont des hauts lieux de médiocrité ?

Les critiques formulées contre les revendications des élites du Grand Nord et contre la réponse qui leur a été donnée n’ont pas l’ombre d’une justification. L’augmentation du nombre de places des candidats des régions septentrionales du pays améliorera à long terme la formation secondaire des filles et fils de ces régions et réduira à long terme le sentiment de frustration et d’injustice dans ces communautés. En permettant à une plus grande proportion des fils de ces régions de s’épanouir et de participer plus efficacement à la vie nationale par la mise en œuvre effective du droit à l’éducation, le développement du pays tout entier s’en trouvera accéléré. Il y va donc du développement équitable de l'ensemble du pays, mais aussi de la paix sociale et de la préservation de l'intégrité du territoire national.

La démocratie n’en est point affectée, la République non plus. L’alinéa 3 de l’article 8 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance souligne en effet que loin de contrarier la démocratie, le respect de la diversité ethnique, culturelle et religieuse contribue au renforcement de la démocratie. Pour ce qui est de la préservation de la République, en pastichant Luc Sindjoun, l’on retiendra que dans une société multiculturelle, c’est seulement si des droits fondamentaux comme l’accès à l’éducation sont constamment déniés aux minorités que celles-ci se sentiront exclues, victimes de discrimination et cesseront de manifester leur allégeance à l’Etat[6].

James MOUANGUE KOBILA

Docteur en Droit Public

Expert en Droits de l’homme auprès de l’Université des Nations Unies

Enseignant à l’Université de Douala

Courriel :
mouangue2001@yahoo.fr

[1] Voir Comité de réflexion sur le préambule de la Constitution, Rapport au Président de la République décembre 2008, p. 141.

[2] José Woehrling, « Les trois dimensions de la protection des minorités en droit constitutionnel comparé », Les journées mexicaines de l’association Henri Capitant (2002), Les minorités, Revue de Droit, Université Sherbrooke (R.D.U.S.), 2003, p. 96.

[3] Voir Cour Permanente de Justice Internationale, affaire des Ecoles minoritaires albanaises, arrêt du 6 avril 1935, Rec., Série A/B, n° 64, p. 19.

[4] Voir Ronald Dworkin, Une question de principe, Puf, coll. « Recherches politiques », 1996, éd. originale en 1985, p. 370.

[5] Cf. Charles Taylor, Multiculturalisme, différence et démocratie (trad. de Multiculturalism and the « Politics of Recognition, Princeton, 1992) Champs/Flammarion, 1994, pp. 41-42.

[6] Voir Luc Sindjoun, « La démocratie plurale est-t-elle soluble dans le pluralisme culturel ? Eléments pour une discussion politiste de la démocratie dans les sociétés plurales », in : Organisation internationale de la Francophonie/The Commonwealth, Démocraties et Sociétés plurielles, Séminaire conjoint Francophonie – Commonwealth, Yaoundé 24-26 janvier 2000, p. 25.








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