Un des nombreux ports du groupe Bolloré
Dans son n° 661, Le Monde diplomatique [1]
titrait sur « les guerres africaines de Vincent Bolloré » entre « affaires,
médias et humanitaires ». Quelques jours plus tôt, le 28 mars 2009 c’est
France Inter qui consacrait une émission à « L’empire noir de Vincent
Bolloré » au moment où la guerre pour le contrôle des ports fait rage en
Afrique. Pour répondre à ces attaques, les stratèges de Puteaux déclenchent une
contre-offensive. Mais l’opération baptisée « transparence » fait l’effet d’un
antalgique. Les trois jours de Dominique Lafont (DG de Bolloré Africa Logistics)
à bord de son jet en compagnie de journalistes, ont davantage donné l’impression
d’un ogre qui, englué dans son réseau françafricain, toise la morale à distance.
Bolloré en Afrique c’est 30% du chiffre d’affaires du groupe en 2008, 19000
emplois, un réseau de 200 agences disséminés dans 43 pays, des domaines
d’activités aussi stratégiques que les transports maritimes ou ferroviaires, la
logistique minière, industrielle, pétrolière et humanitaire… Depuis 2004, le
groupe a raflé la gestion de nombreux terminaux à conteneurs sur le continent à
l’instar d’Abidjan en Côte d’Ivoire, Douala au Cameroun, Cotonou au Bénin, Lomé
au Togo, Pointe-Noire au Congo, Tama au Ghana ou Tincan au Nigeria… Et perdu
quelques uns comme celui de Dakar au Sénégal en octobre 2007. Pour le groupe
comme pour ses quatre principaux concurrents (l’allemand DB Schenker Logistics,
l’émirati Dubaï Ports World, le danois APMT et l’espagnol Progosa),
l’objectif stratégique est le contrôle des points d’entrée et de sortie du
continent car « l’Afrique est comme une île reliée au monde par les mers.
Donc qui tient les grues tient le continent.» [2]
Les analystes sont presque tous d’accord sur un point: Vincent Bolloré a réussi
l’un de ses plus beaux coups de communication stratégique en recevant en mai
2007 Nicolas Sarkozy, fraîchement élu président de la république, sur son yacht
privé, tous frais payés. Attentifs, les décideurs d’Afrique francophone pour qui
« l’ami d’un ami est un ami » ont parfaitement saisi le message. Le
navire du milliardaire avait à peine mouillé au large de Delimara Bay que « la
rupture » prônée par son illustre hôte s’effritait devant la real politik.
Qui peut reprocher à un Etat de promouvoir et de protéger ses champions à
l’international? Sauf que dans le cas Bolloré, les concurrents (aidés par les
retours d’ascenseur du groupe breton à ses amis du Nord comme du Sud) ont choisi
de communiquer sur le terrain de la morale dans les affaires, invoquant les
soupçons de collusions, de « liens incestueux » entre l’Elysée et
Bolloré, le groupe Bolloré et les décideurs africains, ces derniers et l’Elysée.
La « Françafrique ».
Fort de son artillerie [télévision (Direct 8), publicité (Havas),
presse gratuite (Matin plus et Direct soir), RP (d’anciens
ministres africains et français)…], le groupe Bolloré qui n’a plus le temps de
se regarder s’est enfermé au fil des ans dans un cercle qu’il a contribué à
tisser. Un réseau qui, bien que rentable en Afrique, s’avère désormais difficile
à assumer en Europe à cause des assauts répétés des associations et des médias
apparentés. Malgré l’émission d’un code d’éthique [3]
et de publi-reportages, Bolloré semble presque définitivement cloué sur la croix
de la morale. Mais si la morale payait dans les affaires, il y a longtemps qu’on
le saurait.
Par Guy J. Gweth - Consultant en intelligence économique & stratégique
[1] Le Monde diplomatique n°661, p 1, 16 & 17
du mois d’avril 2009
[2] Propos prêtés à un « ancien de Bolloré » in
« L’Afrique n’est plus l’eldorado des entreprises françaises » dans Le
Monde diplomatique de février 2006.
[3] Le groupe Bolloré aurait rédigé un code d’éthique
comprenant une liste noire de quatre pays (Érythrée, Guinée Bissau,
Lesotho et Swaziland) où il ne souhaite pas investir pour "cause de corruption
rampante".
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