Arrivé de son Liban natal en juin 1952, Saleh Azar, jeune maronite en quête
d’aventures, foule une terre inconnue : le Cameroun n’est encore qu’un lointain
territoire d’Afrique centrale sous tutelle française. L’Afrique n’est certes pas
aussi éloignée que l’Amérique, dont toute la jeunesse libanaise de l’époque
rêve. Mais, vue du Liban, c’est déjà le bout du monde… Et comment ne pas se
laisser tenter par l’appel du large quand, dans ses lettres, un oncle
travaillant comme agriculteur au Cameroun décrit un pays de cocagne ? Le jeune
homme prend l’avion pour Yaoundé. Il n’en repartira plus. Saleh Azar est décédé
le 31 août dernier et a été inhumé dans la capitale camerounaise, où il aura
vécu et travaillé pendant cinquante-sept ans. D’abord agriculteur, il se
reconvertit en exportateur de cacao puis en vendeur de matelas, avant de
racheter Le Marseillais, un restaurant qui va devenir l’une des tables les plus
réputées de la ville.
Sa fille Élise, belle métisse issue d’une union avec une Camerounaise, épouse un
des neveux du chef de l’État. Les portes du Palais s’ouvrent pour la fille de
l’ancien vendeur de matelas qui va y convier des amies. En 1994, l’une d’elles,
Chantal Vigouroux, rencontre puis épouse le président Paul Biya. La suite de
l’histoire n’a rien du conte de fées. Élise décède brutalement à la suite d’un
accident de la circulation en septembre 1996. Chaque année, le Yaoundé Élise
Azar Athletics International Meeting (Yelaim) honore sa mémoire.
La disparition de Saleh Azar, figure de la première génération d’immigrants
libanais, laisse le « vieux » Hajal Massad, 88 ans, consul honoraire du Liban au
Cameroun, seul en première ligne. Il est l’âme d’une génération qui tient à
préserver une ligne de conduite qui n’a jamais varié. Il s’agissait de donner
des gages d’intégration, d’éviter tout engagement politique, tout en nouant des
relations privilégiées avec les pouvoirs, de fuir les domaines d’activité en
concurrence frontale avec les nationaux, d’acheter des terres afin de montrer
qu’on s’établissait pour longtemps, etc.
Jusqu’à ce jour, la formule a permis aux quelque 3 000 Libanais de se fondre
dans le paysage. Les familles Omaïs (transport), Khoury (bois), Fadi (transport)
emploient plusieurs centaines de personnes sans grand bruit. Néanmoins, certains
se sont retrouvés au cœur d’affaires, se démarquant ainsi de la légendaire
discrétion des anciens. Cela a été le cas pour Nassar Bouhadir, patron libanais
de la société forestière Petra, opposé au ministre de l’Environnement, Sylvestre
Naah Ondoua, dans l’affaire du « sanctuaire à gorille de Mengame ». Selon
plusieurs chroniqueurs politiques, l’homme d’affaires serait directement à
l’origine du limogeage de ce membre du gouvernement en 2002. Il en est de même
de la famille Hazim, propriétaire de la quatrième compagnie forestière du pays
épinglée par l’ONG Global Witness et poursuivie par l’État camerounais sur des
soupçons d’exploitation illégale de la forêt.
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